Michel de Lorgeril : "Les oméga-3, c’est vraiment magique"

Par Collectif LaNutrition.fr - Journalistes scientifiques et diététiciennes Publié le 30/03/2016 Mis à jour le 10/03/2017
Point de vue

Le Dr Michel de Lorgeril (CNRS) est l'un des pionniers de la recherche sur les acides gras oméga-3.

LaNutrition.fr : Vous parlez du « monde magique des oméga-3 ». Pourquoi cette expression ?

Dr Michel de Lorgeril : Les effets des acides gras oméga-3 sont tellement extraordinaires qu’il y a vraiment quelque chose de magique. Ils font progresser les chercheurs dans tous les domaines de la médecine. A chaque fois que l’on met en place un programme de recherche concernant l’effet de ces acides gras sur une pathologie quelconque ou sur un organe… on trouve quelque chose ! Je ne connais pas d’autres domaines qui donnent autant de résultats positifs. C’est vraiment magique !

Quel effet des oméga-3 vous surprend le plus ?

Il n’y a pas un effet particulier qui me surprend plus qu’un autre. Ce qui est extraordinaire, c‘est de voir à quel point on est déficient en oméga-3, surtout quand on sait que cette déficience est associée à de multiples pathologies ou de multiples anomalies physiologiques. En augmentant la quantité de ces acides gras dans notre alimentation (et donc en corrigeant le déficit), les risques de problèmes cardiaques dans une population donnée diminuent nettement. Et de façon très impressionnante. Cela fait d’ailleurs longtemps que l’on parle des effets bénéfiques des oméga-3 sur ces maladies qui sont, comme vous le savez, un véritable fléau dans nos sociétés, le « serial killer » n°1 ! Dans la lutte contre l’asthme aussi, il y a déjà des résultats impressionnants. Tout un travail de prévention serait également nécessaire chez les enfants….

Vous avez montré dès 1994 qu’un régime riche en oméga-3 protège le cœur. Pourquoi a-t-il fallu attendre des années pour reconnaître les bénéfices de ce type d’alimentation ?

Dans l’étude de Lyon, publiée en 1994, et qui a testé, avec succès, l’effet d’une diète méditerranéenne enrichie en acides gras oméga-3, nous avons uniquement utilisé des oméga-3 d’origine végétale. On a été un peu critiqué là-dessus et une ambiguité a persisté. Les gens nous regardaient d’un air dubitatif car les études épidémiologiques antérieures s’étaient plutôt concentrées sur les oméga-3 d’origine marine et les huiles de poisson. Il faut savoir que, dans le sang, moins de 1% du total des acides gras sont des oméga-3 d’origine végétale. Et ce chiffre est encore plus faible dans les cellules. Nombreux sont ceux qui ne comprenaient donc pas comment cela pouvait marcher.

Il vrai que dès la fin des années 80, nous (c'est-à-dire notre groupe de chercheurs) parlions des Oméga-3. Nous étions seulement beaucoup moins documentés qu’aujourd’hui donc d’une certaine façon nous étions moins crédibles. Les autorités de Santé Publique et les leaders d’opinion en médecine, de même que les Instituts de Recherche (comme l’INSERM ou le CNRS) ne nous relayaient pas du tout. Nos résultats n’étaient pas diffusés vers le public car ce type de recherche était considéré comme peu sérieux : comment des chercheurs pouvaient-ils s’intéresser et perdre leur temps avec des histoires d’huile d’olive ou de colza ? Cette perte de temps a quand même été un véritable gaspillage, surtout pour les millions de patients qui auraient pu profiter plus tôt des résultats de nos recherches.

Mais en fait, tout cela peut se résumer à un simple problème économique. Il n’y avait pas de brevet à prendre et l’industrie pharmaceutique n’était pas intéressée. Comme le corps médical est sous l’emprise des laboratoires pharmaceutiques et les médias sous celle des industries… nous avons pris un retard terrible.

Qu’est-ce que le rapport oméga-6/oméga-3 ?

Les oméga-6 et les oméga-3 sont des acides gras essentiels (ils ne peuvent être obtenus à partir d’aucun autre acide gras endogène et doivent donc être apportés par l’alimentation) qui se retrouvent en compétition dans l’organisme. Dans la nature sauvage, les oméga-3 sont prépondérants alors que dans le monde agro-industriel moderne, c’est l’inverse : les oméga-6 dominent. Le lin, les noix sont riches en oméga-3 mais le tournesol et le maïs (les oléagineux préférés de l’industrie agroalimentaire) sont riches en oméga-6.

Il faut se rappeler que les oméga-6 sont également indispensables à l’organisme mais pas dans les proportions où ils sont consommés actuellement. Les processus inflammatoires, par exemple, dépendent des dérivés des oméga-6. Plus on est imprégné d’oméga-6 et plus le risque de maladies inflammatoires est élevé. De plus, l’acide arachidonique (le principal oméga-6 cellulaire) est un facteur de croissance. Il favorise de ce fait la croissance des cellules cancéreuses. Les oméga-6 augmentent les inflammations, le cancer… Cela fait beaucoup !

