Les médecins mentent-ils à leurs patients ?

Par Collectif LaNutrition.fr - Journalistes scientifiques et diététiciennes Publié le 01/03/2012 Mis à jour le 06/02/2017
Une étude américaine montre que certains médecins ne disent pas toute la vérité à leurs patients. D'autres dissimulent leurs liens avec les industriels. D'autres encore violent le secret médical.

Les médecins sont dans leur grande majorité des partenaires de santé compétents, fiables et soucieux du bien-être de leurs patients. Mais respectent-ils toujours la déontologie médicale ? Pour le savoir, Lisa Iezzoni, professeur de médecine à l'université de Harvard et directrice de l'institut Mongan sur la politique de santé à l'hôpital général du Massachusetts a lancé une enquête anonyme auprès de presque 2000 médecins américains.

Un questionnaire a donc été envoyé à quelques milliers de médecins avec la somme de 20 dollars, pour les inciter à participer, de manière complètement anonyme. Une fois les questionnaires récupérés, les résultats sont nets :

  • Au cours de l'année précédente, 55% des médecins ont donné à des patients un pronostic plus favorable que leur état de santé réel le laissait penser.
  • Plus de 10% ont volontairement menti à leur patient sur leur état de santé.
  • 20% des médecins qui avaient commis une erreur de diagnostic n'ont pas corrigé ce diagnostic auprès du patient par crainte de poursuites pour erreur médicale.

    Plus grave encore :

    • Plus de 30% d'entre eux pensent qu'il n'est pas utile de signaler leurs liens financiers avec l'industrie pharmaceutique (ou agro-alimentaire) et qu'ils ne devraient pas le faire.
    • Plus de 25% d'entre eux ont trahi le secret professionnel en divulguant des informations sur la santé de leurs patients

    Même si la majorité des médecins sont d'accord pour reconnaître qu'il est important de ne pas mentir à un patient, d'informer correctement sur les bénéfices et les risques des traitements ou de ne pas trahir le secret médical, force est de constater qu'un grand nombre d'entre eux ne respectent pas ces concepts. Certains médecins enjolivent la réalité (un pronostic grave par exemple) en pensant qu'ils le font dans l'intérêt du patient. Mais Lisa Iezzoni estime qu'au contraire il est souvent utile de dire à un malade la vérité sur son avenir, car cela peut lui permettre de prendre des dispositions pour sa succession, le bien-être de sa famille et mettre ses affaires en ordre.

    Cette enquête a eu lieu aux Etats-Unis, mais il n'existe aucune raison de supposer que certains de ses résultats seraient différents en Europe. La principale différence pourrait porter sur la propension des médecins à reconnaître une erreur auprès d'un patient, dans la mesure où, plus qu'en Europe et en France, le système judiciaire américain incite à porter le moindre contentieux devant les tribunaux.

    Lisa Iezzoni explique que dans l’étude, les médecins les plus honnêtes sont les cardiologues et les chirurgiens. Elle rappelle aussi que son questionnaire ne précise pas les causes des mensonges et selon elle, le mensonge pourrait, dans certains cas, être tout à fait moral, par exemple dans le cas d’une maladie grave avec pour objectif de conserver le moral du malade.

    Nous avons demandé leur analyse au Conseil de l'Ordre des médecins, à Isabelle Robard, avocate spécialisée en droit de la santé et à Julien Venesson, spécialiste de nutrition.

    Le Conseil National de l'Ordre des Médecins encadre la fonction médicale française, sur les plans professionnel, administratif et juridictionnel. Pour le conseil de l'ordre, il n'existe aucune donnée de ce type en France et ces dernières sont difficiles à transposer. Les membres du conseil estiment que les médecins français respectent le secret médical mais rappellent que ce non-respect est un délit. Si vous en étiez victime il faudrait alors saisir le Conseil de l'Ordre qui pourrait punir le médecin fautif d'un simple blâme jusqu'à une radiation avec interdiction d'exercer, selon la gravité de la faute.

    Pour Maître Isabelle Robard, avocate au barreau de Paris et spécialiste de ces questions : "Si le code de déontologie médicale fixe le principe d’une information claire, loyale et transparente, clé de voûte du consentement médical, encore faut-il que le médecin puisse respecter un second principe, celui de l’indépendance dictée par le « le jugement de sa conscience et les références à ses connaissances scientifiques, avec, comme seul objectif, l'intérêt du malade » selon les propos du Pr Klotz en 1955. Cette indépendance idéale sera difficile à mettre en pratique dans l’absolu sachant que la recherche débouchant sur les publications scientifiques est elle-même souvent financée par l’industrie. Comme à chaque crise sanitaire, le scandale du Médiator aboutissant à l’adoption d’une nouvelle loi sur le renforcement  de la sécurité sanitaire du médicament, a fixé de nouvelles règles de transparence qui devraient jouer en faveur du consommateur.
    Ajoutons qu’à cette obligation d’information, parfois, dans l’intérêt du malade, la déontologie prévoit le droit pour un médecin « pour des raisons légitimes que le praticien apprécie en conscience » de tenir « un malade dans l'ignorance d'un diagnostic ou d'un pronostic graves », le but étant, comme le précise le conseil national de l’ordre des médecins de ne « pas semer le désespoir » en cas de pathologie lourde
    ."

    Pour Julien Venesson, consultant en nutrition et santé, la situation est simple : "Les messages de santé publique (Le PNNS recommande 3 produits laitiers par jour sans aucune justification scientifique) ou les laboratoires, par l'intermédiaire des visiteurs médicaux, exercent une forte pression commerciale et intellectuelle sur les médecins qui limitent leur indépendance de facto. Dès le début de leurs études médicales les jeunes carabins sont initiés aux médicaments, on leur explique leur efficacité supérieure au placebo, aucune place n'est laissée aux traitements naturels souvent dénigrés et aux méthodes alternatives qui sont toutes cataloguées de farfelues. Ce conditionnement finit par prendre place dans la tête du médecin qui se considère donc souvent détenteur d'une vérité absolue, à l'épreuve de l'échec et de l'erreur alors qu'il est lui-même manipulé comme l'ont montré les affaires du Vioxx, du Médiator, des médicaments anticholestérol ou encore des prothèses mammaires PIP. Un tournant a eu lieu progressivement dans l'enseignement médical Français alors qu'il y a 30 ans, il n'était pas rare pour les jeunes étudiants de se pencher sur les mécanismes de la réglisse (ses effets sur la tension artérielle) ou de différentes plantes qui ont d'ailleurs souvent servi de base à l'élaboration de médicaments. En définitive, cette problématique est en fait une question d'indépendance du système de santé, un problème général qui finira par éclater."

    En somme, si votre médecin vous a menti, demandez-vous s'il l'a fait en pensant que c'était dans votre intérêt, ou s'il l'a fait pour éviter d'être le porteur de mauvaises nouvelles ou encore par incompétence, auquel cas n'hésitez pas à en changer, la plupart sont honnêtes et compétents. De même, si ses préconisations vous paraissent douteuses, vous pouvez prendre un autre avis et vous informer vous-même via la consultation de sites d'information de référence comme Prescrire, LaNutrition.fr, Passeportsante, etc. Et dans le cas où vous constateriez qu'il a trahi le secret professionnel en divulguant des informations personnelles à un tiers, sachez que vous avez la loi avec vous puisqu'il s'agit d'un délit.

    Référence : Iezzoni LI, Rao SR, Desroches CM, Vogeli C, Campbell EG. Survey shows that at least some physicians are not always open or honest with patients. Health Aff (Millwood). 2012 Feb;31(2):383-91.

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