En exclusivité : "Anticancer", le nouveau livre de David Servan-Schreiber

Par Collectif LaNutrition.fr - Journalistes scientifiques et diététiciennes Publié le 27/09/2007 Mis à jour le 10/03/2017
Le nouveau livre de David Servan-Schreiber s’appelle Anticancer. Le but : proposer des pistes pour s’en protéger ou en guérir, par la détoxification, l’alimentation optimisée, la guérison des blessures psychologiques. LaNutrition.fr l’a rencontré pour un entretien exclusif.Découvrez comment David Servan-Shreiber a appris son cancer en lisant le diagnostic.Apprenez également pourquoi les recommandations nutritionnelles ne font pas encore partie du traitement conventionnel du cancer.Découvrez la place de l'exercice dans le traitement du cancer en lisant l'énergie du combat.Lire aussi notre dossier Prévention du cancer.

Thierry Souccar : Sur un sujet qui se prêtait à la dramatisation, il se dégage pourtant de la lecture de ton livre une impression de sérénité. Est-ce volontaire ?

David Servan-Schreiber : Non, je ne l’ai pas fait exprès. J’ai écrit comme je le sens, je n’ai pas cherché à rendre le propos serein.

Tu révèles dans ce livre – c’est le fil directeur – que tu as été traité pour une tumeur du cerveau il y a 14 ans.

Oui, c’est une époque où j’étais assez sûr du succès, confiant dans la science pure et dure, pas vraiment attiré par le contact avec les patients. Je voulais faire de la recherche, publier des articles, intervenir dans les congrès. J’avais fait beaucoup de sacrifices, beaucoup investi pour l’avenir. Et tout à coup, avec la découverte de cette tumeur, j’ai été placé devant la possibilité qu’il n’y ait pas d’avenir du tout.

N’est-ce pas difficile de parler de soi à la première personne sur un sujet aussi intime ?

C’est ce qui m’a longtemps fait hésiter à écrire ce livre. Je n’avais pas envie de me livrer, je pensais que je ne le ferais jamais. Mais mon frère m’a convaincu. Au début j’ai dit non. Mais finalement ça m’a beaucoup libéré.

Dans ton livre, tu expliques que l’annonce d’un cancer peut avoir des effets positifs

Tant que la maladie ne nous a pas touché, la vie paraît infinie. Nous pensons qu’il sera toujours temps de trouver le bonheur. Mais l’annonce d’une maladie comme le cancer m’a ouvert les yeux sur l’instant présent, comme cela a été le cas pour beaucoup de patients. Beaucoup d’ailleurs regrettent d’avoir à eu à attendre le diagnostic de cette maladie pour prendre conscience de ça. Finalement, la vie devient plus riche. On fait attention à ce qu’on mange, on pense à prendre contact avec soi et avec les autres, bref on fait des choses qu’on avait envie de faire plus tôt mais qu’on repoussait. On se demande bien sûr ce qu’il faut faire pour que son corps lutte, et on arrive à la conclusion qu’il faut enrichir sa vie, vivre plus consciemment. Bien sûr, il n’est pas indispensable d’avoir un cancer pour aller vers ça.

Tu racontes que plusieurs années se sont passées après le traitement de ton cancer pour que ton mode de vie change du tout au tout

Quelques années après ma première opération, il me semblait que tout était rentré dans l’ordre. Une amie qui était au courant de ma maladie m’a demandé un jour ce que je faisais pour soigner mon « terrain. » Je lui ai répondu que j’avais été très bien soigné et il n’y avait rien d’autre à faire que d’espérer que la tumeur ne reviendrait pas. Quelque temps après, j’ai appris en passant un scanner que mon cancer était revenu. C’est une nouvelle terrible d’apprendre qu’on a rechuté. C’est à ce moment que j’ai réalisé que j’allais devoir m’occuper de mon « terrain. » je me suis dit : « Que faire pour que mon corps lutte ? »

Comment vivais-tu à l’époque ?

J’étais pris par le travail et la naissance de mon fils et j’avais beaucoup diminué l’activité physique et laissé tomber un intérêt éphémère pour la méditation. Je mangeais presque chaque jour du chili con carne, des bagels, du coca-cola, du café au lait. Avec le recul, je réalise que c’était une combinaison explosive, un mélange de farines blanches à index glycémique élevé, de sucres et graisses animales bourrées d’oméga-6, d’hormones et de toxines !

Si tu n’avais pas été touché par la maladie, aurais-tu changé ton alimentation ?

Je pense que je serais passé à côté de ça. On n’apprend rien sur la nutrition en fac de médecine. On apprend qu’il faut manger moins de calories pour maigrir, moins de sel pour faire baisser la tension. C’est considéré comme une discipline « sale » dans la mesure où c’est compliqué, il y a beaucoup trop de variables, tu ne sais jamais quelle est la plus importante. Et puis, ce n’est pas comme un médicament. On n’est jamais sûr que les gens vont suivre les recommandations qu’on leur donne. La conséquence, c’est que l’enseignement de la médecine se tient à l’écart de la nutrition.