Quel est le rapport idéal dans l’alimentation ?

Actuellement, on a un rapport de 10 à 20 pour 1. On devrait pourtant avoir un 4/1 voire 2/1 (mais pour ce dernier rapport nous n’avons pas encore de preuves scientifiques…) Certains chercheurs parlent même d’un rapport de 1 pour 1 ! Vous voyez qu’il faut drastiquement changer nos habitudes alimentaires pour revenir à des ratios oméga-6/oméga-3 raisonnables, semblables à ceux de nos arrières grand-parents.

Combien d’oméga-3 faut-il consommer pour ressentir des effets bénéfiques sur la santé ?

Je parlerais plutôt d’apports optimaux pour se protéger des maladies… Mais même formulé ainsi, ce chiffre reste difficile à donner car cela dépend de nombreux facteurs. Pour répondre à cette question, le mieux est certainement de s’inspirer des populations qui sont spontanément protégées, comme les méditerranéens ou les Japonais. Approximativement, il faudrait 1 à 3 grammes d’oméga-3 d’origine marine par jour. A l’heure actuelle, aux Etats-Unis, on ne consomme en moyenne que 0,3 à 0.5 grammes de ces acides gras. Il faudrait (selon les experts américains, mais c’est aussi vrai pour nous français) au moins multiplier par quatre nos apports actuels. Et encore ! Il faut noter que les apports « officiels » recommandés par diverses institutions un peu « attardées » sont beaucoup plus faibles que les quantités prises par les populations japonaises…

Pour les oméga-3 d’origine végétale, on parle de 2 à 3 grammes par jour, alors qu’aujourd’hui les Français en consomment en moyenne 0,5 à 0,7 grammes.

Comment concrètement améliorer son statut en oméga-3 ?

En ce qui concerne les huiles, c’est très simple : il faut que tout le monde se mette préférentiellement à l’huile de colza car c’est la mieux équilibrée. Ceci est d’ailleurs la première étape à franchir. Mis à part l’huile d’olive, toutes les autres sont à rejeter ou à consommer de manière exceptionnelle.

De plus, il faut promouvoir la consommation d’œufs de poules nourries (ou dont la nourriture a été enrichie) avec des graines de lin. Deux sociétés ou coopératives au moins (la filière Bleu-Blanc-Cœur et la Société Belovo) se sont lancées dans cette production et c’est très intéressant. Ce sont des aliments naturels, et nous devons d’ailleurs retourner à des pratiques naturelles.

Que conseillez-vous aux femmes enceintes ? Aux diabétiques ?

Pour les diabétiques, les besoins en oméga-3 sont encore plus importants que pour les autres personnes. Ainsi, pour une protection comparable contre les maladies du coeur, ils doivent en prendre plus que les autres. Malheureusement, certains médecins ne le savent pas ou l’oublient. Ils restent obsédés par la glycémie et ne parlent pas d’oméga-3 à leurs patients. On ne sait pas très bien pourquoi il existe cette différence chez les diabétiques mais les raisons seraient peut-être d’ordre hormonal.

Pour les femmes enceintes, là aussi les oméga-3 sont une réelle révolution. Un manque de ces acides gras est une véritable catastrophe pour les mamans et leurs bébés, et les autorités (et les médecins) tardent à prendre conscience de ce problème. Aujourd’hui, les femmes enceintes connaissent des déficits importants en oméga-3. Sachant que leur bébé est prioritaire et capte les réserves maternelles, leur déficit est encore plus grand au cours de la grossesse. Et ce déficit se retrouve ensuite dans le lait maternel…

Conseillez-vous de prendre des capsules d’oméga-3 ? 

Cela dépend vraiment des patients, des familles et d’autres facteurs… Ceux qui se nourrissent bien peuvent se passer de capsules. Certains patients sont capables de se tenir à un régime strict. Pour d’autres, on ne peut pas se risquer à ce genre de pari. Mieux vaut dans ce cas-là prendre des capsules.

Les esquimaux ont peu d’infarctus mais apparemment beaucoup d’accidents vasculaires cérébraux. Y a-t-il un risque à consommer trop d’oméga-3 ?

Je crois vraiment qu’il ne faut plus parler de l’épidémiologie des esquimaux. Dans les années 60-70, ils nous ont permis d’éveiller notre attention sur certains phénomènes mais aujourd’hui il s’avère qu’ils ont des modes de vie trop différents des nôtres. L’alcoolisme et le suicide sont deux fléaux très importants dans cette société. Ils ont des modes de vie très dangereux. Ils ne sont donc plus un « bon exemple ». Il existe désormais trop de facteurs de confusion. On se préoccupe plus des études sur les Japonais ou les Islandais, plus fiables.

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