Cholestérol : la nouvelle offensive des amis de l'industrie

Par Thierry Souccar - Journaliste et auteur scientifique, directeur de laNutrition.fr Publié le 22/09/2016 Mis à jour le 10/03/2017
Point de vue
Le Pr Philippe Even répond à l'article du Lancet qui laisse croire que "les bénéfices des statines anti-cholestérol l'emportent sur les risques", comme la presse l'a rapporté. Au menu : opacité, dissimulations et conflits d'intérêt.

Alors que la fronde contre les traitements anticholestérol enfle, des chercheurs, pour la plupart liés à l'industrie pharmaceutique, tentent de tuer le débat. Le Pr Philippe Even donne ici les dessous de cette offensive.

Voici le contexte : en novembre 2013, paraissent les nouvelles recommandations des autorités sanitaires britanniques, en l’occurrence le National Institute for Health Care and Excellence (NICE) qui étendent encore les indications des statines.

La contestation enfle

Mais le 10 juin et le 21 octobre 2014 deux lettres ouvertes sont adressées au Secrétaire d’Etat britannique à la Santé et au président de la Commission Santé de la Chambre des Communes, reprises dans tous les médias anglais.

Elles n’émanent pas de n’importe qui puis qu’elles sont signées de Lord Ian McColl, médecin, membre de la chambre des Lords, du Pr Sir Richard Thomson, président du Royal College of Physicians, du Pr Kailash Chand, vice-président de la British Medical Association, des Prs Clare Gerada, présidente du Collège Royal des généralistes, du Pr David Newman, Professeur assistant de médecine d’urgence et Directeur de recherche clinique à la Mount Sinai School of Medicine (New York) et du Pr Simon Capewell, Professeur d’Epidémiologie clinique à l’université de Liverpool.

Lire : Une sommité médicale brittanique s'alarme des effets secondaires des statines

« Nous demandons, écrivent-ils solennellement, le retrait des nouvelles recommandations du NICE, qui tendent à médicaliser des millions de gens sains, car :

$1·- 8 des 12 experts du NICE sont liés aux firmes commercialisant les statines ;

$1·- l es complications des statines sont systématiquement cachées ;

$1·- l e rapport s’appuie exclusivement sur les analyses du Clinical Trial Service Unit (CTSU) d’Oxford, organisme privé financé par les mêmes firmes, qui compte de multiples biais et dissimulations des résultats sans évaluation objective des risques ;

$1·- l e CTSU a en outre reçu des centaines de millions des compagnies produisant les statines et par exemple, 149 millions de dollars pour la seule étude REVEAL, sponsorisée par Merck. »

Le 1er novembre 2014, The Lancet s’alarme de cette « absence de leadership » qui traduit publiquement de graves divergences et demande l’intervention urgente du premier ministre, du gouvernement et de l’Academy of Medical Sciences.

Puis, silence. En août 2015, j’écris ceci : « Le CTSU doit préparer une 4ème métanalyse du CTTC

Le CTTC, ou Cholesterol Treatment Trialists' Collaboration, c’est cette unité du CTSU d’Oxford qui publie des méta-analyses sur les statines, à partir d’études pour la plupart payées par les industriels, tout en refusant l’accès des chercheurs indépendants aux données des patients enrôlés dans ces études.

Et en effet, comme prévu, le 9 septembre 2016, nouvelle « revue » du CTSU de 30 pages sur les statines du Lancet, trois fois la longueur habituelle des articles, copié-collé de ses méta-analyses de 2004, 2010 et 2012, sans un seul fait nouveau, signée des mêmes collaborateurs du CTSU, lourdement rémunérés par l’industrie avec deux des universitaires les plus liés et même actionnaires des grandes firmes, Paul Ridker (Harvard, Etats-Unis) et Salim Yusuf (McMaster University, Canada), tous ceux qui nous ont trompés depuis 15 ans.

Lire : Contre l'infarctus, l'alimentation ou les statines ?

 

Contrats financiers personnels avec les labos

Vingt-huit auteurs. Aucun cardiologue clinicien interventionniste, chirurgien, biologiste, physiologiste ou biochimiste, tous statisticiens ou épidémiologistes de centres d’épidémiologie ou de médecine préventive publics ou privés, américains, anglais, canadiens ou australiens.

Sur les 28 auteurs, 5 mineurs et inconnus n’ont pas de lien d’intérêt déclaré avec l’industrie, 6 sont président (Sir Rory Collins) ou membres du conseil d’administration du CTSU privé d’Oxford, et 14 servent comme consultants et/ou membres de l’Advisory Board des laboratoires pharmaceutiques et sont sous 35 contrats financiers personnels, avec Sanofi, Merck, Pfizer, Abbvie, Actelion, Amgen, Astra-Zeneca, Boehringer, Glaxo, Regeneron, Quest, Abbott, Lilly, Metarini, Novartis, Institut privé George), Bayer, Roche.

Quatre des signataires sont membres actifs de« Polypill », branche de Health Bridge Pharmaceuticals Limited (Londres), société privée qui promeut et distribue des médicaments directement aux patients. Leur polypill associe trois hypotenseurs, pas moins et une statine, avec le slogan : « Avec Polypill, vous réduisez des deux-tiers (sic) votre risque d’accident cardiaque ou d’AVC ».

Pr Philippe Even : "L'industrie pharmaceutique est hors de tout contrôle."

(A noter que les liens avec Amgen, Abbvie et Sanofi ne concernent  pas les statines, mais la commercialisation prochaine des anti-PCSK-9 destinés à les remplacer avec des biomédicaments pas plus efficaces et 100 (cent) fois plus chers et qui arrivent maintenant sur le marché).

Et le Lancet, « impartial », publie sans commentaire.

Et les médias, enthousiastes, relaient la bonne parole, sans un mot sur ces conflits d'intérêt.

Le Pr Philippe Even est co-auteur de La vérité sur le cholestérol et Corruptions et crédulité en médecine (Le Cherche Midi).

Rendez-vous : le 3 octobre 2016, LaNutrition.fr publiera des révélations sur les manoeuvres tentées en France pour faire peur aux patients sous statines qui voudraient arrêter leur traitement.

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