Le Coca-Cola peut-il donner le cancer ?

Par Collectif LaNutrition.fr - Journalistes scientifiques et diététiciennes Publié le 14/03/2012 Mis à jour le 10/03/2017
Un colorant du Coca-Cola serait cancérigène, la société décide de modifier sa recette.Quelle dangerosité se cache vraiment derrière ce colorant ?LaNutrition.fr a recueilli l'avis d'un expert en toxicologie, le professeur Jean-François Narbonne.

Un problème avec le Coca-Cola

L'annonce de la présence d'un composé cancérigène (chez la souris) dans le Coca-Cola, le 4-methylimidazole (4-MEI), a fait grand bruit et une association de défense des consommateurs Américaine a réussi à obtenir que l'état de Californie oblige la société Coca-Cola soit à modifier sa recette pour en diminuer la teneur en 4-MEI, soit à coller une étiquette sur ses boissons, avertissant d'un risque pour la santé.

Coca-Cola a donc immédiatement réagi en signalant que sa recette allait être modifiée, sans changement gustatif pour le consommateur.

Mais qu'est-ce que ce 4-MEI ?

Quelle dangerosité réelle ? Pourquoi n'en parle-t-on que maintenant ? LaNutrition a souhaité tirer cette affaire au clair en prenant l'avis de l'un des plus célèbres toxicologues français, le Pr Jean-François Narbonne, expert de l'Anses, auteur du livre "Sang pour sang toxique".

LaNutrition.fr : L’état de Californie aux Etats-Unis a demandé le retrait du 4-methylimidazole (4-MEI), un composé cancérigène, des boissons Coca-Cola et Pepsi. Pouvez-vous nous expliquer ce qui se cache derrière cette substance ?

J-F Narbonne : L’application de traitements thermiques aux aliments entraîne d’une part la diminution ou la disparition de certaines substances dites thermosensibles (par exemple vitamine C, des oméga-3…) et d'autre part l’apparition de milliers de nouvelles substances dites néoformées. Ces composés dépendent de la nature des constituants, de la température, de la teneur en eau. De nombreux produits néoformés ont des potentialités toxiques (HAP, acrylamide, IQ, nitrosamines, oxycholestérol, MDA, Trp-P, Glu-P, DCP, MCPD, Furannes, 5-HMF…). Une des réactions les plus importantes issue des processus thermiques appliqués aux aliments est celle connue sous le nom de réaction de Maillard qui se produit entre les sucres et les protéines. Les produits issus de cette réaction sont très nombreux et pas tous identifiés. Ils donnent aux aliments une couleur caramel et un gout de grillé, deux aspects organoleptiques recherchés d’une part dans tous ce qui est pâtisseries - viennoiseries - produits toastés et d’autre part dans les viandes cuites. Ainsi les caramels ont de tout temps été utilisés comme colorants et agents de flaveur alimentaire. Les caramels ajoutés sont réglementés dans le cadre des additifs sous la dénomination E-150. Pour ce qui concerne ces caramels, les composés dits néoformés présents dépendent des substrats utilisés dans leur production. Dans le caramel simple E-150a (sucres + protéines) il y a présence de furanes et du 5-HMF composés présentant un potentiel génotoxique. Quand on rajoute de l’ammoniaque  (E-150c) on note la présence de THI qui est un immunotoxique  et du 4-MEI non génotoxique mais qui a montré un potentiel cancérogène (bronchique) dans une souche très particulière de souris et à forte dose (seuil à 80 mg/kg/j). Le 4-MEI est aussi présent dans le E-150d pour lequel on a rajouté de l’ammoniaque et des sulfites. Pour le E-150c on a rajouté des sulfites.

LaNutrition.fr : Et quelle est la dangerosité de ces caramels ?

J-F Narbonne : Les tests toxicologiques nombreux effectués avec les différents caramels (court terme et long terme) n’ont pas montré de toxicité importante sauf des effets sur la reproduction à très forte dose (30g/kg/j). Seul le E-150c a montré des effets immunotoxiques à des doses plus faibles (20g/kg/j), du fait de la présence du THI qui induit une lymphocytopénie (seuil à 300 µg/kg/j). A partir de l’ensemble de ces études, l’Autorité Européenne de Sécurité des Aliments (EFSA) a fixé une Dose Journalière Admissible (DJA) de groupe (pour la somme des 4 formes de caramel E-150) de 300 mg/kg/j avec une teneur maximale en THI de 10 mg/kg de caramel et de 4-MEI à 250 mg/kg de caramel. Si on tient compte d’une Valeur Toxicologique de Référence (VTR) (1) de 800 µg/kg/j pour le 4-MEI et de 3 µg/kg/j pour le THI on voit donc que l’on ne dépasse pas ces seuils pour une ingestion de 300 mg/j de caramel. Pour ce qui concerne le 4-MEI seul, les dosages ont montré que dans les Colas les teneurs étaient de l’ordre de 100 µg/canette. Il faudrait donc consommer 45 canettes par jour pour atteindre la VTR. Les règles européennes sont donc tout à fait cohérentes.

