Pétitions sur les plantes médicinales : la grande peur d'avril 2011

Par Collectif LaNutrition.fr - Journalistes scientifiques et diététiciennes Publié le 20/03/2011 Mis à jour le 10/03/2017
Depuis plusieurs semaines, des pétitions circulent sur Internet laissant entendre que les plantes médicinales d'usage traditionnel seraient interdites prochainement à l’initiative de l’Union européenne.Analyse de cette rumeur

M° Isabelle Robard, avocate spécialisée dans le droit de la santé, docteur en droit et co-auteur du livre Santé, mensonges et propagande analyse cette rumeur (pour une discussion plus complète, voir le site de la Chambre nationale des ostéopathes)

M° Isabelle Robard : La pétition qui circule sur internet au sujet des plantes à usage traditionnel est inspirée par une réglementation prise au niveau européen : la directive 2004-24 CE du 31 mars 2004. Elle est signée d’une certaine Heidi Stevenson et consiste à dire en substance : « Toutes les plantes à usage traditionnel vont être interdites en avril 2011 et elles ne pourront plus être vendues dans les compléments alimentaires… On va exiger des autorisations de mise sur le marché pour ces produits qui vont entraîner des conséquences en cascade pour tous les fabricants et les distributeurs. » Il s’agit d’une rumeur infondée.

Cette directive plantes à usage traditionnel fait partie d'un corpus qui date de 1965. Cette année là l'Europe communautaire prend une directive sur les médicaments. Elle va produire une définition du médicament qui va ensuite évoluer. Il va y avoir en novembre 2001 abrogation de cette directive et création d'un code communautaire du médicament qui a donc fixé comme tout le monde le connaît, une réglementation qui dit pour que pour être être mis sur le marché, un médicament, ou plus précisément une spécialité pharmaceutique, doit être dotée d'une autorisation de mise sur le marché (AMM) avec 4 phases d'essais. Comme on s'est rendu compte que c'était un peu sévère, un peu complexe et inaccessible pour certaines catégories de produits, on a commencé en 1992 à faire une brèche dans le système pour les médicaments homéopathiques qui n'avaient pas de statut juridique du tout et qui sont devenus des médicaments à part entière mais avec un système simplifié d'enregistrement qui leur évite d'avoir à prouver certaines choses, à fournir certains éléments au niveau du dossier. Puis on s'est rendu compte qu'entre l'aliment brut et le médicament, il y avait d'autres catégories de produits. En 2002 on voit surgir la directive sur les compléments alimentaires, puis un peu après le règlement sur les aliments enrichis. Et le 31 mars 2004 on a une directive, celle évoquée par Heidi Stevenson, sur les plantes à usage traditionnel, qui vont bientôt toutes entrer dans le giron du système classique d'autorisation de mise sur le marché. Donc le système européen est venu mettre en place un système allégé d'autorisation de mise sur le marché fondé sur des données essentiellement bibliographiques, dispensant les opérateurs d'essais cliniques. Cette AMM simplifiée permet à des acteurs économiques de toute l'Europe de faire des enregistrements simplifiés sous l'angle du médicament. Les opérateurs économiques qui vont revendiquer un certain nombre d'allégations thérapeutiques autour de la plante vont pouvoir accéder à ce statut d'AMM allégée.

Lorsque cette directive sur les produits à base de plantes qui revendiquent des usages thérapeutiques a été prise en mars 2004, une période de 7 ans a été laissée aux opérateurs économiques pour pouvoir « régulariser » sous l'angle de ce nouveau texte leur situation juridique en accédant à ce système d'enregistrement simplifié au niveau européen. On a quand même laissé 7 ans aux opérateurs qui tout d'un coup ont l'air de découvrir cette directive de 2004 !

Le Directeur Général Santé et Politique des Consommateurs, au nom de la commission de Bruxelles, a précisé en décembre 2010 que « la directive autorise l'enregistrement des médicaments traditionnels à base de plantes dont la phytothérapie chinoise, ayurvédique ou de toute autre tradition sans exiger les renseignements et les documents sur les essais de sécurité d'efficacité que le demandeur est tenu de fournir en vertu de la procédure d'autorisation de mise sur le marché. En revanche le demandeur doit prouver à suffisance l'usage médical au moins trentenaire (30ans) du produit dont au moins 15 dans l'union européenne. » Or il y a quantité de plantes ayurvédiques ou chinoises qui sont rentrées il y a plus de 15 ans sur le territoire de l'union européenne. Donc cette directive ne fait que simplifier les choses en permettant l'accès simplifié à des enregistrements comme médicaments et il est inexact de dire qu’elle menace l’accès aux plantes à usage traditionnel.

L'avis de LaNutrition.fr : Non, les plantes ne sont pas interdites. Il est même possible qu'en offrant un cadre législatif aux plantes médicinales, la directive européenne en facilite l'usage, notamment en France. Malgré tout, on peut comprendre l’émoi suscité par la date butoir d’avril 2011 et la campagne qui a suivi. Les fabricants qui ne se sont pas mis en conformité ne pourront pas continuer à commercialiser leurs plantes, donc le consommateur craint à juste titre d’avoir des difficultés à se procurer ses plantes habituelles, au moins momentanément, et il ne l’accepte pas. Ensuite, certains reprochent à la directive de favoriser les plantes européennes, et dans une moindre mesure chinoises et indiennes (ayurvédiques) au détriment des centaines ou de milliers de plantes « exotiques » africaines ou américaines ou d’Océanie. Enfin, il y a le coût d’enregistrement, qui varie considérablement d’un pays à l’autre. Avec au départ la volonté de mieux protéger le consommateur, on craint en fait une course à l’armement règlementaire, de plus en plus lourde, de plus en plus contraignante, de plus en plus coûteuse qui ne profite qu’aux grosses structures. On aurait pu imaginer une procédure plus simple, sur la base de monographies mises à disposition par l’Europe, assorties d’un coût d’enregistrement réduit, par exemple quelques dizaines d’euros comme c’est d’ailleurs le cas en république tchèque.

NDLR : Une rumeur similaire court sur les compléments alimentaires à base de plantes. Ce n'est d'ailleurs pas la première fois que les compléments alimentaires sont l'objet de rumeurs de disparition.

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