Pour moins d’un verre, t’as un cancer !

Par Collectif LaNutrition.fr - Journalistes scientifiques et diététiciennes Publié le 21/12/2007 Mis à jour le 10/03/2017
L'Institut national du cancer nous dit dans un rapport très sérieux que l'alcool, quel qu'il soit, augmente le risque de cancer dès le premier verre. Vous vous en doutez, la réalité est plus compliquée que ça. Bienvenue dans l'ère de la bienpensance scientifique. Et un verre de Costières de Nîmes pour fêter ça !

J’étais la semaine dernière chez mon ami Philippe Clerc pour une soirée d’initiation à l’œnologie. Nous étions là, au cœur des vignobles de la Vaunage gardoise, sept amateurs de bons vins dont mes copains Manu et Fabrice. En bon pédagogue, Philippe avait sélectionné 8 bonnes bouteilles. Je dois le confesser, pour des apprentis tasteurs, nous n’avons pas recraché beaucoup. Autant dire que nous avons salement fait flamber nos cancers respectifs, si l’on en croit un rapport de l’Institut national du cancer (Inca) publié au même moment.

Selon ce rapport, il existe une « relation linéaire entre la consommation d’alcool et le risque de cancer. » Traduction : fini l’effet de seuil, aux oubliettes la protection accordée aux buveurs modérés, dépassée la différence entre les types d’alcool : dès le premier verre quotidien, y compris de vin, vous êtes dans la zone rouge, candidat à un cancer, au choix : bouche, pharynx, larynx, oesophage, foie, côlon et sein.

- Tu veux dire que le verre de Sancerre de l’autre soir, c’est dangereux, me demande Manu ?

- Ben oui, puisque c’est écrit dans le rapport

- Et mon demi-verre de Gigondas ? interroge Fabrice.

- Tu l’as recraché, ton Gigondas ?

- Ah, non

- Ah ben tu es mal barré. C’est dans le rapport.

- Mais ce rapport, c’est sérieux ?

- Bien sûr que c'est sérieux

Un rapport de l’Inca, bien sûr que c’est sérieux. D’ailleurs si ce n’était pas sérieux, la presse – du Monde à TF1 - n’en parlerait pas. Coup de fil à ma copine Marie (j’ai changé son prénom) qui travaille dans un grand quotidien et qui a relayé de manière assez dramatique l’information de l’Inca.

- Alors, toi qui a rédigé un article, comment tu le juges ce rapport de l’Inca ?

- C’est intéressant, me dit-elle. Même les buveurs modérés ne sont pas à l’abri. C’est un changement profond, il faut revoir la manière dont on parle de l’alcool.

- Et justement ça ne te paraît pas bizarre ?

- Qu’est-ce qui serait bizarre ?

- Tu as bien fait un dossier l’an dernier sur les vertus du régime méditerranéen, qui protège des maladies cardiovasculaires et du cancer. (1)

- Oui, tout à fait. C’était après une réunion de consensus d’experts.

- Et l’une des caractéristiques du régime méditerranéen, c’est bien la consommation modérée et régulière de vin.

- Oui, bien sûr.

- D’ailleurs tu as peut-être vu passer cette grande étude américaine publiée dans Archives of Internal Medicine la semaine dernière.

- Non.

- Elle portait sur plus de 214 000 hommes et 166 000 femmes. Les chercheurs voulaient savoir si celles et ceux qui suivent les principes de l’alimentation méditerranéenne, à savoir beaucoup de légumes, légumes secs, fruits, noix, des céréales complètes, du poisson, un peu de viande, de l’huile d’olive et de l’alcool modérément et régulièrement ont un risque de mortalité plus faible que ceux qui ne le suivent pas. (2)

- Et alors ?

- Et alors, chez l’homme ce type de régime est associé à une mortalité totale réduite de 21%, de mortalité cardio-vasculaire réduite de 22% et de mortalité par cancer réduite de 17%. Chez la femme, les chiffres vont de 20% de réduction pour la mortalité totale à 12% pour la mortalité par cancer.

- (Silence).

- Et tu ne trouves pas étrange que dans toutes les études, une alimentation méditerranéenne avec un peu de vin réduit la mortalité, y compris par cancer, que les données sur le cancer en France montrent que les départements du sud de la Loire, où l’on boit du vin modérément mais régulièrement ont moins de cancers digestifs qui sont les premiers pointés dans le rapport de l’Inca, mais que l’Inca insiste sur le fait que l’alcool aux doses les plus faibles augmente le risque de cancer ? (3)

- Mais enfin, ce sont des experts qui ont rédigé ce rapport. Ils savent de quoi ils parlent !

Je vais vous dire, je n’en sais trop rien.

Des rapports épatants

En 2003, un rapport tout aussi sérieux du ministère de la santé, auquel a participé l’un des auteurs du rapport de l’Inca sur l’alcool, affirmait que l’idée que les laitages sont associés à un risque accru de cancer « est une idée fausse véhiculée par des gourous pseudo-scientifiques. » Bien vu : à l’époque, de très nombreuses études montraient que la consommation de calcium laitier augmentait le risque de cancer fatal de la prostate, un risque conforté depuis.

En 2005, l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments a publié un rapport sur les phytoestrogènes et le soja - sous la direction d’un autre des auteurs du rapport de l’Inca - qui évoquait un risque possible de cancer du sein lié à la consommation de soja et de phytoestrogènes. On aurait pu le prévoir : il semble en fait que les filles qui consomment des phytoestrogènes pourraient en tirer un bénéfice à l’âge adulte.

