Le cholestérol, un coupable sans preuves

Par Collectif LaNutrition.fr - Journalistes scientifiques et diététiciennes Publié le 17/11/2011 Mis à jour le 10/03/2017
Faire baisser le cholestérol par des médicaments ne semble pas apporter de bénéficesLa lutte contre le cholestérol coûte cher et occulte d'autres mesures plus efficaces

J’étais ces jours-ci à un congrès de pharmaciens, où j’ai présenté des informations sur le rôle du cholestérol dans Alzheimer. J’y reviendrai une autre fois, mais le cholestérol semble jouer un rôle préventif important dans cette maladie et on peut se demander s’il est bien raisonnable de le faire baisser. La discussion est naturellement venue sur ce terrain car les prescriptions de médicaments contre le cholestérol caracolent en tête des ordonnances en France et beaucoup de pharmaciens sont persuadés que ces médicaments sont véritablement utiles.

L'idée que le cholestérol joue un rôle majeur dans les maladies cardiovasculaires est si intimement implantée dans nos esprits qu’il paraît saugrenu de vouloir la remettre en cause. C'est pourtant ce que font un nombre croissant de médecins et de chercheurs du monde entier. En France, le message est porté par le Dr Michel de Lorgeril.

Il n’est pas inutile de rappeler les arguments en faveur de l’implication du cholestérol en tant que facteur de risque cardiovasculaire. Dès le début du vingtième siècle les pathologistes ont relevé la présence de plusieurs substances dans les lésions artérielles, les fameuses plaques d’athérome. Parmi ces substances qui sont très nombreuses, il y a du cholestérol y compris sous forme de cristaux, d’où l’idée que le cholestérol boucherait les artères.

Confusion

Dans son nouveau livre "Prévenir l’infarctus et l’AVC" (lire un extrait ICI  >>), Michel de Lorgeril rappelle néanmoins l’origine de la confusion : « Le cholestérol est une molécule précieuse dans notre organisme, tellement précieuse que nous ne savons pas le détruire, seulement le transformer, par exemple en hormones stéroïdes ou en vitamine D. En conséquence, si le cholestérol se retrouve dans des conditions où il n’y a pas de cellules capables de le métaboliser, il s’accumule et constitue un résidu indestructible (…). L’accumulation de cholestérol n’est donc pas la cause de la lésion – comme le croient certains – mais la conséquence du vieillissement des lésions. »

A la fin des années 1960, les biochimistes ont mis au point une technique pour mesurer le taux de cholestérol à l'intérieur des lipoprotéines qui les transportent - de haute densité (HDL, le "bon"), de basse densité (LDL, le "mauvais") et de très basse densité (VLDL). Les autorités de la santé ont financé quelques études pour savoir si ces «fractions de cholestérol» pourraient prédire le risque de maladies cardiovasculaires. En 1977, les chercheurs ont rapporté leurs résultats. Cela peut surprendre beaucoup de lecteurs de savoir qu'ils concluaient que le cholestérol total est un marqueur inutile pour prédire le risque cardiovasculaire. Ainsi l’étude de Framingham dit clairement que chez les hommes et les femmes de 50 ans et plus, « le cholestérol total n'est absolument pas un facteur de risque des maladies coronariennes. "

Le cholestérol des lipoprotéines de basse densité (LDL) pouvait être cependant associé à un « facteur de risque marginal ». Quant au cholestérol des lipoprotéines de haute densité (HDL) il semblait prédire le mieux le risque cardiovasculaire : plus son taux était élevé, plus le risque était faible (depuis, on sait que le fait d'augmenter le cholestérol-HDL par un médicament n'apporte absolument aucun bénéfice).

Les hypocholestérolémiants : des bénéfices marginals et douteux

Mais revenons à notre "mauvais" cholestérol. En fait, une très grande proportion de victimes d’infarctus n’ont pas des taux de cholestérol particulièrement élevés. Par ailleurs, les preuves que les médicaments anti-cholestérol réduisent la mortalité sont au mieux controversées. La prise de fibrates, la famille d’hypocholestérolémiants les plus prescrits avant l’arrivée des statines n’a pas permis de diminuer la mortalité totale, certaines analyses trouvant même que ces médicaments l’ont augmentée.

