Des autistes contre les terroristes, par Jean-Paul Curtay

Par Thierry Souccar - Journaliste et auteur scientifique, directeur de laNutrition.fr Publié le 24/11/2015 Mis à jour le 10/03/2017
Point de vue
Pour pallier les ratés de la lutte antiterroriste, le Dr Curtay propose de faire appel à des "hypersensibles, hyperobservateurs" : les autistes.

Le 13 novembre 2015, c’était la Journée de la gentillesse. J’ai publié plusieurs posts sur ce sujet sur ma page Facebook et autres réseaux sociaux, puis une vidéo sur le bonheur que j'avais tournée pour le Parcours Okinawa.

Quelques minutes plus tard (3 heures après le début des attaques), je reçois l'information des  7 attentats et 120 tués...

Perturbé, je me dis que je vais regarder un documentaire et je tombe sur celui ci où le prix Nobel Daniel Kahneman et ses collaborateurs expliquent les biais cognitifs qui nous mènent tous à faire des erreurs et démontre comment cela fonctionne avec des agents de services de renseignement mélangés à des novices.

Dans le reportage, 12 analystes, certains confirmés, d’autres novices, doivent déterminer quelle organisation criminelle prépare une attaque terroriste, à partir d’un faisceau d’indices. Mais il y a des pièges, et parmi ceux-ci, le « biais de confirmation », par lequel on a tendance à rechercher une information qui vient soutenir ce que nous croyons. Dans cet exercice, le biais de confirmation va mettre en échec 11 des analystes. Un seul évite le piège et c'est un novice !

Cela pourrait expliquer que les services de renseignement n'arrivent pas après Charlie, le supermarché Kasher, Toulouse, à reprendre la main. J’ai une proposition à faire.

Les Anglais ont fait une campagne pour qu'on ne laisse pas les autistes au chômage et qu'on emploie leurs capacités exceptionnelles. Celles-ci pourraient être mises au service de la lutte antiterroriste.

Il y a un chevauchement très probable entre l'intelligence précoce et la forme d'autisme "hyper-intelligent", dit d'Asperger, qui est loin d'être forcément invalidant.

Léonard de Vinci, Michel Ange,  Mozart, Goya, Beethoven, Newton, Darwin, Nietzsche, Dostoievsky, Evariste Galois, Einstein, Paul Dirac, Van Gogh, Alan Turing, Ettore Majorana... étaient très probablement Asperger. Plus près de nous, Jacha Heifetz et Nathan Milstein considérés comme faisant partie des plus grands violonistes de tous les temps, Vladimir Horowitz et Glenn Gould, leurs équivalents pour le piano, Mark Rothko, Keith Haring et Jean Michel Basquiat, ces deux derniers, peintres exceptionnels à la création fulgurante (malheureusement tous deux morts très jeunes), Isidore Isou, le fondateur du Lettrisme et l'auteur de La Créatique, Yayoi Kusama, Alexandre Grothendieck, un mathématicien d'une envergure inouïe, Aaron Swartz, un informaticien qui a co-inventé le RSS à l'âge de 14 ans et lisait en moyenne 70 livres par an (et qui s'est tristement suicidé à l'âge de 26 ans)... l'étaient de toute évidence aussi.

Le problème est que cette hypersensibilité est une hypersensibilité aux "bonnes" et aux "mauvaises" choses. Aux bonnes choses, cela donne une curiosité insatiable dans de nombreux domaines et une capacité d'observation hors du commun (suivi d'une intégration et de percées fulgurantes dans la compréhension, la découverte, l'invention).

Aux mauvaises choses, cela donne, une répulsion pour beaucoup de comportements indésirables, de l'insécurité, de l'anxiété, un grand manque de confiance et une forte tendance à la dépression, parfois, une grande difficulté d'adaptation à la réalité d'une société encore très primairement "reptilienne", préoccupée d'abord de sa survie et de son confort par la dominance, même quand c'est aux dépends des autres. Et c'est souvent particulièrement aux dépends des créateurs qui sont rejetés, ignorés, laissés sans moyens à la hauteur de leurs besoins de créer, de leur vivant, puis mythifiés et hyper-exploités après leur mort. 

Les TOC semblent être une défense par rapport à ces aspects négatifs, ayant pour fonction de contrôler, de sécuriser, de même que l'hyper-investissement intellectuel et la distance affective. Le manque de confiance et le perfectionnisme, entraînent lenteur et procrastination. Vinci a laissé inachevées la plupart de ses œuvres et a accumulé, comme beaucoup des géants culturels cités, des masses d'idées et de dessins dans ses carnets, non publiées. Darwin a mis des dizaines d'années avant de publier son Origine des Espèces, et ne l'a fait que contraint, après avoir reçu une lettre formulant ses mêmes idées sur l'évolution par Wallace.

Les troubles du spectre autistiques sont associés à un e hyperactivité avec déficit d’attention dans 43 à 55% des cas selon les études. L’épilepsie (dont la pathophysiologie est une hyperactivation  des réseaux glutamaergiques et aspartaergiques à récepteurs NMDA) est plus fréquente que chez les non-autistes.

On trouve chez les autistes plus de neurones et parfois une vitesse de conduction nerveuse supérieure. La fréquence de la surdouance et des capacités intellectuelles et créatives exceptionnelles est élevée dans la forme syndrome d’Asperger.

Ce surdéveloppement cérébral serait dû à un excès de chlore intraneuronal qui inverse le rôle du GABA. Le GABA est stimulant de la multiplication neuronale in utero, mais cet effet s’inverse normalement à la naissance. La présence de plus de chlore intra-neuronal après la naissance continue à rendre le GABA facteur de croissance cérébral (voir les travaux de l'Inserm).

La plupart des autistes repèrent plus vite un motif atypique dans une série ou un environnement, peuvent simultanément traiter de grandes quantités d'informations perceptives, dans des ensembles volumineux de données, et avoir une vision heuristique de type down-up, c'est-à-dire basée sur les données (très utile pour analyser des systèmes à grand nombre de données), mieux que les non-autistes.

Certains autistes peuvent exceller dans certaines tâches, même non répétitives, grâce à une forte capacité de concentration qui en font parfois de réels « experts autodidactes ».

Certains autistes possèdent une bonne capacité de discrimination, par exemple en détectant plus facilement une forme dans un contexte distrayant, un motif musical au sein d'un morceau de musique ou de bruit par exemple). Ils possèdent parfois des capacités particulières d'apprentissage ou des formes différentes d'analyse des problèmes (parfois plus efficace et jusqu'à 40 % plus rapidement dans le test des matrices progressives de Raven (test d'intelligence non-verbale), avec dans ce cas la mobilisation d'aires différentes du cerveau chez les autistes).

Enfin, ils ont peut-être toujours l'impression qu'il y a un problème à résoudre.

Les différences d'activation de certaines régions du cerveau montrées par l'imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) pourraient ne pas être seulement une preuve d'un trouble du fonctionnement du cerveau, mais aussi la preuve d'une organisation alternative du cerveau (observée comme efficace, par exemple lors de tests d'intelligence non-verbale).

Ainsi, les variations de volume du cortex cérébral sont considérées comme des facteurs de déficit quand elles sont associées à l'autisme, peut-être à tort quand il s'agit d'un épaississement. Cette organisation différente permettrait parfois d'effectuer certaines tâches complexes avec plus de succès.

Mon conseil : les services antiterroristes devraient faire appel à des autistes d'Asperger qui sont hypersensibles et hyperobservateurs et ne tiennent aucun compte des a priori circulants. 

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