Vitamine B9 et cancer : histoire d’un Janus moderne

Par Collectif LaNutrition.fr - Journalistes scientifiques et diététiciennes Publié le 17/12/2012 Mis à jour le 16/03/2017

La vitamine B9 participe à la prévention des cancers, mais elle pourrait aussi les accélérer. Explications.

Un article récent a suscité une grande incompréhension, voire de la consternation chez tous ceux qui s’intéressent à la nutrition, certains allant même jusqu’à écrire que le site LaNutrition.fr dit tout et son contraire. A qui se fier en effet si tout fout le camp ?

Voici l’affaire en deux mots : les personnes qui consomment des quantités appréciables de vitamine B9, que l’on trouve notamment dans les légumes à feuilles sous la forme de folates, ont moins de risque de cancers, notamment colorectaux. Bien. Et maintenant, le contre-pied : une étude américaine vient de trouver que les personnes qui avaient le plus de B9 dans le sang avaient des changements affectant les gènes qui pouvaient augmenter leur risque de cancer du côlon. D’où les incompréhensions, et les noms d’oiseaux.

A dire vrai, ces résultats, les uns comme les autres sont tout à fait cohérents avec ce que l’on sait de la vitamine B9. Et avec ce que nous avons écrit depuis des années ! Explications.

Les résultats de plusieurs dizaines d’études épidémiologiques convergent pour dire que ceux qui ont le plus de folates dans le sang ont en moyenne un risque de cancer colorectal et de polypes divisé par deux par rapport aux personnes qui ont le moins de cette vitamine. Pour les autres cancers, les preuves sont moins solides, mais cette vitamine jouerait un rôle protecteur dans les cancers de l’oropharynx, l’œsophage, l’estomac, le pancréas.

Malheureusement, on dispose d’un nombre important d’observations qui montrent qu’un régime riche en B9, cette fois par la prise de compléments alimentaires et/ou d’aliments enrichis peut accélérer le développement de cancers chez des personnes qui ont des lésions précancéreuses ou cancéreuses. On l’explique par le fait que les cellules anormales ont un taux de prolifération élevé, et qu’elles ont donc besoin d’une quantité importante de B9 pour synthétiser une base de leur ADN, la thymidine. Et voici une nuance de taille : la forme de vitamine B9 en cause est l’acide folique, une forme synthétisée par les fabricants de vitamines pour mimer la forme naturelle, mais qu’on ne trouve pas dans la nature. L’acide folique est transformé par l’organisme en 5-méthyltétrahydrofolate, qui ressemble en tous points à la forme circulante issue de l’alimentation. Mais cette conversion dépend d’enzymes qui peuvent se trouver saturés lorsqu’on consomme trop d’acide folique. Dans ce cas, comme nous l’indiquions, l’acide folique s’accumule dans le sang sous une forme non métabolisée. On pense que c’est elle qui pose problème, en favorisant la prolifération des cellules. Qu’est-ce que « trop » d’acide folique ? Eh bien, probablement tout ce qui est supérieur à 200 microgrammes par jour, et clairement les fameux 400 microgrammes qu’on trouve dans bon nombre de compléments de vitamines. (1)

Une étude américaine a trouvé qu’aux Etats-Unis les utilisateurs de suppléments de vitamines et minéraux ont dans le sang 40% d’acide folique non métabolisé de plus que les non consommateurs. (2) Car dans ce pays, l’acide folique des suppléments vient s’ajouter à celui ajouté aux aliments céréaliers (enrichissement obligatoire depuis janvier 1998 pour lutter contre les malformations du foetus). Il est possible qu’à des niveaux élevés l’acide folique encourage le développement de cancers. Dans une étude américaine sur 25000 femmes ménopausées, le risque de cancer du sein était significativement plus élevé chez les femmes qui prenaient des suppléments d’acide folique, un groupe dans lequel la consommation était supérieure à 853 mcg par jour.(3)

Que se passe-t-il au niveau moléculaire ? La méthylation de l’ADN est l’ajout d’un groupe méthyle (CH3) à l’ADN, en position 5 de l’anneau cytosine. Ce processus ne change pas la séquence du gène lui-même mais modifie son expression. C’est ce qu’on appelle un processus épigénétique. Les folates participent à la synthèse et à la méthylation du support du code génétique et à ce titre protègent d’aberrations qui conduiraient à la cancérogénèse.

En effet, le défaut de méthylation de certaines régions de l’ADN (hypométhylation) induit une instabilité génétique qui peut favoriser les cellules anormales, et il empêche aussi l’organisme de synthétiser des protéines qui détruisent les cellules cancéreuses.

Mais – et voilà le côté Janus - l’excès de méthylation (hyperméthylation) a des conséquences similaires ! Et l’acide folique semble capable de provoquer une hyperméthylation de certains gènes critiques pour la cancérogénèse.(4)

Comme le Dieu Janus, la B9 semble donc capable du meilleur comme du pire. Le meilleur, ce sont les folates apportés naturellement par les aliments, quelle que soit la dose, et l’acide folique à des doses faibles. Le pire, c’est l’acide folique à dose élevée sur de longues périodes.

Voilà pourquoi depuis des années le site LaNutrition.fr déconseille de consommer plus de 200 microgrammes d’acide folique par jour – je crois que nous avons été les premiers à faire cette mise en garde. En revanche, il n’existe pas de données pour penser qu’on a plus de cancers si on mange plus de légumes contenant des folates.

Donc, mangez vos épinards, lisez vos étiquettes, et surtout continuez de nous suivre…

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Références

(1) Sweeney MR, McPartlin J, Scott J. Folic acid fortification and public health: report on threshold doses above which unmetabolised folic acid appear in serum. BMC Public Health. 2007. p. 41. Disponible à http://www.biomedcentral.com/1471-2458/7/41.

(2) Kalmbach RD, Choumenkovitch SF, Troen AM, D'Agostino R, Jacques PF, et al. Circulating folic acid in plasma: relation to folic acid fortification. Am J Clin Nutr. 2008;88:763–768.

(3) Stolzenberg-Solomon RZ, Chang SC, Leitzmann MF, Johnson KA, Johnson C, et al. Folate intake, alcohol use, and postmenopausal breast cancer risk in the Prostate, Lung, Colorectal, and Ovarian Cancer Screening Trial. Am J Clin Nutr. 2006;83:895–904.

(4) Singal R, Das PM. DNA methylation and cancer. J Clin Oncol. 2004;22(22):4632-4642.

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