Hormone et cancer du sein : la fin d'une longue polémique

Par Collectif LaNutrition.fr - Journalistes scientifiques et diététiciennes Publié le 16/05/2006 Mis à jour le 21/11/2017
Le traitement hormonal substitutif (THS) favorise-t-il le cancer du sein ?La question a longtemps été au cœur des débats dans le milieu médical et scientifique sans jamais être clairement tranchée.La raison : la plupart des études, anglosaxones, ont testé des hormones très peu utilisées en France. Il devenait urgent de mener une étude dans l’Hexagone. Tout le monde le souhaitait, Françoise Clavel l’a fait.

Le Dr Françoise Clavel-Chapelon (Institut Gustave Roussy, Villejuif) a publié dans la revue International Journal of Cancer les résultats de la seule grande étude française sur le risque de cancer du sein lié au THS, l’étude E3N (Etude Epidémiologique de femmes de la MGEN).

L’étude E3N est une grande enquête d’observation portant sur plus de 100 000 femmes volontaires. Parmi elles, 54 584 femmes françaises ménopausées qui n’avaient jamais eu recours au THS avant l’entrée dans l’étude ont été suivies (durée de suivi moyenne : 5,8 ans). Tous les deux ans, les femmes ont répondu à un questionnaire sur le traitement hormonal substitutif (prise ou non d’un THS, type de THS, durée d’utilisation) et sur leur état de santé.

Résultats

(Par définition, les femmes non utilisatrices de THS ont un risque relatif (RR) égal à 1).

-Estrogènes seuls : pas d’augmentation du risque de cancer du sein (RR 1,1 non significatif)
-Estrogènes+progestérone naturelle : pas d’augmentation du risque de cancer du sein (RR 0,9)

-Estrogènes + progestatifs synthétiques (dérivées de la progestérone ou de la testostérone) : augmentation du risque de cancer du sein de 40 % (RR 1,4)

Entretien avec le Dr Françoise Clavel-Chapelon


Pourquoi avez-vous lancé cette étude ?

Dr Françoise Clavel-Chapelon : Cette étude a démarré en 1990 il y a donc 16 ans. A l’époque le THS soulevait de nombreuses interrogations. Plusieurs études s’étaient déjà intéressées au lien entre THS et cancer du sein. Et elles laissaient entrevoir un risque de cancer plus élevé chez les femmes ayant utilisé un THS que chez les non utilisatrices. Le problème c’est que la plupart de ces études étaient des études cas-témoins qui comportent des biais. Par ailleurs ces études portaient souvent sur un petit nombre de participantes. Il y avait très peu d’enquêtes à grande échelle. Et en France, il n’y avait rien du tout. Dès 1986, j’ai imaginé une grande enquête de cohorte dans l’Hexagone dans le but de travailler sur des données de bonne qualité. Pour cela nous avons recruté un grand nombre de femmes, près de 100 000.

Récemment deux études ont fait grand bruit dans le milieu scientifique, médical et même dans la presse : l’une américaine la WHI (Women’s Health Initative), l’autre britannique la MWS (Million Women Study). Elles ont toutes deux clairement mis en évidence une augmentation du risque de cancer du sein avec le THS. Dans ce contexte, quel est l’intérêt de votre étude ?

La WHI est un essai contrôlé randomisé*, c’est le must des études en terme de preuve. Les américains ont trouvé un risque de cancer du sein augmenté de 30 % avec le traitement testé qui est une association estroprogestative. Le problème c’est que ce traitement (estrogènes équins associés à de l’acétate de médroxyprogestérone) n’est quasiment pas utilisé chez nous. La seconde est une vaste étude d’observation britannique : la MWS. Elle est intéressante parce qu’elle porte sur un très grand nombre de femmes et que les traitements utilisés par les femmes étaient variés.

Cette étude a mis en évidence un risque de cancer du sein multiplié par 2 avec le THS. Pour autant, le grand nombre de participantes n’a pas permis un suivi individuel poussé.

Par exemple, une femme était considérée comme utilisatrice si elle utilisait un THS le jour de son inclusion dans l’étude, même si elle l’arrêtait le lendemain. Enfin, cette étude pas plus qu’aucune autre à ce jour, ne donne de résultats sur la progestérone naturelle, utilisée pourtant par 20 % des utilisatrices d’un THS, dans l’étude E3N.

