La France anxieuse et dépressive

Par Collectif LaNutrition.fr - Journalistes scientifiques et diététiciennes Publié le 28/04/2006 Mis à jour le 10/03/2017
Le rejet du projet de Constitution européenne par les Français serait davantage motivé par la peur et le ras-le-bol que par des sentiments anti-européens. Il est tentant de rapprocher le comportement de la France le 29 mai de l'anxiété et la dépression qui sont légion chez nous.

30 mai 2005

Le 29 mai, la majorité des Français a rejeté le projet de Constitution européenne qui devait doter l’Europe d’un exécutif politique. Selon les sondages sortis des urnes, 46% de ceux qui ont dit non à la Constitution l’ont fait « par peur du chômage » dont, selon eux, ce projet serait porteur. Un effet du fameux « plombier polonais ». 40 % des sondés ayant voté non disent avoir voulu « manifester leur ras-le-bol ». Seul un tiers des votants « non » souhaiterait une renégociation de la Constitution.
Si ces sondages disent vrai, les deux principaux moteurs du vote de rejet ont été d’une part la peur, d’autre part, comme le notait un sociologue le 30 mai, « une insurrection, une explosion froide. » Il est intéressant d’analyser ces deux comportements du point de vue psychiatrique et les rapprocher de résultats d’études conduites sur la population française.
La peur est une manifestation de l’anxiété ; elle est sous le contrôle de plusieurs neurotransmetteurs du cerveau, dont le GABA (acide gamma-amino-butyrique), la sérotonine et la noradrénaline. Le GABA joue probablement un rôle central dans la perception de l’anxiété. On trouve des taux bas de GABA dans l’anxiété et d’autres troubles du comportement. Il y a dans le cerveau deux familles de récepteurs qui acceptent le GABA : les GABA-A et les GABA-B. Les récepteurs GABA-A ont été bien étudiés : ils modulent l’excitabilité des neurones et entraînent des changements rapides dans la sensation de peur, l’anxiété, la panique. Les médicaments qui stimulent ces récepteurs, comme les benzodiazépines et les barbituriques ont des effets anxiolytiques.
Les manifestations explosives et impulsives ont été reliées dans des dizaines d’études à des taux de sérotonine bas. Marku Linnoila, un chercheur des National Institutes of Health qui fut le grand spécialiste de la sérotonine (il est aujourd’hui décédé), leur a donné le nom de « low serotonin syndrome ». Ce syndrome se caractérise par impulsivité et agressivité. Il est intéressant de relever que les troubles de la sérotonine sont associés à l’anxiété et la dépression. Ainsi, les médicaments antidépresseurs de nouvelle génération agissent directement sur le niveau de sérotonine reçu par les neurones en inhibant un mécanisme d’épargne.
La France détient le record mondial de la consommation de médicaments anxiolytiques et antidépresseurs. Selon les données les plus récentes, 12 % des hommes et 20 % des femmes prennent régulièrement un anxiolytique ou un somnifère. Pour la dépression, 6 % des hommes et plus de 12 % des femmes font usage régulier d’antidépresseurs. Les plus jeunes ne sont pas épargnés. Selon l’enquête ESCAPAD, conduite en 2002, 30,7 % des filles et 12,3 % des garçons ont déjà pris un médicament psychotrope). Des comportements qui dressent le portrait d’une France plutôt anxieuse et plutôt dépressive, ce que confirment les enquêtes. Par exemple, en 2004, celle conduite par le Centre collaborateur de l'Organisation mondiale de la Santé (CCOMS) et les services du ministère de la Santé, qui portait sur 36.000 personnes de plus de 18 ans. On retiendra que 11% des personnes interrogées (8,9% des hommes, 13% des femmes) ont connu un épisode dépressif au cours des deux semaines précédant l'enquête et pour 6% d'entre elles cette dépression concerne la vie entière. Par ailleurs, 12,8% (11% des hommes, 15% des femmes) ont déclaré souffrir d'anxiété généralisée depuis les six derniers mois.
