Dépistage du cancer du sein : la plupart des femmes seraient traitées inutilement

Par Thierry Souccar - Journaliste et auteur scientifique, directeur de laNutrition.fr Publié le 14/10/2016 Mis à jour le 10/03/2017
Actualité

Le dépistage systématique par mammographie a conduit à un surtraitement massif, le plus souvent injustifié, selon une étude américaine.

Une nouvelle étude américaine conclut que la généralisation du dépistage systématique par mammographie a conduit à un surtraitement massif du cancer du sein, et que si la mortalité a diminué, ce n’est pas grâce au dépistage mais parce que les traitements sont plus efficaces.

Plus de la moitié des cancers du sein nouvellement diagnostiqués ne présentent aucun risque et soumettent au contraire les femmes à un stress et des traitements inutiles rapportent des chercheurs dans le New England Journal of Medicine.

L'étude a également constaté que la valeur de la mammographie comme moyen de sauver des vies a été considérablement surestimée. 

Ces résultats jettent un nouveau doute sur l’intérêt du dépistage systématique du cancer du sein pour les femmes sans antécédents familiaux. 

La complexité des tumeurs

L'espoir que la détection précoce permettrait de sauver la vie de très nombreuses femmes est né au milieu des années 1970. Les experts estimaient alors que la moindre petite grosseur était le signe avant-coureur d'une tumeur qui, avec le temps, allait se développer et se propager.

Selon ce raisonnement, plus on détecterait tôt, plus on traiterait tôt, et plus on diminuerait le risque de mortalité.

Mais on sait aujourd’hui que le caractère génétique d’une tumeur, sa relation avec l’environnement (c’est-à-dire le milieu et plus généralement l’organisme) sont de meilleurs prédicteurs de sa progression que la taille de la tumeur lors de la découverte. Une tumeur mammaire peut atteindre 2 centimètres, puis cesser de croître pendant de nombreuses années. Un autre peut progresser d’une taille indétectable à 5 centimètres en l’espace de quelques mois.

"L'intérêt de la mammographie a été exagéré"

Ce constat prend à contre-pied les politiques actuelles de dépistage systématique et de traitement quasi-systématique. "Les mantras « tous les cancers mettent la vie en danger » et « en cas de doute, il faut opérer » nécessitent d’être révisés," écrit le Dr Joann Elmore, épidémiologiste à l' Université de Washington dans un éditorial qui accompagne l'étude. "Les efforts bien intentionnés des médecins, dit-elle, constituent des dommages collatéraux".

Les mammographies se sont développé dans les années 1980, et, avec les pouvoirs publics, aussi bien les acteurs de l’imagerie médicale que les médecins et les organismes de lutte contre le cancer ont alors fait campagne pour enrôler le plus de femmes avec l’assurance qu’en identifiant les tumeurs précocément on augmenterait la survie, souvent en utilisant des arguments biaisés.

Il est maintenant évident que les médecins, les groupes de pression et les médias ont « tout simplement exagéré l’intérêt de la mammographie », dit le responsable de l'étude, le Dr H. Gilbert Welch (Université Dartmouth). Cette situation avait été dénoncée dès 2011 par LaNutrition.fr.

Lire : La France exgère les bénéfices de la mammographie

L'analyse des données de l'Institut national du cancer des Etats-Unis suggère que la majorité des anomalies identifiées par les mammographies de dépistage ne seraient probablement jamais devenues mortelles si on n’y avait pas touché. Pourtant, médecins et patients traquent la moindre de ces anomalies avec des biopsies, des analyses et des traitements qui peuvent être dangereux.

Des résultats mitigés

Welch et son équipe ont relevé les résultats et la taille des tumeurs chez les femmes de plus de 40 qui ont été diagnostiquées avec un cancer du sein entre 1975 et 1979, avant le dépistage par mammographie.

Ils ont comparé ces chiffres avec les résultats pour le cancer du sein entre 2000 et 2002, lorsque le dépistage a été généralisée.

Pour les deux groupes, ils ont obtenu des informations sur les traitements mis en œuvre, et si les patientes étaient encore en vie 10 ans après le diagnostic.

Les chercheurs ont remarqué que plus les femmes ont eu des mammographies de routine, plus on a diagnostiqué de cancers du sein. Ces cancers supplémentaires avaient tendance à être plus petits, ou être confinés, sans atteinte des tissus environnants.

Si le fait de trouver des tumeurs de petite taille permettait de neutraliser des tumeurs potentiellement agressives, alors la généralisation du dépistage aurait dû réduire le nombre de grosses tumeurs découvertes sur les mammographies. Mais le taux de découverte des tumeurs importantes et agressives est resté pratiquement inchangé entre 1975 et 2010.

« L'introduction du dépistage par mammographie a produit plusieurs effets », expliquent les auteurs. Dans une modeste mesure, le dépistage par mammographie a eu l'effet souhaité de trouver des tumeurs dangereuses avant qu’elles grandissent. Pour ces femmes - environ 20% - un traitement précoce leur a potentiellement sauvé la vie.

Mais pour 80% des femmes rien de particulier ne leur serait arrivé si leurs petits cancers n’avaient pas été détectés.

Ironie du sort, alors que la mammographie s’est généralisée et que l’imagerie s’est améliorée, le dépistage a surtout permis d’identifier de plus en plus de ces petites tumeurs inoffensives : alors que les grosseurs de moins de 2 centimètres représentaient 37% des anomalies détectées par mammographie dans les premières années de l'étude, ils en constituaient 67 % en 2010.

En comparant les variations des taux de mortalité dans le temps pour les femmes diagnostiquées avec des tumeurs de différentes tailles, les chercheurs ont calculé que les améliorations thérapeutiques sont à l’origine d'au moins 66% de la réduction du nombre de décès. Ce qui veut dire que le dépistage ne joue pas un rôle important dans la baisse de la mortalité.

Welch a reconnu que ces nouvelles découvertes ne contribueront guère à clarifier qui devrait faire des mammographies, et à quelle fréquence, et qui devrait les éviter.

Mais elles devraient inciter les patients et leurs médecins à considérer que le traitement agressif d’une petite anomalie ne conduit pas toujours à une meilleure santé. Les femmes devraient savoir que tout comme pour la prostate et le cancer du poumon, différer le traitement jusqu'à ce qu'une tumeur révèle sa nature agressive est un choix.

Et parce que de petites grosseurs sont trouvées presque exclusivement par les mammographies, l'étude est un rappel important, souligne Welch que « les tests systématiques, sans discrimination peuvent nous rendre malades ».

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