Comment l’industrie du sucre a façonné les recommandations nutritionnelles officielles

Par Thierry Souccar - Journaliste et auteur scientifique, directeur de laNutrition.fr Publié le 13/09/2016 Mis à jour le 09/10/2017
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L’industrie du sucre a payé des chercheurs dans les années 1960 pour diaboliser les graisses et le cholestérol et détourner l’attention du sucre. D’où la recommandation de «manger moins gras». 

L'industrie du sucre a payé des scientifiques dans les années 1960 pour minimiser le lien entre le sucre et les maladies cardiovasculaires et au contraire faire endosser ce rôle aux corps gras, notamment les graisses saturées.

C’est ce que révèlent des documents découverts par une chercheuse de l'Université de Californie. Il en ressort que les recommandations nutritionnelles en vigueur depuis une cinquantaine d’années, dont le « Mangez moins gras » du Programme National Nutrition Santé (PNNS) ont été en grande partie façonnées par les manoeuvres de l'industrie du sucre.

Une organisation américaine regroupant les industriels du sucre, la Sugar Research Foundation, aujourd’hui Sugar Association, a versé à 3 scientifiques de Harvard l'équivalent d'environ 50 000 dollars d'aujourd'hui pour publier un état des lieux des données scientifiques sur le sucre, les graisses et les maladies cardiovasculaires, paru en 1967. 

Les études utilisées dans cet article qui a influencé des décennies de travaux et de recommandations nutritionnelles ont été sélectionnées par les industriels du sucre, et l'article publié dans le prestigieux New England Journal of Medicine, a de ce fait minimisé le lien entre le sucre et la santé cardiaque tout en chargeant les graisses saturées.

La main de l'industrie sur la recherche en nutrition

L’histoire remonte à près de 50 ans, mais des documents plus récents montrent que l'industrie alimentaire continue d'influer sur la recherche en nutrition. Quelques exemples.

En juin 2016, l'Associated Press a rapporté que les fabricants de confiseries financent des études pour accréditer l’idée que les enfants qui mangent des bonbons ont tendance à être moins gros que ceux qui n’en mangent pas.

En 2015, un article paru dans le New York Times a révélé que Coca-Cola, le plus grand producteur mondial de boissons sucrées, avait fourni des millions de dollars pour financer des chercheurs afin de minimiser le lien entre les boissons sucrées et l'obésité

En février 2014, LaNutrition.fr révélait que l'Education nationale avait confié à l'industrie du sucre française le soin d'éduquer professeurs et élèves à la nutrition. L'affaire avait suscité un tollé dans l'opinion et à l'Assemblée nationale.

LaNutrition.fr a aussi montré que l'industrie agroalimentaire tentait d'accréditer l'idée qu'en buvant des sodas light on ne grossit pas plus qu'en buvant de l'eau. LaNutrition.fr a aussi rapporté comment l'industrie laitière finance des études bidons, qui sont ensuite reprises in extenso par les médias.

Lire : Lait et sodas miraculeux : comment l'argent de l'agrobusiness pervertit la recherche

Les scientifiques de Harvard et les responsables de l’industrie du sucre avec lesquels ils ont collaboré sont aujourd’hui décédés. Le premier, le Dr Fredrick J. Stare, a fondé le département de nutrition de Harvard en 1942. Dans son service travaillait le Dr Mark Hegsted, qui est devenu le chef de la nutrition au ministère de l'Agriculture des Etats-Unis, où, en 1977, il a piloté la rédaction des recommandations nutritionnelles américaines. Le troisième, Robert McGandy, était également un collaborateur de Stare à Harvard.

Depuis des décennies, les responsables de la santé américains, et à leur suite les responsables français du Programme national nutrition santé encouragent la population à réduire leur consommation de matières grasses et à augmenter leur consommation de pommes de terre et produits céréaliers.

Ce mouvement a été amplifié par l’industrie agro-alimentaire qui a inondé les rayons d’aliments allégés en graisses, dans lesquels les corps gras sont remplacés par des glucides à index glycémique élevé comme les amidons et les amidons transformés. Certains experts considérent que ces pratiques sont à l’origine de l’épidémie d'obésité qui touche tant de pays.

Lire : Les glucides, pas les graisses, responsables du surpoids

Le Dr Hegsted a utilisé ses recherches pour influencer les recommandations nutritionnelles, qui font porter sur les graisses saturées la responsabilité des maladies cardiovasculaires et du surpoids.

