Vitamines et cancer : l’étude fantôme qui a fait les gros titres de la presse

Par Thierry Souccar - Journaliste et auteur scientifique, directeur de laNutrition.fr Publié le 28/04/2015 Mis à jour le 10/03/2017
Rapporter les résultats d'une étude sur les compléments alimentaires et le cancer qui n'existe pas : oui, pour certains journaux c'est possible ! La preuve.

La presse a réussi un véritable exploit ces derniers jours : rendre compte d’une étude sur les compléments alimentaires censés favoriser le cancer… qui n’existe pas.

« Selon une étude réalisée par le centre de recherche contre le cancer de l'université du Colorado, une consommation abusive des compléments alimentaires permettrait d'accroitre les risques de cancer », assure TF1.

Le site Metro News titre lui aussi sur « l’étude santé du jour : Les compléments alimentaires peuvent augmenter le risque de cancer », expliquant qu’elle a été présentée par Tim Byers, spécialiste du cancer, lors du congrès annuel de l'American Association for Cancer Research (AACR). Métro News ajoute : « Ce que l'étude a montré : +20% de risques de cancer des poumons (…) Prendre plus que la dose recommandée de compléments de bêta-kératine (sic !) augmente à la fois le risque de développer le cancer du poumon et les maladies cardiaques de 20%."

Le site Pourquoi docteur n’est pas en reste, assurant que les chercheurs ont « étudié des milliers de patients à qui on donnait des compléments alimentaires ou un placebo. Au terme de cette vaste étude, les chercheurs ont observé que les participants qui consommaient des vitamines et minéraux depuis une décennie développaient plus de cancers que le groupe placebo ! »

Formidable ! Sauf que cette fameuse « étude sur des milliers de patients » n’a jamais été publiée. Elle n'existe que dans l'imaginaire des rédacteurs de ces articles.

Une session sur les compléments alimentaires et le cancer s’est bien tenue le 20 avril entre 17h et 18h30 au congrès de l’AACR, au cours de laquelle Tim Byers intervenait. Comme LaNutrition.fr a pu le vérifier auprès de l’AACR, il n’existe aucun résumé de cette intervention, sans même parler d’un article scientifique complet. En fait, Tim Byers n’a présenté aucune étude ce jour-là.

Il faut alors se demander comment l’ensemble de la presse internationale, de CBS au Guardian a pu se fourvoyer à ce point. Tout est parti d’un communiqué ambigu de l’université du Colorado qu’aucun journaliste n’a pris apparemment la peine de valider ou vérifier. Le communiqué fait référence à un article de Byers daté de 2012, qui n’est ni une méta-analyse, ni même une étude, mais un simple commentaire subjectif de la littérature scientifique.

Lors de la session de l'AACR, Byers s'est contenté de reprendre les grandes lignes de son article de 2012. La perspective d'une info croustillante dans un pays - les Etats-Unis - où la moitié de la population prend des compléments alimentaires, et la propension à se jeter sur le moindre communiqué de presse ont fait le reste : la presse américaine s'est saisie de l'affaire, et la presse française a embrayé les yeux fermés. Un incident symptomatique d’une course effrénée à l’audience avec comme corollaire la dégradation ou l’absence même de journalisme scientifique digne de ce nom.  

Et les compléments alimentaires et le cancer, dans tout ça ?

Deux études ont rapporté un risque accru de cancer chez des personnes à risque de cancer du poumon qui ont pris des compléments antioxydants – ce sont les études CARET et ATBC déjà anciennes. Dans l’étude SELECT, la prise de 400 UI de vitamine E synthétique par jour a entraîné un risque de cancer de la prostate accru de 17%. D’autres études ont au contraire rapporté un bénéfice des compléments de vitamines et minéraux sur le cancer, comme l’étude française SU.VI.MAX (chez les hommes) et aux Etats-Unis, l’étude des Professionnels de santé II. Il y a donc selon les circonstances et le type de produit, des effets négatifs ou au contraire des bénéfices. S'il fallait en tirer une conclusion universelle, elle serait mitigée. D’ailleurs, une revue systématique d’études d’intervention n’a pas trouvé que les suppléments de vitamines et de minéraux  ont globalement un effet délétère. Cependant, on sait aujourd’hui quelques petites choses, notamment que si l’on prend des suppléments, il faut éviter les molécules synthétiques prises isolément à dose élevée, comme le bêta-kératine, pardon le kéto-baritone, ah ! je vais y arriver : le bêta-carotène !

N.B. Pour en savoir plus sur les bénéfices à attendre des compléments alimentaires, et sur leurs risques et contre-indications, je vous invite à lire deux ouvrages qui font la part des choses : le Guide pratique des compléments alimentaires de Brigitte Karleskind (lire un extrait ICI  >>), et le Guide des compléments antioxydants de Daniel Sincholle.

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