Il y a selon toi trois principaux facteurs environnementaux impliqués dans l’épidémie de cancers

Oui, à commencer par la consommation excessive de sucres raffinés et de farines blanches. Ces aliments stimulent l’inflammation et la croissance des cellules à travers l’insuline et l’IGF (insulin-like growth factor). Egalement la consommation excessive d’oméga-6 dans les graisses végétales et animales comme les laitages, les œufs et la viande. Ces deux facteurs sont responsables d’un terrain inflammatoire favorable au cancer. Il faut y ajouter l’exposition aux contaminants de l’environnement.

Tu consacres un chapitre à notre environnement toxique. Penses-tu qu’il a pu jouer un rôle dans ton cas personnel ?

De l’âge de deux ans à neuf ans, j’ai joué tous les étés dans des champs de maïs aspergés d’atrazine, en Normandie. Toute ma vie, jusqu’au jour où on m’a diagnostiqué un cancer, j’ai bu du lait, mangé des yaourts, de la viande, des œufs qui provenaient de vaches, de moutons, de poules nourries avec du maïs nourri aux pesticides. J’ai croqué des pommes qui avaient reçu de multiples traitements, bu de l’eau probablement contaminée. Je ne saurai jamais quelle a été la contribution des pesticides comme l’atrazine à mon cancer.

Tu consacres un chapitre et même un livret entier aux aliments anticancer

Certains aliments de notre régime peuvent servir d’engrais aux tumeurs, d’autres au contraire renferment des molécules anticancer. Dans ce domaine, j’ai été très impressionné par le travail que fait Richard Béliveau, un chercheur de l’université de Montréal. J’aime beaucoup ce qu’il fait, je l’ai rencontré à plusieurs reprises et j’ai continué de travailler avec lui à distance. Toutes les études convergent pour souligner l’intérêt du thé vert, du soja, de l’ail, du curcuma, des fruits rouges, des champignons, des légumes crucifères. Chaque jour à chaque repas, on peut choisir des aliments qui détoxifient les carcinogènes, donnent un coup de fouet au système immunitaire, bloquent le développement des vaisseaux nécessaires à la croissance des tumeurs, préviennent l’inflammation…

Adieu aux bagels, au coca, au chili ?

Tout ça, c’est fini, et je n’ai pas le moindre regret, je n’y pense jamais. Le plus frappant en matière de changement nutritionnel, lorsqu’on se met à manger sainement, c’est qu’on n’a plus envie de revenir en arrière, on n’a plus envie de ces frites, ce coca, ces plats préparés. Même, le sucre… j’ai considérablement réduit le sucre. Et quand on en mange, on n’est pas bien du tout. Bien sûr, il m’arrive de manger épisodiquement de ces aliments, mais après, je ne me sens pas bien. A l’inverse, je me surprends à noter le plaisir que j’ai eu si je n’ai mangé que des légumes, des pois, des fruits et un peu de pain. Je remarque à quel point je me suis senti plus alerte et plus léger toute la journée.

Que peux-tu dire à celles et ceux qui veulent accomplir le même changement ?

C’est difficile de rompre avec un comportement alimentaire. Lorsque je fais des formations, plutôt que de commencer par retrancher des familles d’aliments, je conseille d’abord aux gens d’ajouter quelque chose à leur régime : ajouter du thé vert, du curcuma, du sirop d’agave… L’objectif reste de manger beaucoup moins de sucre et de farine blanche, moins de graisses animales. Il ne s’agit pas de les éliminer complètement, mais de les réduire à des mets occasionnels plutôt que d’en faire la base de notre alimentation.

Les recommandations nutritionnelles que tu fais rejoignent en tous points celles de LaNutrition.fr. Elles sont donc parfois assez éloignées de ce qui est conseillé par les autorités sanitaires.

Je ne suis pas étonné que ce dont je parle dans le livre ne soit pas en accord avec les plans de la nutrition officielle. Dans une salle d’attente, j’ai consulté un guide alimentaire de l’American Cancer Society. C’était effrayant. En France, le Programme national nutrition santé conseille de manger plus de céréales et de féculents qui pour la plupart sont surchargés d’oméga-6, avec en plus un index glycémique élevé.

La notion d’index glycémique comme moyen de mieux choisir ses aliments, qui est très présente dans ton livre, a d’ailleurs été rejetée par les autorités sanitaires françaises.

Je ne le savais pas. C’est pourtant d’une évidence absolue ! Il suffit de lire le livre que tu as publié sur le sujet.

