Vitamine E synthétique et sélénium à doses élevées peuvent augmenter le risque de cancer de la prostate

Par Collectif LaNutrition.fr - Journalistes scientifiques et diététiciennes Publié le 02/03/2014 Mis à jour le 10/03/2017
A dose élevée, les compléments alimentaires de vitamine E synthétique et de sélénium augmentent le risque de cancer de la prostate chez certaines personnes.

Des chercheurs américains tirent la sonnette d’alarme concernant les compléments à haute dose de sélénium ou de vitamine E synthétique : dans un article paru dans Journal of the National Cancer Institute, ils montrent que chez certains hommes ces compléments augmentent le risque de cancer de la prostate.

La vitamine E est une molécule antioxydante aux propriétés anti-inflammatoires et qui stimule l’immunité. Le sélénium est un oligo-élément lui aussi antioxydant. Pour ces deux molécules, il a été proposé qu’elles pourraient prévenir le cancer de la prostate sur la base de deux études d'intervention. 

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Des chercheurs du centre Fred Hutchinson (Seattle, Etat de Washington) ont étudié l’effet d’une complémentation en sélénium et/ou vitamine E sur le risque de cancer de la prostate. Ces travaux font suite à l’étude « Selenium and Vitamin E Cancer Prevention Trial » (SELECT), qui a impliqué plus de 35 000 hommes. SELECT devait déterminer si de fortes doses de vitamine E synthétique (400 UI par jour) et/ou de sélénium (200 µg/jour) protégeaient les hommes d’un cancer de la prostate. L'essai qui a démarré en 2001 et devait durer 12 ans a été stoppé plus tôt en 2008 car aucun effet protecteur du sélénium ou de la vitamine E n’a été trouvé ; les résultats suggéraient même un risque augmenté avec la vitamine E. Après l’arrêt de la complémentation, les hommes étaient toujours suivis ; après deux années, ceux qui prenaient de la vitamine E avaient une augmentation de 17 % du risque de cancer de la prostate.

Les chercheurs se sont penchés plus précisément sur les résultats pour mieux comprendre ce qui se passait. Ils ont utilisé les données de 1 739 hommes qui ont eu un diagnostic de cancer de la prostate et de 3 117 témoins. Ils ont alors observé que la complémentation en sélénium a augmenté le risque de cancer chez ceux qui avaient déjà des taux de sélénium élevés au départ (mesurés dans l'ongle de l'orteil) : le risque de cancer de haut grade (le plus agressif) augmentait de 91 % chez eux. La complémentation en sélénium n’avait aucun effet chez les hommes qui avaient de bas niveaux de sélénium.

De plus, les compléments de vitamine E ont augmenté le risque de cancer chez ceux qui avaient peu de sélénium au départ : leur risque de cancer de la prostate a augmenté de 63 % et le risque de cancer de haut grade de 111 %. Ceci expliquerait les résultats initiaux de l’étude SELECT où ceux qui avaient pris de la vitamine E avec un placebo avaient un risque augmenté de cancer de la prostate, contrairement à ceux qui prenaient à la fois du sélénium et de la vitamine E. Le sélénium, qu’il vienne de l’alimentation ou de compléments, protégerait donc des effets nocifs de la vitamine E. En absence de complémentation, le niveau de sélénium n’était pas lié au risque de cancer de la prostate.

Ceci pousse les chercheurs à suggérer aux hommes d’arrêter de prendre ces compléments à haute dose. Pour Alan Kristal, le principal auteur de ces travaux, « Alors qu’apparemment il n’y a aucun risque à prendre des multivitamines standards, les effets de hautes doses de compléments seuls sont imprévisibles, complexes et souvent nocifs. Il y a des niveaux optimaux, et ceux-ci sont souvent ceux obtenus avec un régime alimentaire sain, mais en-dessus ou en-dessous de ces niveaux il existe des risques. »

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L'avis de LaNutrition.fr : L'étude SELECT a été conçue sur la base de deux études d'intervention ayant montré, en analyse secondaire, un bénéfice des suppléments de vitamine E (pour l'étude ATBC, 1998) et des suppléments de sélénium (pour l'étude NPC, 1998) sur le cancer de la prostate. Cependant, les doses et/ou les formes utilisées étaient différentes. Dans ATBC, la dose de vitamine E était 8 fois plus faible que dans l'étude SELECT. Dans NPC, le sélénium était donné sous la forme de levure de bière riche en sélénium, et non sous la forme de sélénométhionine comme dans SELECT. Il semble donc que les doses de vitamine E très élevées soient à éviter dans tous les cas, en particulier sous une forme synthétique ne représentant qu'un des isomères (all-rac-dl-alpha-tocophéryl acétate) d'une famille qui en compte huit. Quant au sélénium, la dose utilisée était clairement très élevée, surtout pour une population qui consomme de la viande d'animaux supplémentée en sélénium, et la sélénométhionine n'est peut-être pas la meilleure forme à prendre. Enfin, on sait aujourd'hui qu'il est déconseillé de prendre des antioxydants isolément (ou par paires), car ces molécules agissent en synergie. Une étude comme SELECT ne sera probablement jamais reproduite. Il faut donc maintenant s'aider de l'ensemble des données disponibles pour imaginer des stratégies de prévention qui passent ou non par la prise de compléments alimentaires. Daniel Sincholle et Claude Bonne, deux éminents spécialistes des antioxydants, ont publié un livre sur les antioxydants : Guide des compléments antioxydants.

Pour en savoir plus sur l'utilisation des antioxydants : Le guide pratique des compléments alimentaires

Source

Kristal AR, Darke AK, Morris JS, Tangen CM, Goodman PJ, Thompson IM, Meyskens FL Jr, Goodman GE, Minasian LM, Parnes HL, Lippman SM, Klein EA. Baseline Selenium Status and Effects of Selenium and Vitamin E Supplementation on Prostate Cancer Risk. J Natl Cancer Inst. 2014 Feb 22.

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