Alzheimer débute dans l’intestin, disent des chercheurs

Par Juliette Pouyat - Journaliste scientifique Publié le 24/01/2017 Mis à jour le 21/08/2020
Actualité

Le déséquilibre du microbiote intestinal provoque des changements métaboliques qui influencent le risque de maladie d’Alzheimer.

Pourquoi c’est important

Selon les estimations, 36 millions de personnes souffraient de démence dans le monde en 2010 et le nombre de cas risque de doubler tous les 20 ans. 115 millions de personnes pourraient être concernées en 2050. La maladie d’Alzheimer est la forme la plus répandue de démence et représente entre 60 et 80 % des cas.

On sait que les troubles cognitifs, le stress oxydant, l’inflammation, la résistance à l’insuline, le trouble du métabolisme lipidique observés dans la maladie d’Alzheimer sont influencés par les bactéries intestinales (le microbiote) et les aliments qui les nourrissent (prébiotiques) ou qui apportent des bactéries (probiotiques). Ainsi, l'alimentation influence la santé mentale, le déclin cognitif et même le risque de démence. Cependant, la manière dont le régime alimentaire et les microbes intestinaux interagissent et influencent la santé du cerveau - en tant que cause, facteur déclenchant ou facteur de risque / protection - est un domaine de recherche relativement nouveau pour la maladie d'Alzheimer.

Lire : Le nouveau guide des probiotiques et Maigrir de plaisir en charmant ses bactéries de Martine Cotinat

Ce que les chercheurs ont trouvé

Alzheimer et microbiote

Plusieurs études dont les résultats ont été présentés lors de l’Alzheimer's Association International Conference (AAIC) 2018 à Chicago suggèrent que le microbiote intestinal intervient dans la maladie d’Alzheimer. 

Par exemple, certaines bactéries de la flore intestinale pourraient promouvoir la formation de plaques de protéines dans le cerveau, ce qui est important car la maladie d'Alzheimer se caractérise par l'accumulation de protéines amyloïdes et Tau dans le cerveau (les plaques séniles). Des expériences sur les souris ont aussi montré qu'un changement alimentaire entraînant une flore bactérienne nouvelle pouvait réduire les plaques amyloïdes, diminuer l'inflammation et améliorer la mémoire.

La modification du métabolisme de certains lipides est aussi un facteur important dans le développement de la maladie d’Alzheimer. Plusieurs des gènes associés à la maladie d’Alzheimer, dont le gène ApoE4, sont impliqués dans le transport ou le métabolisme des lipides. Les lipides sont des constituants majeurs du cerveau ce qui explique qu’un changement dans le métabolisme lipidique puisse avoir un effet significatif sur la structure et les fonctions cérébrales. Le flux sanguin alimente le cerveau en lipides et la majorité des lipides circulants sont synthétisés au niveau de l’intestin mais aussi du foie.

Des chercheurs ont mesuré le niveau de plus de 400 lipides chez 800 participants : 200 en bonne santé, 200 atteints de la maladie d’Alzheimer et 400 avec un léger déficit cognitif. Les résultats montrent que le métabolisme des lipides est perturbé chez les personnes touchées par la maladie d’Alzheimer. Plusieurs lipides sont altérés de manière significative chez les personnes Alzheimer et les chercheurs ont notamment trouvé une mauvaise incorporation des acides gras polyinsaturés (EPA, DHA) au sein de ces lipides. Et la consommation d’huile de poisson n’a pas permis de ramener le niveau de ces lipides à la normale.

Une autre étude rapportée à la conférence de Chicago s’est intéressée aux acides biliaires, des produits issus du métabolisme du cholestérol produits au niveau du foie et par le microbiote intestinal. L’étude montre notamment que les acides biliaires secondaires produits par le microbiote intestinal augmentent chez les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer, un phénomène associé à des modifications fonctionnelles et structurelles du cerveau, notamment un déclin cognitif, une réduction du métabolisme du glucose dans le cerveau et une plus grande atrophie cérébrale. Ces mêmes acides biliaires sont associés à une accumulation accrue de protéines amyloïdes et de protéines tau.

