Le miel de Manuka est-il vraiment supérieur aux autres ?

Par Collectif LaNutrition.fr - Journalistes scientifiques et diététiciennes Publié le 07/04/2015 Mis à jour le 03/03/2017
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Paré de multiples vertus, et vendu beaucoup plus cher que d’autres, le miel de Manuka tient-il ses promesses ?

Il est temps de faire un point sur ce que l’on entend sur le miel de Manuka. Ce serait « un miel d’exception », « bien supérieur » aux autres miels, qui « combat des infections bactériennes, y compris résistantes, et guérit mieux des plaies.»
Comme il est aussi plus cher, les consommateurs sont en droit de savoir si les spécificités de ce miel justifient une telle différence de prix avec nos miels locaux. Alors miel de Manuka : info ou intox ?
Le miel de Manuka est un miel monofloral produit à partir d’un arbuste qui pousse quasi exclusivement en Nouvelle-Zélande (Leptospermum scoparium), ce qui en fait un miel spécifique de ce pays. La Nouvelle-Zélande a donc investi dans ce miel et de nombreuses recherches ont été menées par le Pr Peter Molan et ses collaborateurs de l’université Waikato (Hamilton) pour déterminer ses propriétés santé. Avant d’aller plus loin sur le miel de Manuka, revenons quelques instants sur ce que nous savons des propriétés santé de nos miels locaux.

Les propriétés de nos miels locaux

Le miel est une substance acide avec un pH moyen de 3,9, très hygroscopique (elle attire fortement l’eau), avec une forte osmolarité, riche en enzymes notamment la gluco-oxydase (qui va produire du peroxyde d’hydrogène (H2O2)), des invertases, des catalases et des phosphatases acides, des vitamines du groupe B et C, des minéraux, des acides organiques, des acides aminés et des peptides aux propriétés antibactériennes (les défensives). C’est donc grâce à sa composition spécifique intrinsèque que le miel exerce ses propriétés cicatrisantes et antibactériennes. Au travers des quelques 4 000 études scientifiques sur le miel, l’activité antimicrobienne a été démontrée sur une soixantaine de germes allant des gram positifs aux gram négatifs, germes aérobies et anaérobies impliqués dans les infections des différentes sphères de l’organisme (ORL, stomacale, intestinale, cutanée, etc.), mais aussi des propriétés antifongiques et antivirales. Parmi ces pathogènes, le miel s’est révélé particulièrement efficace contre E. Coli, Staphyloccocus aureus, Helicobacter pylori, Salmonella, etc. Le miel s’est révélé actif contre certaines souches multi-résistantes.
Les agents antibactériens du miel responsables de cet effet sont d’une part les défensines (des peptides capable d’inhiber la croissance des germes), les flavonoïdes, le méthylglyoxal (MGO) que l’on va noter « agents non peroxydes » et d’autre part le peroxyde d’hydrogène (« agent peroxyde »). Ces deux types d’agents agissent en synergie dans les miels. Par ailleurs, le miel est un environnement peut propice au développement bactérien compte tenu de son acidité, son osmolarité (qui limite la présence d’eau libre nécessaire au développement des bactéries) et la présence des 2 types d’agents antibactériens. Tous les miels présentent un pouvoir antibactérien, y compris le miel de Manuka, et ceci n’est pas contesté (1) (il existe plus de 200 articles sur le miel de Manuka). Mais les études montrent aussi que ce potentiel antimicrobien varie en fonction des miels étudiés avec des CMI (concentration Minimale Inhibitrice) allant de 0,25 à 50 % (v/v). Ces différences d’activité sont sans nul doute à relier à des différences de composition en actifs, mais lesquels ?

En quoi le miel de Manuka est-il particulier ?

La spécificité revendiquée par le miel de Manuka tient au fait qu’il contient une très forte quantité de MGO, jusqu’à mille fois celle retrouvée dans les miels classiques (valeur inférieure à 40 mg/kg). Ainsi l’activité antibactérienne de ce miel ne serait pas attribuée au peroxyde d’hydrogène, mais à sa très grande teneur en MGO. Cette spécificité biochimique unique de ce miel a été vue comme un bon moyen de promouvoir à l’exportation un produit local sans concurrence. L’équipe du Pr Molan a inventé un indice pour quantifier ce MGO comme indice de qualité : l’UMF pour « Unique Manuka Factor ». La valeur UMF correspond au niveau d’activité générée par une concentration définie d’une solution de phénol (5,10 ou 20%) (solution antibactérienne). Il est dommage, je trouve, d’avoir développé un indice de qualité qui ne soit valable que pour 1 seul miel, l’intérêt de cet indice s’en trouve pour le moins plutôt limité et discutable ! D’autant plus qu’il existe une réglementation officielle avec des critères de qualité pour le miel (2). Ainsi la teneur en enzymes (substances apportées par les abeilles) que l’on note indice diastasique doit être supérieure à 8 et la teneur en hydroxyméthylfurfural (HMF), qui est un produit de dégradation du fructose, doit être inférieure à 40 mg/kg. Cependant des miels ayant une provenance déclarée de zones tropicales peuvent avoir des valeurs de HMF plus élevées mais limitée à 80mg/kg.
Dans leur étude Alzahrani et coll. mesurent la teneur en HMF de plusieurs miels. Le miel de Manuka présente une teneur en HMF à plus de 90 mg/kg, soit au-delà de la limite autorisée (3). Le HMF est également un marqueur de la fraicheur du miel (composante prenant en compte l’âge, les conditions de production et de stockage qui sont susceptibles d’altérer la qualité du produit).