* essai contrôlé randomisé : essai qui compare un traitement à un placebo, la répartition des participants dans les différents groupes se faisant par tirage au sort.

Le THS français augmente-t-il oui ou non le risque de cancer du sein ?

Eh bien notre étude montre que tout dépend du progestatif utilisé. Les femmes qui ont pris l’association estrogènes-progestatif de synthèse ont un risque de cancer du sein augmenté de 40 % par rapport aux non utilisatrices. Celles qui ont pris l’association estrogènes-progestérone naturelle n’ont pas de risque augmenté. Pas plus que pour un THS qui comporte des estrogènes seuls, THS réservé aux femmes ayant subi une ablation de l’utérus.

En France, quel est le THS majoritairement prescrit ?

D’après notre enquête sur 30 000 femmes ménopausées qui prennent un traitement hormonal substitutif, 63 % prennent l’association estrogènes-progestatif synthétique, 20 % estrogènes-progestérone naturelle, 10 % estrogènes seuls. Le reste des femmes prend soit des estrogènes faiblement dosés administrés par voie vaginale essentiellement (5 %) soit des estrogènes conjugués équins (1 %).

La durée de prise du traitement est-elle un paramètre important ?

Nous ne pouvons pas répondre à cette question pour l’instant. Les données dont nous disposons aujourd’hui ne portent pas sur des durées très longues ni sur un grand nombre de cas. Il est donc indispensable de poursuivre cette étude et d’allonger la durée de suivi.

Le mode d’administration a-t-il une influence ?

Non. Que les estrogènes soient pris par voie orale, sous forme de gel ou par le biais d’un patch, le risque est inchangé.

L’étude E3N a-t-elle mis en évidence d’autres risques du THS ?

Pas encore mais on le saura bientôt. Nous étudions actuellement l’influence du THS sur le risque d’infarctus et le risque de tumeur colorectale. Je pense que nous aurons les résultats dans quelques mois.

Que conseillez-vous aux femmes aujourd’hui ?

D’attendre nos prochains résultats … Pour l’instant, en l’état actuel des connaissances, il est clair que si un THS combinant les deux hormones doit être prescrit, mieux vaut utiliser la progestérone naturelle micronisée. Ce THS est possiblement sans effet sur le risque de cancer du sein à court terme (moins de 4 ans). A plus long terme, on ne sait pas. En revanche, il est aujourd’hui indéniable que les THS qui utilisent des progestatifs synthétiques augmentent le risque de cancer du sein, d’après l’étude E3N mais également d’après la littérature scientifique prise dans son ensemble.

Le THS en France

En France, le traitement hormonal substitutif associe un œstrogène naturel, le 17 bêta-estradiol à de la progestérone naturelle (progestérone micronisée) ou à un progestatif (molécule dérivée proche de la progestérone). Par « naturel(le) » on entend de structure identique à l’hormone sécrétée par les ovaires car toutes ces hormones sont en réalité fabriquées en laboratoire. Il serait plus juste de parler d’hormones bio-identiques.

On prescrit de la progestérone ou un de ses dérivés pour s’opposer aux risques de cancers de l’utérus qu’entraînent la prise régulière d’estrogènes. Elle n’est donc généralement pas prescrite chez les femmes qui ont subi une hystérectomie et qui n’ont plus d’utérus.

L’œstrogène se présente sous plusieurs formes : comprimé, gel, patch, aérosol nasal. La progestérone et ses dérivés sont donnés le plus souvent par voie orale.

Il existe également des associations estroprogestatives « prêtes à l’emploi » (estradiol + progestatif de synthèse), sous forme de comprimé sur le modèle des pilules contraceptives, soit sous forme de patch.


L’avis du spécialiste

Représentant pour l’Europe de l’American Academy of Anti-Aging Medecine, le Dr Thierry Hertoghe est médecin expert dans le traitement des déficiences hormonales.

« En l’absence de contre-indications, le traitement hormonal que je préconise à mes patientes à la ménopause associe deux hormones bio-identiques :

- le 17 bêta-estradiol sous forme de gel (œstrogel par exemple) préférable aux comprimés et aux patchs

- la progestérone (Utrogestan) sous forme de capsules

Ce traitement est sûr et facilement adaptable à chaque femme. »

 

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