Par contre les études d’exposition rapportées par l’EFSA montrent que l’exposition globale alimentaire aux caramels est en moyenne de 300 mg/kg/j pour les adultes et 1200 mg/kg/j pour le 97° percentile. Chez les enfants le niveau d’exposition est évidemment supérieur de l’ordre de 1200 mg/kg/j en moyenne et de 3000 mg/kg/j pour le 97° percentile. Les contributeurs majeurs pouvant être les sodas mais aussi les biscuits, les laits aromatisés, les sauces, les snacks, les soupes, et pour ce qui concerne les adultes, la bière et le cidre. Pour ce qui concerne le E-150c les principaux contributeurs sont les confiseries et les sodas.
On voit donc que les valeurs toxicologiques de référence sont largement dépassées chez l’adulte et chez l’enfant quand on prend en compte l’ensemble de l’exposition alimentaire.
On peut alors se poser la question des conséquences sanitaires de tels dépassements. Pour ce qui concerne les caramels eux-mêmes, ils sont très majoritairement constitués de complexes à haut poids moléculaires (mélanoïdines) faiblement absorbés au niveau digestif, d’où leur faible toxicité. Ainsi, les dépassements de VTR ne semblent pas poser un problème sanitaire évident du fait que l’on soit au moins 10 fois en dessous de la "dose maximale sans effets nocifs observables" (NOAEL). De plus les études épidémiologiques qui ont essayé d’établir des relations entre effets santé et exposition aux produits de Maillard n’ont jamais montré d’associations significatives. Les seules associations positives ont été montrées entre cancers du côlon ou de la prostate avec la consommation de viandes très cuites du fait de leurs teneurs en MeIQx, un des plus puissants mutagènes présents dans les aliments.
Si les substances a faible poids moléculaire présents dans les caramels  (furanes, 5-HMF, THI et 4-MEI) sont évidemment beaucoup moins toxiques que les IQx, leur passage digestif est plus important que celui des mélanoïdines. Du fait de leur potentiel toxique (surtout pour les trois premières)  une diminution de l’exposition est recommandée en réduisant les teneurs de ces substances dans les caramels pour revenir à des expositions inférieures aux VTRs. Ainsi les avis des Agences Sanitaires en conformité avec celui de l’EFSA, recommandent de prendre des mesures de diminution de la teneur de ces composés en modifiant les procédés de fabrication. Ces mêmes mesures avaient été recommandées dans le cas de l’acrylamide présente dans les frites et les produits toastés. De plus l’EFSA recommande de développer les recherches sur les mécanismes de formation de ces composés au cours des procédés de production. Enfin l’EFSA considère que les spécifications des caramels utilisés comme colorants alimentaires doivent mieux prendre en compte la présence des furannes et du 5-HMF en plus du THI et du 4-MEI déjà réglementés. Il est d’ailleurs plus facile de mieux maîtriser un procédé industriel dans le cas des caramels destinés être des colorants que de maîtriser la cuisson des aliments dans une cuisine.

LaNutrition.fr : Pourquoi la Californie a-t-elle décidé d'agir pour limiter la teneur de 4-MEI dans les boissons et pas l'Europe ?