Ne risques-tu pas de devoir assumer le rôle de porte-drapeau d’une nutrition alternative ?

Je ne me suis concentré que sur le cancer, je me suis intéressé aux facteurs nutritionnels qui peuvent influencer la maladie. Tout ce qui augmente la glycémie, l’insuline, l’IGF, l’inflammation contribue à développer les tumeurs. Tout ce qui les fait baisser s’oppose au développement des tumeurs. Il est clair que l’équilibre oméga-3/oméga-6 contribue à bloquer l’inflammation et la croissance des tumeurs. Il faut contrôler ça à fond. Maintenant, je suis psychiatre et neuroscientifique, je ne suis pas nutritionniste, je vais essayer de ne pas me battre sur leur terrain. Il y a des problèmes qui se posent à moi immédiatement, à commencer par l’épidémie de cancers. C’est le grand problème de la médecine aujourd’hui. C’est une maladie multifactorielle, qu’il faut aborder de tous les côtés.

La prise en charge comportementale est très importante selon toi. Comment est-elle acceptée par les cancérologues ?

C’est sur ce point que j’ai eu le plus de mal avec les cancérologues. La nutrition encore, ils l’acceptent, parce que c’est ce qui se rapproche le plus d’un médicament. Mais leur faire intégrer l’importance de la méditation, c’est un peu plus éloigné de leur manière de penser.

L’idée qu’il y aurait une « personnalité du cancer » est-elle bien étayée ?

Non, ce n’est pas très solide, c’est vrai. Lydia Temoshok a proposé le concept de « personnalité de type C » pour les patients atteints de cancer, par contraste avec la personnalité de type A qui caractérise les tendances agressives et impatientes des cardiaques. Tous les gens qui travaillent avec des patients finissent par tomber sur ce type de personnalité. On ne retrouve pas ces éléments psychologiques chez tous les patients, mais chez pas mal d’entre eux.

De quels éléments psychologiques s’agit-il ?

Comme moi, il s’agit souvent de personnes qui ne se sont pas senties pleinement accueillies dans leur enfance. Leurs parents ont pu être violents ou coléreux ou froids, distants et exigeants. Ces enfants ont reçu peu d’encouragements et développé un sentiment de vulnérabilité ou de faiblesse. Par la suite, pour être sûrs d’être aimés, ils se sont conformés à ce qu’on attendait d’eux plutôt que de suivre leurs propres penchants. Ils deviennent des adultes qui se mettent rarement en colère, ils sont toujours prêts à aider les autres, évitent les conflits. Pour garantir leur sécurité émotionnelle, ils s’investissent dans un seul aspect de leur vie : le travail, le mariage, les enfants. Lorsque celui-ci est menacé ou perdu, la douleur de l’enfance resurgit. Elle s’accompagne de sentiments d’impuissance, de désespoir et d’abandon, qui peuvent peser sur l’équilibre psychologique et corporel. C’est ce qu’un de mes collègues thérapeutes appelle le « touché-coulé ». La première blessure de l’enfance est supportable. Lorsqu’un deuxième coup frappe au même endroit, tout l’édifice psychologique et physique peut s’effondrer.

Comment vit-on après un cancer ?

On se soumet à des examens régulièrement, c’est une espèce d’habitude. J’ai conscience que mon corps porte des cellules plus agressives que la moyenne des gens, et qu’il faut garder ces cellules sous contrôle.

Qu’y a-t-il pour toi après « Anticancer » ?

Je suis en train de mettre au point un programme pour l’hôpital Pompidou à Paris. C’est parti du constat que les patients demandent aux cancérologues des conseils sur ce qu’ils doivent manger, et que les médecins ne savent pas toujours quoi répondre. Il faut aussi apprendre aux gens à se parler et parler de leurs émotions, mais ça, ça se met tout naturellement en place dans le cadre d’un programme qui s’intéresse à l’aspect nutrition, parce que tu constitues des groupes et bien sûr les patients en viennent naturellement à se parler. Ensuite, il faut amener les patients à se recentrer, cela vient facilement, c’est l’objectif de la méditation. Enfin, leur apprendre à dépasser les traumatismes du passé.

Quel peut être l’impact de ce type de programme environnement-nutrition-esprit sur le cours de la maladie ?

On ne sait pas très bien, mais je pense qu’il peut être énorme. Je ne peux pas dire que j’ai trouvé la solution définitive contre le cancer, que ça va résoudre tous les problèmes, mais je crois sincèrement que cela peut réduire le risque de cancer chez les personnes en bonne santé, et cela peut réduire le risque de mortalité chez ceux qui ont ou ont eu un cancer. Beaucoup de gens sont encore en vie grâce à ce type d’intervention. Je vais faire ce que je peux, avec ce livre, ce programme pour l’hôpital, et le site Internet que je lance, anticancer.fr.

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