"Même si la recherche sur le microbiote est encore balbutiante, elle pourra bientôt nous en dire plus sur comment et pourquoi les bonnes graisses maintiennent le cerveau en bonne santé et nous aider à faire les meilleurs choix alimentaires", explique la chercheuse Maria Carrillo de l'Association Alzheimer américaine.

Lire aussi : Les vrais mécanismes physiologiques à l’œuvre dans la maladie d’Alzheimer et Stratégie alimentaire pour préserver la mémoire

Le rôle joué par la dysbiose et le vieillissement

Dans une étude parue dans la revue Sciences Advances en juillet 2020 (3), des chercheurs américains montrent que la dysbiose, c'est-à-dire le déséquilibre du microbiote, est associée à la progression de la plaque amyloïde. Ces résultats ont été obtenus dans un modèle de souris pour la maladie d’Alzheimer.

Dans le cerveau de patients Alzheimer, il a été observé qu’une enzyme, appelée AEP (asparagine endopeptidase), est activée. Cette enzyme, présente dans des lysosomes, est active en cas d’acidose. Elle clive le précurseur de la protéine amyloïde (APP) et la protéine Tau, ce qui favorise à la fois la progression de l’amyloïde et la dégénérescence neurofibrillaire (chez la souris). Dans le cerveau humain, cette enzyme clive également les mêmes protéines. Si on supprime cette enzyme chez la souris, il est possible de restaurer des fonctions cognitives.

Dans cette étude, les chercheurs ont montré chez la souris que la dysbiose est liée à l’âge et est associée à une activation de la voie de l’enzyme AEP, conduisant à la production d’amyloïde. En d’autres termes, chez des souris génétiquement prédisposées à Alzheimer, le vieillissement conduit à une dysbiose au niveau intestinal, ce qui accélère la voie de l’AEP.

Ces résultats semblent confirmer que tout part d’un déséquilibre de la flore intestinale. De plus, toujours chez la souris, des traitements antibiotiques pourraient permettre de lutter contre le développement de la maladie. Inversement, des prébiotiques peuvent favoriser des bactéries bénéfiques comme Lactobacillus salivarius, qui s’opposent à cette voie de l’AEP.

Les probiotiques pourraient améliorer la fonction cognitive

Plusieurs études, menées notamment sur des rats et des souris, montrent que les probiotiques semblent avoir un impact bénéfique sur la fonction cognitive. Et les études cliniques préliminaires semblent rejoindre les résultats obtenus sur les modèles animaux même s’il faut réaliser d’autres travaux pour confirmer cela.

Une étude menée sur 60 patients a montré qu’une supplémentation en probiotiques peut d’ailleurs améliorer la fonction cognitive chez des sujets âgés atteints de la maladie d’Alzheimer. Le groupe qui avait reçu les probiotiques avait également montré une diminution de la résistance à l’insuline et du niveau de triglycérides, suggérant que les améliorations métaboliques pourraient représenter un mécanisme par lequel les probiotiques ont un impact sur la maladie d’Alzheimer et d’autres troubles neurologiques.

Pour les chercheurs, la maladie d’Alzheimer commencerait dans l’intestin et pourrait être étroitement liée au déséquilibre du microbiote intestinal. Le microbiote intestinal  régule notamment la fonction cérébrale et le comportement à travers l’axe intestin-cerveau.

D’autres études suggèrent que certaines espèces du microbiote intestinal peuvent favoriser l’accumulation de protéines dans le cerveau. Cela peut être important car l'accumulation des protéines amyloïdes et Tau est la marque de la maladie d'Alzheimer. Et des études récentes sur des modèles de souris « Alzheimer » suggèrent que le changement du profil bactérien dans le tube digestif pourrait réduire les plaques amyloïdes, réduire l'inflammation et améliorer la mémoire.