Manuka : pas mieux que les miels locaux

Alors oui il existe de nombreuses études, y compris cliniques, qui ont montré que le miel de Manuka possède bien des activités antibactériennes, et cicatrisantes, et qu’il permet de réduire la durée de cicatrisation, de réduire le nombre de récidives, etc. (4-6)
Mais il existe le même type d’étude avec des miels locaux (thym, romarin, acacia, lavande, etc.). Il faut seulement relever que ces miels locaux n’ont jamais bénéficié d’autant de recherche que ce qu’a consenti à investir le gouvernement et la filière néo-zélandaise pour son miel de Manuka. Cependant les études qui ont comparé l’efficacité de miels locaux et le miel de Manuka ne sont pas nombreuses. Et la quasi-totalité de ces études ont montré que le miel de Manuka n’était pas plus antibactérien que les autres miels locaux testés, voire même qu’il l’est moins (7-11). Il a également été montré de manière unanime une corrélation positive entre la teneur en composés polyphénoliques et le potentiel antioxydant (7, 12, 13). Et les études rapportent de manière cohérente des valeurs assez élevées en composés phénoliques pour le miel de Manuka qui justifient son potentiel antioxydant. Parallèlement à cela, Jervis-Bardy et coll. rapportent que le MGO ne serait que partiellement responsable de l’activité antibactérienne du miel de Manuka (14). Résultats qui semblent corroborer ceux de Brudzynski et coll. qui démontrent que quand un miel est prétraité avec de la catalase (enzyme qui empêche la production du radical peroxyl (.OH) à partir du H2O2), l’activité antibactérienne du miel est perdue même pour le miel de Manuka (15). Davidson et coll. ont démontré que la présence de certains composés phénoliques était capable d’inhiber la croissance d’une large gamme de bactéries gram positives et gram négatives, sachant que certaines bactéries sont plus sensibles à tel ou tel composé phénolique (16).
Au vu de ces différentes études, on peut se demander quel est le véritablement le rôle du MGO et surtout l’intérêt de sa teneur si élevée mise en avant dans le miel de Manuka. Une étude a démontré que plus un miel de Manuka est vieux et plus son taux de MGO sera naturellement élevé, mais sans pour autant être plus actif (17). Il existe également une étude qui a montré que l’activité antimicrobienne de miels de Manuka n’augmente pas proportionnellement avec sa teneur en MGO (18). Ces données semblent bien confirmer que l’activité antibactérienne de ce miel spécial n’est pas entièrement due au MGO. L’action antibactérienne du miel semble probablement plus liée à une synergie d’activité des différents agents contenus dans le miel (le MGO apportant certainement sa contribution à l’ensemble sans pour autant en être le principal acteur). Il faut également prendre en compte les résultats de Majtan et coll. qui ont démontré que plus la teneur en MGO était importante et plus l’activité peroxydique (production d’H2O2) était supprimée(19).
Par ailleurs, le MGO, considéré comme l’élément actif du miel de Manuka est aussi ce que l’on appelle un AGE (advanced glycation end-product, produit de glycation avancé). Présent en quantité importante, ce MGO serait responsable d’effets néfastes sur l’organisme mimant des perturbations se produisant chez les diabétiques. C’est un puissant agent de glycation, capable d’interagir avec les protéines, l’ADN ou l’ARN. Ces produits sont responsables d’un certain nombre de modifications impliquées dans les dysfonctionnements métaboliques et vasculaires. De nombreuses études ont mis en relation l’augmentation sanguine de MGO et la survenue de complications vasculaires chez des patients diabétiques telles que néphropathies, rétinopathies, neuropathies ainsi que des lésions tissulaires (rein, cœur, cristallin) (20).

Conclusion

En conclusion, plus la teneur en MGO est élevée, plus le miel peut être vieux (donc de moins bonne qualité et peut être même hors des limites de la réglementation), plus l’indice UMF est élevé, plus il est cher et le risque métabolique est potentiellement plus grand. Avec tout cela, il semble surprenant d’accepter de devoir payer un miel 2 à 4 fois plus qu’un miel local de qualité (circuit court venant d’un apiculteur qui travaille selon les bonnes pratiques d’apicultures) pour des propriétés antibactériennes et cicatrisantes pas meilleures et qui présente potentiellement un risque de déclencher des perturbations métaboliques dans votre organisme. Maintenant, chacun est libre de faire son choix.

