Les mauvais conseils de l’Assurance-Maladie aux diabétiques français

Par Thierry Souccar - Journaliste et auteur scientifique, directeur de laNutrition.fr Publié le 16/11/2015 Mis à jour le 10/03/2017
L'essentiel

Les conseils nutritionnels du programme Sophia pour les diabétiques sont toujours insuffisants voire carrément erronés.

La journée mondiale du diabète a eu lieu le 14 novembre. L’Assurance-maladie veut améliorer la vie des diabétiques français, voire faire reculer la maladie. Bravo ! Pour cela, elle a mis sur pied dès 2008 un programme de conseils et d’assistance gratuit auquel auraient déjà déjà adhéré 600000 personnes. Encore bravo !

Sophia repose sur un service de "coaching" téléphonique assuré par des infirmiers et infirmières qui s'assurent du suivi du traitement des adhérents, en liaison avec les quelque 56000 médecins qui participent au programme.

Mais Sophia c’est aussi des conseils pour les traitements, la prévention des complications et le mode de vie. La qualité des conseils portant sur le mode de vie est très importante dans la mesure où de bons conseils nutritionnels peuvent permettre aux diabétiques dans de très nombreux cas (si le diabète est d'apparition récente) de retrouver la santé pleine et totale, comme le montrent les études depuis 1984.

Il ya deux ans, LaNutrition.fr était donc allé voir du côté des conseils alimentaires de Sophia aux diabétiques. Nous avions analysé une fiche alors disponible au téléchargement, qui concerne les glucides. Disons-le, le bilan était consternant et ces conseils pas de nature à inverser le diabète.

Dans ce livret, Sophia y faisait la distinction entre d’un côté les « glucides complexes (…) absorbés lentement par l’organisme » et les « glucides simples (…) transformés rapidement en énergie », en justifiant ce distingo par le fait que « la notion de sucres lents et rapides n’est plus utilisée ». Le problème, c’est que le concept de glucides simples et complexes n’est lui-même plus utilisé depuis les années 1980 !

On utilise aujourd’hui les notions d’index et de charge glycémiques, dont il n’était pas dit un mot dans ce document. La raison en est que de très nombreux « glucides complexes » ne sont absolument pas « absorbés lentement par l’organisme » comme le fait croire l'Assurance-Maladie, mais peuvent se comporter au contraire comme du glucose, un sucre « simple ». Le pain complet (de blé) cité par Sophia comme un exemple de glucide complexe élevant « de façon progressive » la glycémie, ne l’élève pas du tout progressivement. Son index glycémique est de 76, ce qui le classe parmi les IG élevés (au-dessus de 70), donc à manier avec prudence dans le diabète. Le riz, lui aussi classé parmi les fameux glucides complexes, a un IG extrêmement variable mais le plus souvent élevé. Seuls certains riz (basmati) ont un IG modéré. La semoule de blé et les pâtes, qui figurent dans la même liste ont elles, un IG modéré mais attention aux portions, car intervient alors la notion de charge glycémique (CG) : des quantités importantes de ces aliments (une bonne assiette de pâte) conduisent à des CG élevés, c’est-à-dire à une annulation du bénéfice d’un index glycémique faible – on va y venir.

Le livret de Sophia donnait des repères de consommation de glucides, par exemple « une portion de céréales, c’est 60 grammes de pain complet ». La charge glycémique de ces soixante grammes est de 25 environ, ce qui est élevé dans le régime d’un diabétique (une CG supérieure à 20 est jugée élevée). Les 50 grammes de muesli et de flocons d’avoine cités par le livret avaient en revanche une CG modérée de 17 environ. Mais les 150 grammes de pâtes, par exemple des spaghettis, ont une CG de l’ordre de 22 - c’est trop haut. De même 150 g de riz blanc conduisent à une CG de… 36 ! Les deux pommes de terre qui étaient conseillées – soit environ 160 grammes, ont, si elles sont cuites au four (le livret ne donne aucun conseil sur la cuisson) une CG de 27.