Mieux comprendre le lien entre le microbiote et Alzheimer

De nombreuses maladies chroniques, comme le diabète, sont associées à des déséquilibres du microbiote intestinal. Mais c’est aussi vrai pour des pathologies qui concernent le système nerveux : la dépression, l’autisme, la maladie de Parkinson… Bien qu’on ne connaisse pas précisément le mécanisme à l’origine de la maladie d’Alzheimer, il semble acquis que des paramètres génétiques et environnementaux (alimentation…) interviennent.

Le microbiote intestinal contrôle des fonctions cérébrales grâce à l’axe intestin-cerveau : il peut donc influencer des troubles cognitifs, comme la maladie d’Alzheimer.

Chez l’animal, il a été prouvé que :

  • l’absence de microbiote, la prise d’antibiotiques ou inversement de probiotiques, les infections, l’alimentation, agissent sur la flore intestinale mais aussi sur le comportement et le risque de maladie d’Alzheimer,
  • une perturbation du microbiote, due à des antibiotiques par exemple, a un impact sur les dépôts amyloïdes.

Chez l’homme, on sait que :

  • le microbiote intestinal des patients Alzheimer diffère des personnes en bonne santé,
  • chez les malades touchés par la maladie d'Alzheimer, la diversité du microbiote est réduite et sa composition différente : les patients possèdent moins de bactéries Firmicutes et de Bifidobacterium, et plus de bactéries Bacteroidetes,
  • chez les patients âgés souffrant de maladie d’Alzheimer, il y a moins de bactéries susceptibles de fabriquer du butyrate, un acide gras à chaîne courte (AGCC), et plus de bactéries pro-inflammatoires. Les AGCC présentent de nombreux bienfaits pour la santé, et pas seulement au niveau de l'intestin.

Lire aussi : Des liens entre le microbiote et le vieillissement

En pratique

La maladie d'Alzheimer a probablement plusieurs origines. Mais la perturbation du microbiote intestinal peut augmenter la perméabilité intestinale et la perméabilité de la barrière hémato-encéphalique, et provoquer une inflammation systémique qui conduisent à des troubles neurologiques. Un déséquilibre du microbiote intestinal conduit également à des troubles métaboliques qui ont des conséquences sur les performances cognitives.

De fait, nos habitudes alimentaires et notre mode de vie ont été modifiés avec les pesticides (et autres toxiques de l'environnement), l’abus d'aliments ultra-transformés qui apportent conservateurs et additifs, mais aussi l'abus d'antibiotiques. Ces changements provoquent un "effondrement" du microbiote intestinal. Il est donc important de se nourrir surtout d'aliments peu transformés, une pratique qui est associée à une meilleure santé et peut-être à un risque réduit de maladie neurodégénérative.

Quelques règles diététiques peuvent vous aider à restaurer votre microbiote : mangez beaucoup de légumes et fruits riches en fibres, misez sur les légumineuses et évitez les glucides raffinés. Pour en savoir plus, lisez notre article : comment restaurer son microbiote (abonnés).

Dans La fin d'Alzheimer, le Dr Dale Bredesen donne un protocole complet permettant de diminuer son risque d'Alzheimer mais aussi d'inverser ses symptômes, et comportant de nombreuses recommandations alimentaires.

Des livres pour aller plus loin : La fin d’AlzheimerLa fin d'Alzheimer - Le programme et Le régime cétogène pour votre cerveau

Références
  1. Xu Hu, Tao Wang & Feng Jin. Alzheimer’s disease and gut microbiota. Science China, Life Sciences. October 2016 Vol.59 No.10: 1006–1023 doi: 10.1007/s11427-016-5083-9.
  2. Akbari E, Asemi Z, Daneshvar Kakhaki R, Bahmani F, Kouchaki E, Tamtaji OR, Hamidi GA and Salami M (2016) Effect of Probiotic Supplementation on Cognitive Function and Metabolic Status in Alzheimer's Disease: A Randomized, Double-Blind and Controlled Trial. Front. Aging Neurosci. 8:256. doi: 10.3389/fnagi.2016.00256.
  3. Chen et al. Gut dysbiosis contributes to amyloid pathology, associated with C/EBPβ/AEP signaling activation in Alzheimer’s disease mouse model. Sciences Advances. 2020.

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