Nicolas Cardinault est Directeur scientifique chez Pollenergie, membre du conseil scientifique de l’Association Francophone d’Apithérapie (AFA) et membre de la commission d’apithérapie d’Apimondia.

Références :
1) Sherlock O, Dolan A, Athman R, et al. Comparison of the antimicrobial activity of Ulmo honey from Chile and Manuka honey against methicillin-resistant Staphylococcus aureus, Escherichia coli and Pseudomonas aeruginosa. BMC Complement Altern Med. 2010, Sep 2;10-47.
2) Décret n 2003-587 du 30 juin 2003 pris pour l'application de l'article L. 214-1 du code de la consommation en ce qui concerne le miel.  www.legifrance.gouv.fr
3) Alzahrani HA, Alsabehi R, Boukraâ L, et al. Antibacterial and antioxidant potency of floral honeys from different botanical and geographical origins. Molecules. 2012, Sep 4;17(9):10540-9. .
4) Talukdar D, Chaudhuri BS, Ray M, et al. Critical evaluation of toxic versus beneficial effects of methylglyoxal. Biochemistry (Mosc). 2009, Oct;74(10):1059-69.
5) Biglari B, Moghaddam A, Santos K, et al. Multicentre prospective observational study on professional wound care using honey (Medihoney™). Int Wound J. 2013, Jun;10(3):252-9.
6) Kamaratos AV, Tzirogiannis KN, Iraklianou SA, et al. Manuka honey-impregnated dressings in the treatment of neuropathic diabetic foot ulcers. Int Wound J. 2014, Jun; 11(3):259-63.
7) Ahmed S, Othman NH. Review of the medicinal effects of tualang honey and a comparison with Manuka honey. Malays J Med Sci. 2013, May;20(3):6-13.
8) Schneider M, Coyle S, Warnock M, et al. Anti-microbial activity and composition of manuka and portobello honey. Phytother Res. 2013, Aug;27(8):1162-8.
9) Bardy J, Molassiotis A, Ryder WD, et al. A double-blind, placebo-controlled, randomised trial of active manuka honey and standard oral care for radiation-induced oral mucositis. Br J Oral Maxillofac Surg. 2012, Apr;50(3):221-6.
10) Majtan J, Majtanova L, Bohova J, et al. Honeydew honey as a potent antibacterial agent in eradication of multi-drug resistant Stenotrophomonas maltophilia isolates from cancer patients. Phytother Res. 2011, Apr;25(4):584-7.
11) Ndip RN, Malange Takang AE, et al. In-vitro antimicrobial activity of selected honeys on clinical isolates of Helicobacter pylori. Afr Health Sci. 2007, Dec;7(4):228-32.
12) Moniruzzaman M, Sulaiman SA, Khalil MI, et al. Evaluation of physicochemical and antioxidant properties of sourwood and other Malaysian honeys: a comparison with manuka honey. Chem Cent J. 2013, Aug 12;7:138.
13) Alzahrani HA, Boukraa L, Bellik Y, et al. Evaluation of the antioxidant activity of three varieties of honey from different botanical and geographical origins. Glob J Health Sci. 2012, Oct 10;4(6):191-6.
14) Jervis-Bardy J, Foreman A, Bray S, et al. Methylglyoxal-infused honey mimics the anti-Staphylococcus aureus biofilm activity of manuka honey: potential implication in chronic rhinosinusitis. Laryngoscope. 2011, May;121(5):1104-7.
15) Brudzynski K, Abubaker K, St-Martin L, Castle A. Re-examining the role of hydrogen peroxide in bacteriostatic and bactericidal activities of honey. Front Microbiol. 2011, Oct 25;2:213.
16) Davidson PM, Sofos JN, Brenem AL. Antimicrobials in foods. 3ed; Marcel Dekker Inc. New York 2005, pp291-306.
17) Adams CJ, Manley-Harris M, Molan PC. The origin of methylglyoxal in New Zealand manuka (Leptospermum scoparium) honey. Carbohydr Res. 2009, May 26;344(8):1050-3.
18) Molan P. An explanation of why the MGO level in manuka honey does not show the antibacterial activity. New Zealand beekeeper. 2008, pp 11-13.
19) Majtan J, Bohova J, Prochazka E, et al. Methylglyoxal may affect hydrogen peroxide accumulation in manuka honey through the inhibition of glucose oxidase. J Med Food. 2014, Feb;17(2):290-3.
20) Majtan J. Methylglyoxal-a potential risk factor of manuka honey in healing of diabetic ulcers. Evid Based Complement Alternat Med. 2011, Article ID 295494, 5 pages

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