La confusion semble régner dans l’esprit même des auteurs du rapport sur l’alcool puisque l’un d’eux, qui s’est fait de l’alimentation méditerranéenne une sorte de fonds de commerce, détaillait récemment ses bienfaits et ajoutait, pour les expliquer : « La recette est simple : une consommation importante de céréales, de légumes et de fruits, frais et variés, une faible consommation de viandes rouges, sauf un peu de viande ovine, du poisson, très peu de lait et de beurre, mais des fromages et des yogourts et enfin du vin rouge consommé modérément et au cours des repas ». (4) Ah bon.

La médecine préventive se repaît de messages simples ou simplistes. Rien ne lui est plus insupportable que les nuances, mais à ce petit jeu les nuances finissent toujours par la rattraper et lui imposer de douloureuses remises en cause. Rappelez-vous du soleil cancérogène, qu’il fallait éviter en été comme la peste. C’était formel, établi, démontré. On réalise aujourd’hui (mais on le suspectait déjà à l'époque !) que la vitamine D dont il active la synthèse est un puissant anticancer, et qu’une exposition chronique et modérée aux rayons du soleil est probablement ce que nos cellules peuvent espérer de mieux. Allez maintenant expliquer ça aux foules tartinées d’écrans anti-UV, hiver comme été.

Comment faire passer des nuances par la fenêtre

Voilà venu le tour de l’alcool. Une nouvelle fois les nuances sont passées par la fenêtre. L’alcool préviendrait les cancers de la prostate et de la vessie - le rapport de l’Inca n’en dit pas mot. Pas plus qu’il ne s’intéresse aux différences cruciales de métabolisme entre le verre de vin bu à l’anglo-saxonne, hors repas, et celui qui accompagne un repas méditerranéen riche en fruits, légumes et aromates.

Enfin, il paraît bien imprudent de formuler des messages de santé publique en se basant sur la seule épidémiologie, dans un pays qui n’en maîtrise aucune des subtilités. Que racontent les études expérimentales ? Confirment-elles le modèle selon lequel tous les alcools, quels qu’ils soient, augmentent le risque de cancers dès le premier verre ? Voici par exemple ce que dit du vin rouge l’autre Institut National du Cancer, celui des Etats-Unis : « Les études expérimentales, sur des cultures de cellules et sur des animaux ont examiné les effets du vin rouge et de ses composants sur plusieurs cancers, dont la leucémie, la peau, le sein et la prostate. Les scientifiques étudient le resvératrol (un constituant du vin rouge) pour en apprendre plus sur ses propriétés anticancer. Les résultats récents d’études conduites chez l’animal suggèrent que ce composé anti-inflammatoire peut être un agent efficace de la chimioprévention dans les trois stades du processus du cancer : initiation, promotion et progression. »

Alors ? Alors, bien sûr la messe n’est pas dite. Dans quelques années, on viendra nous expliquer que finalement ce n'était pas si simple, qu'il y a alcool et alcool, qu'on n'a pas tenu compte de la manière de le consommer. Mais cette bienpensance scientifique qui aujourd'hui recouvre comme un linceul les sujets déjà bien labourés par les politiques et l’Académie de médecine commence à taper sérieusement sur le système.

Le terrain a été préparé, dès janvier 2006, par le rapport remis sur l’alcool par le journaliste Hervé Chabalier au ministre de la santé. Un ancien alcoolique qui voudrait mettre tous les Français à l’eau, on le comprend, on compatit, mais non merci, ni comme citoyen, ni comme scientifique on ne veut de cette prohibition-là. Dans son rapport, Chabalier dénonçait le « lobby du vin ». Mais la bonne fée des lobbies ne s’est jamais réellement penchée sur celui du vin. Trop poisseux, trop odorant, trop méridional, bref trop plouc. Première bataille perdue en 1954, quand les sénateurs du midi qui n’avaient pas beaucoup apprécié l’initiative du gouvernement de Pierre Mendès France de distribuer du lait dans les écoles, déposent à la fin de l’année un amendement pour remplacer dans les établissements scolaires la distribution de lait par celle de jus de fruits ! Peine perdue. Lobby laitier contre lobby du vin, c’est bien du lait et non des jus de fruits, qui sera servi à des générations d’enfants.

- Bon, finalement, qu’est-ce qu’on fait ? s’impatientent Manu et Fabrice. On se la débouche cette bouteille ?

- Vous buvez du vin depuis combien de temps, les gars ?

- Vingt, vingt-cinq ans.

- Foutus pour foutus, on peut l’ouvrir.

C’est ainsi que sous le soleil froid de décembre qui roussissait les plants de vigne de la plaine gardoise, serrés et noués comme de petits soldats promis - à coups de rapport anti-alcool ou anticancer - à une extermination certaine, aux primes à l’arrachage, aux tractopelles des lotissements moches et des ZAC miteuses, nous l’avons ouverte, cette bouteille de Costières de Nîmes !

(1) Un autre régime de longue vie, celui d’Okinawa, inclut la consommation modérée d’alcool, puisque les femmes boivent l’équivalent d’un verre par jour, et les hommes deux verres.

(2) Mitrou PN, Kipnis V, Thiébaut AC, Reedy J, Subar AF, Wirfält E, Flood A, Mouw T, Hollenbeck AR, Leitzmann MF, Schatzkin A. Mediterranean Dietary Pattern and Prediction of All-Cause Mortality in a US Population: Results From the NIH-AARP Diet and Health Study. Arch Intern Med. 2007 Dec 10;167(22):2461-8.

(3) Bouvier A-M. Incidence of gastrointestinal cancers in France Gastroentérologie Clinique et Biologique, 2004 ; 28(10) : 877-881

(4) Apotheloz C. Saga Provence - Marseille, la Provence telle quelle et autrement. Le Nouvel Economiste, juillet 2001.

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