Le Pr Walter Willett, aujourd'hui président du département de nutrition à l’école de santé publique de Harvard rappelle que les règles académiques arbitrant les conflit d'intérêts ont changé de façon significative depuis ces années-là, mais que les documents exhumés sont un rappel de «la raison pour laquelle la recherche devrait être soutenu par un financement public plutôt que de dépendre du financement de l'industrie

Walter Willett, qui a collaboré à LaNutrition.fr, est lui-même depuis les années 1980 la bête noire de l’industrie agro-alimentaire, preuve que les choses ont bien changé à Harvard.

Les documents révélant la collusion entre des chercheurs et l’industrie du sucre ont été mis à jour par Cristin E. Kearns, une chercheuse de l’université de Californie, alors qu’elle examinait les archives de Harvard, de l'Université de l'Illinois et d'autres bibliothèques universitaires.

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Collusion

Les documents montrent que, en 1964, John Hickson, un haut dirigeant de l'industrie du sucre, a élaboré un plan pour changer la perception de l'opinion publique sur le sucre. A la fin des années 1960, en effet, les travaux de John Yudkin, un chercheur britannique accusant le sucre d’être l’un des principaux responsables des maladies de civilisation, commencent à diffuser dans le grand public.

Dans le même temps, d'autres scientifiques, dont le Dr Ancel Keys, enquêtaient sur ​​une théorie concurrente qui incriminait les graisses saturées et le cholestérol comme principaux facteurs de risque des maladies cardiovasculaires.

Hickson a proposé de contrer les conclusions alarmantes sur le sucre en finançant des études. "Ensuite, nous pourrons publier les données et contrer nos détracteurs,» écrit-il.

En 1965, John Hickson a commandé aux chercheurs de Harvard un article qui torpillerait les études anti-sucre. Hickson a sélectionné les études et clairement indiqué qu'il voulait que l’article favorise le sucre. «Nous sommes bien conscients de l'intérêt particulier qui est le vôtre et nous y répondrons du mieux possible. », a répondu le Dr Mark Hegsted de Harvard, un chercheur de renom.

Les scientifiques de Harvard ont par la suite écrit que les études accusant le sucre n’étaient pas fiables, alors que celles impliquant les graisses saturées et le cholestérol étaient solides.

Pendant des années, le Dr Frederick Stare a continué de faire l'apologie du sucre et des aliments sucrés. Il considérait le sucre comme un aliment pas cher à produire et qui pourrait "résoudre les problèmes alimentaires d'une partie de la planète." Il conseillait, dans ses livres très populaires, de "verser un sucre dans votre café 3 à 4 fois par jour". On comprend mieux aujourd'hui cette passion pour le sucre.

Aujourd'hui encore, des pédiatres français assurent que "le sucre n'est pas mauvais pour la santé des enfants". Plusieurs de ces médecins travaillent pour l'industrie agro-alimentaire sans que ce lien soit rapporté par les médias qui relaient leur parole.

Lire : Le lobby du sucre

Après la publication de l'article des chercheurs de Harvard, le débat sur le sucre et les maladies cardiovasculaires a été occulté.

Par exemple, on peut lire dans les recommandations de l'Agence française des aliments (2001), que « les différences de densité énergétique entre les glucides [sucres] et les lipides donnent aux premiers un avantage potentiel dans la régulation énergétique et le contrôle du poids.» En d’autres termes, non seulement les glucides ne font pas grossir, mais ils seraient presque bons pour la ligne.

Les thèses de John Yudkin accusant le sucre de provoquer des infarctus ont été raillées et les régimes pauvres en graisses, tout comme les aliments allégés, ont gagné l'approbation de nombreuses autorités sanitaires.

Le cholestérol, de son côté, est devenu l’ennemi numéro 1, qu'il faut à tout prix faire baisser, ce qui rapporte des milliards aux fabricants de margarine anti-cholestérol et surtout à l'industrie pharmaceutique pourvoyeuse de statines. Alors qu'un simple régime alimentaire de type méditerranéen (avec ses corps gras !), associé à de l'exercice physique est un moyen efficace, sûr et sans aucun coût pour la sécurité sociale de prévenir infarctus et AVC.

Pour en savoir plus sur les effets réels du sucre sur la santé, il y a le livre du Dr Robert Lustig "Sucre, l'amère vérité".

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