Pourquoi il faut encourager les mamans à allaiter

Par Juliette Pouyat - Journaliste scientifique Publié le 09/02/2016 Mis à jour le 10/03/2017
L’allaitement est bénéfique pour la santé de la mère et de son enfant. Et les bénéfices sont visibles à long terme. Découvrez lesquels.

En 2014, moins de 40% des nourrissons nés dans le monde étaient exclusivement nourris au sein avant l'âge de 6 mois. En France, 75% des femmes souhaitent allaiter selon l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (Inpes) mais dans les faits la durée moyenne d'allaitement exclusif est de 7 semaines et celle d’allaitement mixte (sein et biberons), de 17 semaines selon une étude publiée par l'Institut national de veille sanitaire (Invs).

Or, l’allaitement est d’autant plus bénéfique pour la santé de l’enfant qu’il dure longtemps. Détail non négligeable, l’allaitement a des avantages économiques au sein d’une famille mais aussi à plus grande échelle, en protégeant d’un certain nombre de maladies. Pourtant, les moyens et les mesures nécessaires pour que dans les faits les femmes puissent sereinement allaiter sur une longue période sont insuffisants.

Allaiter sauve des vies : celle des enfants, celle des mamans

Une nouvelle étude parue dans The Lancet rapporte qu’augmenter l’allaitement maternel à travers le monde pour les nourrissons et les jeunes enfants pourrait sauver 800000 vies par an - ce qui équivaut à 13% des décès d’enfants de moins de 2 ans - et en même temps prévenir 20000 décès par cancer du sein chaque année. Les mères qui allaitent retirent en effet des bénéfices de cette pratique. L’allaitement diminue en effet le risque de cancer et d’infarctus, a un rôle protecteur vis-à-vis du cancer du sein mais aussi du cancer des ovaires.

Dans les pays à revenus élevés, seulement un enfant sur 5 est allaité jusqu’à son premier anniversaire. Dans les pays à faibles et moyens revenus, un enfant sur 3 est allaité exclusivement jusqu’à ses 6 mois. "En conséquence, des millions d’enfants ne reçoivent pas tous les bénéfices que peut procurer l’allaitement maternel" disent les auteurs.

Cette étude est une analyse de grande ampleur et très détaillée sur les niveaux, les habitudes et les bénéfices de l’allaitement dans le monde entier. Pour cela les chercheurs ont recueilli et analysé les données de 28 revues et méta-analyses.

Leurs résultats montrent que l’allaitement n’a pas seulement des effets bénéfiques sur la santé des enfants et des mères, il a également un fort impact sur l’espérance de vie. « Par exemple, dans les pays à revenus élevés, l’allaitement réduit le risque de mort subite du nourrisson alors que dans les pays à faibles et moyens revenus, l’allaitement pourrait diminuer les épisodes de diarrhée et les infections respiratoires ».

«Il existe une idée fausse largement répandue que les bénéfices de l’allaitement ne concernent que les pays pauvres » disent les auteurs. « Notre étude montre clairement que l’allaitement sauve des vies et de l’argent dans tous les pays, pauvres ou riches ».

Les auteurs soulignent également que si le taux d’allaitement maternel augmente, les coûts de traitement de certaines maladies infantiles pourront diminuer et ainsi soulager les systèmes de santé.

Selon les chercheurs, la commercialisation agressive des substituts du lait maternel sape les efforts pour améliorer les taux d’allaitement. « Actuellement la promotion de l’allaitement vise à encourager les femmes à allaiter sans fournir les conditions économiques et sociales nécessaires comme des structures de soutien, des droits de maternité adéquats, des interventions en milieu de travail, le conseil et l’éducation » expliquent les auteurs.

Lire : Bien manger pendant 9 mois, de Laetitia Agullo

 

Allaiter, c'est bon pour la flore intestinale des enfants et leur immunité

Il existe de nombreuses différences entre le lait maternel et les formules de lait infantile, à base de lait de vache. Ces différences semblent avoir un impact sur le développement de l'intestin chez l'enfant.

A la naissance, l'intestin est immature et stérile, l'alimentation déterminerait le type de bactéries qui le coloniseront pour aboutir à un système digestif mature capable de recevoir une alimentation solide. L'intestin étant également un des piliers du système immunitaire, certaines recherches ont déjà mis en avant un risque plus élevé de diabète de type-1 chez les enfants nourris au lait de vache ou plus de risques d'allergies.