Quant aux statines – les médicaments anti-cholestérol les plus vendus – les preuves qu’elles réduisent la mortalité sont extrêmement discutables et extrêmement discutées.  Par exemple, les statines ne semblent apporter aucun bénéfice sur la mortalité des personnes sans antécédent cardiovasculaire, qu’elles soient à risque faible ou à risque élevé. (1)

En ce qui concerne les personnes déjà victimes d’un infarctus, des méta-analyses rapportent une réduction de la mortalité de l’ordre de 10% avec une prise au long cours de ces médicaments. Non seulement c’est peu (on peut faire beaucoup mieux par un simple changement d’hygiène de vie !) mais surtout les études qui contribuent à ces résultats sont suspectes. Il s’agit en général d’études anciennes, financées par l’industrie, à une époque où tous les garde-fous pour éviter une contamination par l'argent n’étaient pas en place. Le Dr Fiona Taylor, (London School of Hygiene and Tropical Medicine, Royaume-Uni) qui a publié une analyse récente d’études conduites avec des statines considère que les données de ce type ont pu être « biaisées » (2). Enfin, il faut se souvenir que les méta-analyses sont réalisées par définition avec des données publiées. Ont pu disparaître du radar des statisticiens toutes les études négatives que les laboratoires ont décidé de ne pas publier, ce qui fausse bien sûr le constat global.

Certes la prise de statines a pu s’accompagner dans quelques études de certains autres bénéfices, et ceci a pu être interprété comme une relation de cause à effet : un médicament qui fait baisser le cholestérol entraîne certains bénéfices, donc il faut faire baisser le cholestérol. Mais cette logique est douteuse, car la plupart des médicaments ont des actions multiples, et c’est le cas en particulier des statines.

Comment économiser un milliard d'euros

Les autorités sanitaires ont toujours abordé l'hypothèse du cholestérol en tant que problème de santé publique, plutôt que sous un point de vue scientifique. En conséquence, les statines sont prescrites à tour de bras. Ceci coûte cher, très cher : un milliard d’euros sont remboursés chaque année par l’Assurance-maladie aux laboratoires qui vendent des statines. (Lire Des millions de Français sous statines... pour rien).

Mon point de vue est que l'élévation du cholestérol n'est souvent que le marqueur d'une rupture d'équilibre, une conséquence, pas un facteur en soi. Par exemple, une augmentation du taux d'insuline dans le sang, qui est le signe d'un manque d'exercice associé à une alimentation riche en féculents raffinés et en sucres peut entraîner une élévation du cholestérol.

Cette phobie du cholestérol alimente des conseils nutritionnels douteux, comme ceux de diminuer les corps gras et le cholestérol dans l’alimentation. Ces conseils ont-ils un effet sur votre santé ? Ce n’est pas évident. Dans une étude récente (3), des chercheurs du groupe Cochrane ont voulu savoir si les conseils du type réduisez votre cholestérol, mangez moins gras, (et d’autres conseils plus avisés : maigrissez, évitez de trop saler, ne fumez pas, faites de l’exercice etc)… ont un effet sur le risque d’infarctus et la mortalité cardiovasculaire. Résultat : zéro effet.

L’heure est venue de mettre à l’épreuve de la science, de manière indépendante, les présupposés sur lesquels sont fondés les conseils de prévention de l’infarctus, à commencer par la prescription massive de médicaments qui n’ont pas prouvé indiscutablement leur efficacité, ainsi que les mesures diététiques douteuses qui découlent du même raisonnement. Nous allons lancer des initiatives dans ce sens. Car la guerre contre le cholestérol nous a détournés des préconisations réellement efficaces, étayées, elles, par plus de trente années de recherche, et qui vont de la nutrition à l’exercice physique en passant par la gestion du stress. C’est moins cher et plus efficace que les statines, mais je ne sais pas si pour la diffusion des informations auprès des médecins et du public, c'est un avantage ou un handicap.

Références

(1) Ray KK, Seshasai SR, Erqou S, Sever P, Jukema JW, Ford I, Sattar N. Statins and all-cause mortality in high-risk primary prevention: a meta-analysis of 11 randomized controlled trials involving 65,229 participants. Arch Intern Med. 2010 Jun 28;170(12):1024-31. Review. PubMed PMID: 20585067.

(2) Taylor F, Ward K, Moore THM, et al. Statins for the primary prevention of cardiovascular disease. Cochrane Database Syst Rev2011; 1 (CD004816).

(3) Ebrahim S, Taylor F, Ward K et al. Multiple risk factor interventions for primary prevention of coronary heart disease. Cochrane Database Syst Rev 2011; 1 (CD001561).

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