Côté « sucres simples » ce n'était pas mieux. Etaient mis dans le même sac les fruits, les sucreries, le miel et le lait. La place du lait dans la catégorie des sucres simples avait de quoi surprendre. On suppose que c’est parce qu’il contient du lactose. Mais le livret ne disait pas que 30 à 40% de la population française ne peut pas digérer le lactose et aurait donc de bonnes raisons de se tenir à distance du lait. Passons. D’après la classification des sucres simples, exhumée on ne sait comment par Sophia après avoir été enterrée il y a 30 ans, les diabétiques devraient consommer avec modération pomme, orange, pêche, abricots, kiwis. Voyons leur CG. Une pomme a une CG de 6, une orange de 4, une pêche de 5, deux abricots ont une CG de 4 et deux kiwis une CG de 8 : des CG basses ou modérées. On voit que dans tous les cas, la CG des soi-disant « sucres simples à consommer avec modération » est bien meilleure que celles des « glucides complexes à consommer à chaque repas ». En plus, les fruits apportent des antioxydants, des fibres, des vitamines, des composés phénoliques, des minéraux, tous éléments qui contribuent à lutter contre les complications du diabète ou à les prévenir.

Ces inepties étaient entérinées par « un comité scientifique qui regroupe des membres de l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (Inpes), de la Haute Autorité de santé (HAS), du conseil national de l'Ordre des médecins, de syndicats de médecins, d'associations de patients, de réseaux de santé, de sociétés savantes. »

Qu'est-ce qui a changé ?

L'article de LaNutrition.fr avait semé la panique au sein de l'Assurance-maladie, qui s'était empressée de supprimer le lien vers le livret concerné, et de corriger un texte consacré aux glucides en mentionnant en 13 lignes l'existence de l'index glycémique. Nous sommes donc retournés chez Ameli pour voir si les choses avaient évolué. Eh bien, pas du tout. 

Il n'y a toujours aucun tableau d'index glycémique des aliments. Il n'y a toujours rien sur la charge glycémique. Et les fameux glucides complexes et simples, notion que l'Organisation mondiale de la santé conseille depuis longtemps d'abandonner sont de retour. Ainsi, le livret "Glucides dans l'alimentation" qui est accessible comme "document téléchargeable" apprend aux patients que les "glucides complexes" du pain complet, des céréales, du riz, de la semoule "sont absorbés lentement par l'organisme." Quant aux "glucides simples" que l'on trouve dans les fruits comme la pomme, l'orange, la pêche, "ils sont transformés rapidement en énergie." Et tous les mauvais exemples de la première version sont de nouveau là. Bref, c'est à désespérer. 

C'est d'autant plus à désespérer que l'intérêt de la charge glycémique pour prédire la glycémie et l'insulinémie qui suivent un repas est bien établi, et qu'il est supérieur au simple calcul des glucides. Le domaine est d'ailleurs en passe de s'affiner rapidement avec le développement d'une autre notion de pointe, l'index insulinémique (II), très fiable, mais pour l'instant encore limité par des tables d'aliments incomplètes. L'II mesure non pas la réponse glycémique d'un aliment ou d'un repas, mais leur réponse en termes de sécrétion d'insuline. En effet, certains aliments peu glucidiques ont des effets marqués sur l'insuline sans pour autant avoir un IG élevé. C'est le cas des produits laitiers, des haricots cuits, du chocolat. Par ailleurs, les graisses peuvent amplifier la sécrétion d'insuline induite par les glucides comme cela avait été montré dès 1988 par David Jenkins et son équipe (et repris de manière un peu frustre par Montignac dans ses conseils de ne pas associer glucides et graisses). J'y reviendrai à coup sûr avant que l'Assurance-Maladie n'en parle aux diabétiques français.

Les valeurs d'IG et de CG sont extraites du Guide des index glycémiques réalisé par l'équipe de LaNutrition.fr

A lire, le guide indispensable à tous ceux qui souffrent d'un diabète et à ceux dont la glycémie est un peu élevée : Le régime IG Diabète.

 

 

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