Des chercheurs américains ont comparé la flore intestinale et l'expression de certains gènes qui contrôlent le système immunitaire chez des enfants âgés de trois mois et exclusivement nourris au sein ou avec un lait infantile à base de lait de vache. Ils ont ainsi pu constater que les enfants nourris au sein ont une flore bactérienne plus riche et diversifiée et que leur système immunitaire est plus mature.

Cette influence de l’allaitement sur le microbiote intestinal et notamment sur sa composition, sa diversité et sa stabilité aurait ensuite un impact sur la capacité du bébé à faire la transition entre le lait et les aliments solides. 

Lire sur le microbiote et les moyens de le renforcer : Paléobiotique (lire un extrait ICI >>)

 

Allaiter, c'est bon pour l'équilibre psychologique des ados 

« Allaiter plus longtemps semble avoir de sérieux bienfaits pour la santé mentale de l’adolescent », explique le docteur Wendy Oddy, de l’Institut de recherche et de santé de l’enfant de West Perth (Australie).

Wendy Oddy et ses collègues ont étudié 2366 enfants, soumis à une évaluation de leur santé mentale à 2 ans, 5 ans, 8 ans, 10 ans et 14 ans. Parmi ces enfants, 11 % n’ont pas été allaités, 38 % l’ont été pendant moins de six mois et 51 % ont été allaités plus de six mois.

Après chaque évaluation, les chercheurs ont observé que les enfants qui ont été allaités pendant moins de six mois ont davantage de problèmes de comportement. Ils intériorisent davantage, par exemple, la dépression, mais extériorisent plus leur agressivité.

Cependant, pour chaque mois d’allaitement supplémentaire, le comportement s’améliorait. « L’allaitement aiderait les enfants à mieux supporter le stress et renforcerait le lien mère-enfant », notent les chercheurs.

Allaiter, c'est bon pour le QI 

Les enfants nourris exclusivement au lait maternel pendant au moins les 3 premiers mois de leur vie auraient, à l’âge de 6 ans, un quotient intellectuel supérieur aux enfants qui n’ont pas été allaités. Ce bénéfice se poursuit-il à l’âge à l’adulte ? Il semblerait que oui…

Une étude récente parue dans la revue The Lancet Global Health montre en effet qu’une durée d’allaitement maternel plus longue est associée à une intelligence accrue à l’âge adulte, des études plus longues et des revenus plus élevés.

Les études d’observation menées sur les adultes dans des pays à revenus élevés n’ont pas permis de dégager une conclusion claire en raison du modèle social de l’allaitement. Ces études pourraient avoir surestimé les bénéfices de l’allaitement sur les performances aux tests d’intelligence qui sont également liées au statut socioéconomique.

Ici, les chercheurs ont analysé les données concernant 3493 enfants nés au Brésil en 1982. Les informations sur l’allaitement maternel ont été recueillies durant la petite enfance. Les participants ont passé un test de Quotient Intellectuel (QI, Wechsler Adult Intelligence Scale) lorsqu’ils avaient 30 ans en moyenne et des informations sur le niveau d’études et sur les revenus ont également été collectées.

Les résultats montrent que l’allaitement, et ce quelle que soit sa durée, est associé à une intelligence accrue chez l’adulte, des études plus longues et de meilleurs revenus. Cependant, plus un enfant est allaité longtemps (jusqu’à 12 mois), plus ces bénéfices sont importants. Par exemple, par rapport à un enfant allaité moins d’un mois, un enfant qui a été allaité au moins un an gagne 4 points de QI, a en moyenne une scolarité plus longue de 0,9 année et un revenu mensuel supérieur d’environ 100 euros à l’âge de 30 ans.

 « Les effets bénéfiques du lait maternel sur l’intelligence sont probablement dus à la présence d’acides gras saturés à longue chaine, essentiels pour le développement du cerveau. Nos résultats suggèrent que la quantité de lait consommé joue vraisemblablement un rôle ».

Lire : l'allaitement améliorerait les résultats scolaires des enfants

 

Allaiter, c'est bon pour leur ligne

Certaines études ont suggéré que l’effet bénéfique de l’allaitement sur le risque de surpoids et d’obésité a été exagéré. L’influence de nombreux facteurs sur le choix d’allaiter ou non (niveau socio-économique, éducation, revenus…) et leur prise en compte (ou non) dans les études ont mené à des résultats contradictoires quant à l’association entre allaitement et risque d’obésité. Une étude parue dans Plos One a utilisé une méthode d’analyse (méthode des scores de propension) permettant aux chercheurs de minimiser l’influence des facteurs de confusion sur l’association entre allaitement et obésité.