Autre critère important : le nombre de décès par suicide qui a connu dans notre pays une augmentation importante au cours des vingt dernières années. Il y a plus de décès par suicide que par accident de la circulation puisque 10 à 12000 Français se suicident chaque année, soit un suicide toutes les 40 minutes. Ces chiffres seraient pourtant sous-estimés d'environ 20%. On compte aussi 160 à 180 000 tentatives de suicide. Le taux de suicide en France (environ 20 pour 100 000 habitants) est supérieur de 20 % à la moyenne européenne (17 pour 100 000). A titre de comparaison, le taux de suicide chez nos amis Allemands est seulement de 14 pour 100 000 habitants.
Comment expliquer que la France soit à ce point anxieuse et dépressive ? Evidemment surtout pour des raisons environnementales. Les conditions de vie précaires d’une partie de la population, le chômage durablement élevé, la crainte du rétrécissement de la fonction publique (dans un pays où l’emploi garanti concerne plus du quart des salariés), l’absence de perspectives pour les jeunes contribuent certainement à des stress chroniques qui se traduisent par des taux de GABA et de sérotonine bas. La transformation du pays ces dernières décennies avec l’extrême laideur des paysages urbains (zones d’activité anarchiques) constitue une pollution visuelle qui se double d’une pollution sonore, deux formes de stress qui peuvent aussi abaisser les niveaux de certains neurotransmetteurs et entraîner sur le plan biologique des fuites de magnésium protecteur. On connaît mal les effets de la pollution atmosphérique sur l’anxiété et la dépression, mais en revanche la pollution par pesticides et métaux lourds diminue le niveau de certains nutriments comme la vitamine C, qui est nécessaire à la synthèse de neurotransmetteurs. Il faut y ajouter l’alimentation de plus en plus raffinées, donc débarrassée de vitamines et minéraux qui sont des cofacteurs de la synthèse de neurotransmetteurs. La France a aussi connu depuis la fin des années 1960 un profond déséquilibre d’apport des deux grandes familles d’acides gras polyinsaturés : les oméga-6 et les oméga-3. La part des oméga-6 est devenue écrasante du fait de la consommation massive et souvent exclusive d’huile de tournesol. Or comme l’écrit le Dr Michel de Lorgeril dans son dernier livre Le Pouvoir des Oméga-3 (Alpen) : « le manque relatif ou absolu en oméga-3 dans nos neurones, de façon constante ou seulement pendant la période fœtale pourrait être à l’origine de certaines maladies mentales de l’adulte et de l’enfant. » La France est de ce point de vue l’un des pays européens dans lesquels les apports en oméga-3 sont les plus faibles et « les modifications récentes de nos habitudes alimentaires contribuent très certainement à la survenue de cette épidémie de dépression » dit Michel de Lorgeril.
Des études chez l’animal montrent que les stress reçus par la mère pendant la grossesse, mais aussi certains facteurs environnementaux défavorables comme les apports en vitamine C, magnésium et oméga-3 ont des effets persistants sur le comportement des rejetons y compris à l’âge adulte, ce qui fait craindre que la vulnérabilité à l’anxiété et à la dépression puisse se transmettre d’une génération à l’autre.
Il serait abusif de dire que le vote du 29 mai s’explique simplement par l’état psychiatrique des Français. Il y avait dans les rangs du « Non » l’expression d’un enthousiasme, à l’extrême gauche en particulier. Mais face à l’aventure que représentait la Constitution, dans un contexte de difficultés économiques persistantes sur fond de dépression et d’anxiété chroniques il n’est peut-être pas étonnant qu’une partie des Français ait voulu par leur vote exprimer leur angoisse et leur colère, quitte à ne laisser derrière eux pour reprendre l’expression de la presse allemande que « le chaos. »

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