Supervache et le lait enchanté

Par Collectif LaNutrition.fr - Journalistes scientifiques et diététiciennes Publié le 08/03/2007 Mis à jour le 10/03/2017
Oubliez les jolies vaches qui mâchonnaient des pâquerettes dans les prés de notre enfance. Elles ont été remplacées par Supervache. Un pur produit du génie génétique, une véritable usine à lait. Mais un lait un peu particulier lui aussi. Un lait enchanté.

Pourquoi les vaches sont-elles monstrueuses, de plus en plus grosses ? demande cette dame hier matin à l’antenne de France Inter, dans le Sept-neuf trente, l’émission animée par Nicolas Demorand. On y reçoit, salon de l’agriculture oblige, Philippe Meurs, président du syndicat des jeunes agriculteurs. Donc la dame a appelé pour poser sa question, comme c’est la règle, et vous allez voir que c’est une sacrément bonne question.
Pourquoi les vaches sont-elles si grosses ? dit la dame, visiblement choquée par ce qu’elle a vu au salon. Elle se demande si finalement tout ça ne serait pas suspect, si ces animaux n’avaleraient pas autre chose que du fourrage ou des aliments pour bétail, peut-être des hormones, des médicaments ? Rien à craindre, rassure Philippe Meurs, les vaches françaises reçoivent une alimentation naturelle. Oui, mais alors pourquoi sont-elles si grosses ? Chaque année encore un peu plus ? Ah, mais là, explique le président du SNJA, ça n’a rien à voir avec des hormones. Et c’est à ce moment précis, écoutez bien, chers amis, que ça devient passionnant. Les vaches, continue le syndicaliste, bénéficient des progrès de la génétique : en clair, la recherche française, qui est en pointe sur la sélection génétique a permis de transformer une vache normale - celle des boîtes de fromage - en Supervache. Et cela, explique M. Meurs, c’est un progrès. Il faut bien nourrir la planète, n’est-ce pas ? Et tout le studio de s’attendrir devant le génie français qui a fait Supervache. Personne n’a réalisé, hier matin un peu avant neuf heures, qu’il y a dans cette Supervache, au-delà de ce qu’elle mange, motif réel à inquiétude. Laissez-moi vous expliquer.

Sur les traces de Supervache

Supervache a fait son apparition dans ma vie il y a exactement deux ans. J’étais allé rendre visite au professeur Walter Willett, le patron de l'Ecole de santé publique de Harvard, à Boston. J’étais déjà engagé dans l’écriture de mon livre Lait, mensonges et propagande qui paraît ces jours-ci. Nous nous étions donné rendez-vous au restaurant Nightingale, 578 Tremont Street. Il arrive à vélo, nous nous attablons et de fil en aiguille, la conversation bifurque sur Supervache. Car là, j’apprends que Harvard s’intéresse à Supervache.

Je raconte cette enquête en détail dans mon livre parce qu’elle est hallucinante. Mettez-vous à la place de Willett. Son équipe a publié ces dernières années plusieurs études qui montrent que les gros consommateurs de laitages ont un risque plus élevé de cancer de la prostate (hommes) et de cancer des ovaires (femmes). Les chercheurs de Harvard sont inquiets. Ils se demandent si dans le lait il n’y aurait pas quelque chose qui favorise ces cancers. Quelque chose apparu récemment, parce que des laitages on en consomme aux Etats-Unis depuis des décennies, mais le cancer de la prostate n’a véritablement augmenté qu’à partir du milieu des années 1980. Alors les épidémiologistes de Harvard se font détectives, et c’est cette histoire que me raconte ce soir-là Walter, chez Nightingale, avec le jour qui décline.

Ils réussissent à se procurer des échantillons de lait prélevés des années plus tôt sur des vaches américaines, avant l’ère de Supervache. Ils les comparent aux échantillons d’aujourd’hui, au lait produit par Supervache. Et le résultat est sidérant : le lait de Supervache contient des quantités infiniment plus élevées d’une protéine appelée IGF-1. Qu’est-ce que l’IGF-1 ? C’est le bras armé de l’hormone de croissance, une substance qui stimule la prolifération de toutes les cellules. Les bonnes, et les moins bonnes. Or l’IGF-1 des bovins et celui de l’homme sont identiques. On a longtemps cru que cet IGF-1 était détruit par la digestion, mais des études récentes montrent qu'une partie se retrouve dans le sang, surtout lorsqu'il et absorbé avec de la caséine, qui est... la principale protéine du lait. Vous buvez beaucoup de lait ? L’IGF-1 qu’il renferme booste le vôtre : les gros consommateurs de laitages ont des niveaux d'IGF significativement plus élevés que les non consommateurs. Le niveau très élevé d’IGF-1 dans le lait de Supervache pourrait, disent les chercheurs, expliquer que des cancers comme celui de la prostate touchent plus fréquemment ceux qui boivent plus de 2 laitages par jour.

Le lait enchanté

Mais pourquoi Supervache a-t-elle autant d’IGF-1 dans le lait ? Précisément parce que c’est Supervache. Parce que des chercheurs forcément géniaux de l’INRA et d’ailleurs, ont réussi à sélectionner les espèces les plus productrices de lait, et dans ces espèces, les individus les plus producteurs. Ces espèces-là, ces individus-là, sont des usines à facteurs de croissance, en l’occurrence l’IGF-1, parce qu’il faut des facteurs de croissance comme l’IGF-1 pour être Supervache et produire des superlitres de ce lait enchanté.

Ce matin-là, sur France Inter, les journalistes et leur invité avaient simplement oublié que même si les campagnes ne sont pas à la ville, nous sommes biologiquement liés à Supervache par les aliments qu’elle nous donne à manger et à boire. Son IGF-1 devient le nôtre. Sa méga-croissance devient la nôtre.

Vendredi 2 mars sur France Inter (décidément), j’étais l’invité d’Isabelle Giordano et Yves Decaens dans l’émission Service public. Visiblement ébranlée par ce qu’elle avait lu dans mon livre, Isabelle Giordano m’a demandé, un peu avant la fin de l’émission, si ce n’était pas « irresponsable » d’écrire comme je le fais dans Lait, mensonges et propagande qu’il y a dans le lait enchanté de Supervache une protéine qui accélère les tumeurs.
Chère Isabelle Giordano, ce qui serait irresponsable, ce serait de taire ce que l’on sait de Supervache et de son lait enchanté. Ce qui serait irresponsable, ce serait de ne pas relever le niveau excessif des recommandations en faveur des laitages en France. Ce qui serait irresponsable, ce serait de ne pas inciter à la modération, sachant qu'une consommation modérée (un à deux laitages par jour) est certainement sans conséquence néfaste.

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