Les chercheurs ont analysé les données concernant 13 163 enfants et adolescents âgés de 3 à 17 ans. Parmi les participants, 43% ont été allaités durant au moins 4 mois. Les chercheurs ont pris en compte un grand nombre de variables susceptibles d’impacter l’association entre allaitement et risque de surpoids/obésité.

Leurs résultats montrent qu’un allaitement d’au moins 4 mois permet de diminuer le risque de surpoids et de d’obésité de 33% et 44% respectivement chez les enfants âgés de 7-10 ans.

Il semblerait que l’effet que l’allaitement peut avoir sur l’évolution de l’indice de masse corporelle semble varier en fonction de l’âge de l’enfant. La composition du lait humain est parfaitement adaptée aux besoins du nourrisson et a la particularité d’évoluer en fonction de l’âge de l’enfant. Les préparations infantiles sont plus riches en protéines, ce qui favorise l’obésité.

Lire : Bien grandir, de Edouard Berthelot-Lebrun

 

Allaiter, c'est bon pour les poumons

D’après une étude publiée dans l’European Respiratory Journal, les enfants qui sont exclusivement allaités durant six mois auraient moins de risques que les autres de développer un asthme au cours des quatre premières années de leur vie.

Les chercheurs du Centre Médical Erasmus, aux Pays-Bas, ont analysé les données de 5638 enfants afin d’évaluer la relation entre l’allaitement (sa durée et son exclusivité) et le développement des symptômes de l’asthme (respiration sifflante, essoufflements, toux sèche et mucosités).

Comparés aux enfants qui ont été allaités durant un minimum de 6 mois, ceux qui n’ont jamais été allaités ont un risque bien plus important de développer les symptômes de l’asthme avant l’âge de 4 ans (augmentation du risque de 25 à 57 % selon les symptômes).

Sources

Cesar G Victora, Rajiv Bahl, Aluísio J D Barros, Giovanny V A França, Susan Horton, Julia Krasevec, Simon Murch, Mari Jeeva Sankar, Neff Walker, Nigel C Rollins. Breastfeeding in the 21st century: epidemiology, mechanisms, and lifelong effect. The Lancet, 2016; 387 (10017): 475 DOI: 10.1016/S0140-6736(15)01024-7

Nigel C Rollins, Nita Bhandari, Nemat Hajeebhoy, Susan Horton, Chessa K Lutter, Jose C Martines, Ellen G Piwoz, Linda M Richter, Cesar G Victora. Why invest, and what it will take to improve breastfeeding practices? The Lancet, 2016; 387 (10017): 491 DOI: 10.1016/S0140-6736(15)01044-2

Schwartz S. et al. A Metagenomic Study of Diet-Dependent Interaction Between Gut Microbiota and Host in Infants Reveals Differences in Immune Response. Genome Biology 2012, 13:R32.

Wendy H. Oddy, Garth E. Kendall, Jianghong Li, Peter Jacoby, Monique Robinson, Nicholas H. de Klerk, Sven R. Silburn, Stephen R. Zubrick, Louis I. Landau, Fiona J. Stanley. The Long-Term Effects of Breastfeeding on Child and Adolescent Mental Health: A Pregnancy Cohort Study Followed for 14 Years Corrected Proof. The Journal of Pediatrics. 14 December 2009 DOI: 10.1016/j.jpeds.2009.10.020

Cesar G Victora, Bernardo Lessa Horta, Christian Loret de Mola, Luciana Quevedo, Ricardo Tavares Pinheiro, Denise P Gigante, Helen Gonçalves, Fernando C Barros. Association between breastfeeding and intelligence, educational attainment, and income at 30 years of age: a prospective birth cohort study from Brazil. The Lancet Global Health, 2015; 3 (4): e199 DOI:10.1016/S2214-109X(15)70002-1

Grube MM. Does Breastfeeding Help to Reduce the Risk of Childhood Overweight and Obesity? A Propensity Score Analysis of Data from the KiGGS Study. PLoS One. 2015 Mar 26;10(3):e0122534. doi: 10.1371/journal.pone.0122534. eCollection 2015.

A.M.M. Sonnenschein-van der Voort, V.V.W. Jaddoe, R.J.P. van der Valk, S.P. Willemsen, A. Hofman, H.A. Moll, J.C. de Jongste, L. Duijts ; Duration and exclusiveness of breastfeeding and childhood asthma-related symptoms Eur Respir J erj01781-2010; published ahead of print 2011, doi:10.1183/09031936.00178110

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