J-F Narbonne : Il s’agit de plusieurs spécificités américaines à la fois en termes réglementaires et scientifiques.
Les Etats-Unis ont connu une montée des préoccupations sanitaires liées aux substances chimiques plusieurs décennies avant les pays européens. Dès la fin des années 1950, les additifs alimentaires ont fait l’objet d’une attention accrue. En 1958, le Représentant James Delaney parvint à faire adopter par le congrès une clause au Food and Drug Act de 1938 interdisant la présence de tout additif alimentaire suspecté d’induire des cancers. Cependant l’évolution des connaissances et des techniques analytiques ont rendu très difficile l’application des cette clause. Vu que l’on peut détecter de nombreuses substances cancérigènes à l’état de traces, le risque zéro n’existe pas et il a fallu fixer un seuil de risque « acceptable » qui correspond à un cas additionnel de cancer pour 100.000 individus exposés pendant la vie entière. Au-dessus duquel tout produit vendu doit porter un avertissement et toute action doit être mise en œuvre pour réduire l’exposition en dessous du seuil acceptable. D’une part on dit qu’une substance est cancérigène quand on observe une induction significative de tumeurs chez les animaux de laboratoire.  D’autre part le risque est calculé à partir de la modélisation de la relation dose-effet suivant un modèle mathématique simple dit one mole-one hit, développé par l’EPA à partir des risques liés aux faibles doses de radiations ionisantes.
Ces dispositions américaines anciennes ne correspondent pas au contexte européen. D’une part la « clause Delaney » ne s’applique pas mais le contexte scientifique a fortement évolué depuis les années 60. Du fait de la meilleure connaissance des mécanismes de la cancérogenèse on introduit une différence entre cancérigènes génotoxiques (altérations de l’ADN) et cancérigènes non génotoxiques (promoteurs, inducteurs de prolifération…). Pour la première catégorie le modèle sans seuil s’applique, pour la deuxième catégorie on applique le modèle avec seuil fixant une DJA (2). Cette catégorisation récente des cancérigène n’est  donc pas prise en compte dans la législation américaine. Pour ce qui concerne le 4-MI il s’agit d’une substance non génotoxique et faiblement cancérigène chez l’animal dans des conditions très particulières. La réglementation européenne se réfère donc à un seuil toxicologique fixé à partir des études de cancérogenèse (NOAEL) et évalue les risques par le calcul de la marge d'exposition (MOE). De plus le seuil de 20 µg/j de 4-MEI fixé en Californie se fonde sur l’application du modèle EPA, aujourd’hui reconnu obsolète par la communauté scientifique et même par l’Académie des Sciences Américaine. En Europe c’est le modèle dit « multistage linéarisé » qui est appliqué pour l’évaluation des risques liés aux substances génotoxiques. Comme le modèle EPA surévalue largement les risques, il est souvent utilisé par certaines ONGs pour dramatiser leur communication. Ces différences notoires législatives et scientifiques expliquent les différences dans les réglementations américaines et européennes. On comprend aussi pourquoi le THI immunotoxique non concerné par la clause Dalaney, ne soit pas concerné. Ceci dit le consommateur non informé doit avoir des difficultés à cerner ces différents contextes.

LaNutrition.fr : Quels sont les risques liés à la consommation des Colas ?

J-F Narbonne : En fait ces problèmes de caramels rejoignent les problèmes des produits néoformés dans nos aliments du fait de la chaleur. Certains toxiques générés peuvent être beaucoup plus toxiques que des contaminants chimiques exogènes. La « crise de l’acrylamide » en 2005 a permis de remettre ce sujet à l’ordre du jour et les progrès analytiques et toxicologiques permettent aujourd’hui de mieux cerner les problèmes. Cependant les avis des agences ne concernent que l’évaluation des risques, la réglementation et le contrôle sont sous la responsabilité des pouvoirs publics.
Pour ce qui concerne les risques liés à la consommation des Colas, le problème sanitaire lié aux caramels semble quand même mineur par rapports aux problèmes sanitaires évoqués à propos des teneurs en sucre, en édulcorants (aspartame) et en conservateurs (acide benzoïque).

Propos recueillis par Jacques Robert.

(1) : Les valeurs toxicologiques de référence (VTR) sont des indices permettant d’établir une relation qualitative, voire quantitative, entre une exposition à une substance chimique et un effet sanitaire chez l’Homme. Elles sont spécifiques d’une substance, d’une durée d’exposition (aiguë, de quelques heures à une semaine, intermédiaire, d’une semaine à plusieurs mois, et chronique, de quelques années à la vie entière), d’une voie d’exposition (inhalation, voie orale, contact cutané) et d’une population. Leur construction diffère en fonction de l’hypothèse formulée ou des données disponibles sur les mécanismes d’action toxique de la substance. On parle de VTR « à seuil de dose » pour les substances qui provoquent, au-delà d’une certaine dose, des dommages dont la gravité est proportionnelle à la dose absorbée et de VTR « sans seuil de dose », pour les substances pour lesquelles il existe une probabilité, même infime, qu’une seule molécule pénétrant dans l’organisme provoque des effets néfastes pour cet organisme.

(2) : La dose journalière admissible (DJA) fixée chez l’humain est calculée à partir de la NOAEL (dose sans effets toxiques observables), mesurée chez l’animal, en la divisant par un facteur de sécurité en général de 100. Le risque se calcule classiquement en rapportant la dose d’exposition à la DJA.  Une autre façon de calculer le risque est de rapporter l’exposition à la NOAEL, on parle alors de marges d’exposition (MOE).

Nos articles à lire : "Les édulcorants de synthèse" et "Une canette de soda par jour pourrait tuer".

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