La diététique du QI

Par Collectif LaNutrition.fr - Journalistes scientifiques et diététiciennes Publié le 31/08/2006 Mis à jour le 21/11/2017
Quel rôle joue l’alimentation sur le QI des enfants ? Comment l’optimiser pour répondre aux besoins du cerveau ? Peut-on réellement améliorer l’intelligence d’un enfant en changeant son alimentation ? Les compléments alimentaires sont-ils utiles ?Le point sur un dossier plein de surprises !

Peut-on rendre un enfant plus intelligent rien qu’en changeant son alimentation ? En répondant par l’affirmative, le docteur Stephen Schoenthaler, professeur de sociologie et criminologie à l’Université de Californie (Turlock) a déclenché il y a 15 ans en Grande-Bretagne un véritable séisme dont les ondes de choc sont loin d’être dissipées.

Prenez deux groupes d’élèves comparables qui viennent de subir un test de QI. Au premier, vous donnez chaque jour un complément de vitamines et minéraux qui apporte 100% des doses recommandées. Au second, vous donnez un placebo. Après 3 mois, vous mesurez le niveau d’intelligence dans chacun des groupes.


Ruée sur les vitamines !

Cette expérience, Stephen Schoenthaler l’a menée en Californie (1), et la BBC l’a invité en ce mois de mars 1991 à en divulguer les résultats. Et commenter ceux d’une expérience similaire, conduite au même moment au Pays de Galles, qui est parvenue aux mêmes résultats (2). Devant des millions de foyers stupéfaits, Stephen Schoenthaler explique posément que les deux études aboutissent à des conclusions identiques : les suppléments de vitamines ont fait grimper de 3,7 points en moyenne le QI non-verbal des enfants traités, par rapport au groupe placebo.« Le résultat sur la population a été incroyable. Les gens se sont littéralement rués sur les suppléments de vitamines », se souvient le docteur Schoenthaler pour LaNutrition.fr. Le QI non verbal est la partie de l’intelligence mesurée qui dépend le plus fortement de l’environnement.

Dans la semaine qui suit l’émission télévisée, les Britanniques vont dépenser plusieurs millions d’euros en achats de vitamines. Cette frénésie est attisée par la campagne de publicité orchestrée par Vitachieve, le complément de vitamines utilisé dans l’étude californienne qui promet « des nouvelles extraordinaires pour les parents. »

L’événement devient affaire d’état. « Ces deux études constituaient un camouflet pour les institutions médicales britanniques qui répétaient jusqu’alors au public que l’alimentation apporte tout ce qui est nécessaire, » juge Stephen Schoenthaler. L’hebdomadaire scientifique Nature est le premier à réagir. Dans une série d’articles, il critique sévèrement les deux expériences, relevant par exemple que l’étude californienne avait aussi testé les effets de suppléments fournissant 200% des apports conseillés. Bizarrement, relève Nature, « un effet n’est constaté que pour le groupe qui recevait 100% des apports (...) et pas pour celui auquel on a donné 200% desdits apports. » Les chiffres sont décortiqués, les protocoles mis à nu, la polémique enfle. On n'en est pas aux règlements de compte, mais on va y venir.

L’occasion est donnée par le procès qu’intente la Couronne britannique au fabricant de Vitachieve, accusé de publicité mensongère. Dans un premier temps, l’acte d’accusation prend pour principe qu’un supplément de vitamines ne peut pas augmenter le QI d’un enfant. Commis par Vitachieve, Stephen Schoenthaler prépare un document de 200 pages qui tend à prouver précisément l’inverse. Mais le jour du procès, c’est la surprise. « En arrivant de Californie, j’ai appris que l’accusation avait modifié les charges. Il n’était plus question du QI d’un enfant, mais de la majorité des enfants. » La défense n’est plus tenable, d’autant que le procureur produit le témoignage d’experts, dont le docteur Michael Nelson, un nutritionniste britannique qui a conduit une étude de supplémentation dont les résultats sont négatifs. Selon lui, « il n’existe pas de résultats consistants pour suggérer que des suppléments de vitamines et de minéraux peuvent améliorer les performances aux tests de QI. » (3) Pour avoir omis de préciser que ses vitamines peuvent augmenter le QI de certains enfants seulement, Vitachieve est condamné à payer la somme de... 1 000 livres.


Vitamines et minéraux : les preuves s’accumulent

Mais aujourd’hui, tout semble conforter Stephen Schoenthaler dans sa démarche première. Lui-même a publié une analyse en cumul de 13 études de supplémentation en double aveugle : elle a conclu que d’une manière générale les enfants qui avaient reçu un supplément faiblement dosé de vitamines et minéraux ont eu de meilleures performances en termes de QI non verbal que ceux qui avaient reçu un placebo, avec une amélioration moyenne de 3,2 points (4). En effet, Schoenthaler n’est pas le seul à avoir donné des vitamines à des enfants. En 1988, par exemple, l’écossais David Benton a amélioré le QI d’enfants âgés de 12 à 13 ans en leur donnant un supplément pendant 8 mois. L’étude a été publiée dans le Lancet (5) Benton a reproduit ces résultats chez des écoliers de 6 ans (6).

Schoenthaler a aussi conduit une nouvelle étude pendant 3 mois auprès de 245 enfants du même âge. Les enfants qui ont reçu le supplément faiblement dosé ont connu en moyenne une augmentation de 2,5 points de leur QI non verbal par rapport au placebo. Ce résultat s’explique presque totalement par la progression très importante du QI non verbal chez 24 des enfants supplémentés, puisqu’ils ont gagné 16 points de plus (7).

Comment ça marche?
  • Les vitamines B3, B6, et C sont impliquées dans la synthèse de la noradrénaline, le neurotransmetteur du cerveau nécessaire à la concentration et l’éveil
  • La vitamine B1 participe à la synthèse d’acétylcholine, le neurotransmetteur de la mémorisation. La vitamine B1 a aussi des propriétés neurotransmettrices propres.
  • Les vitamines B9, B12 et B6 sont nécessaires à la synthèse des 2 neurotransmetteurs ci-dessus et à la qualité des phospholipides membranaires. Elles jouent un rôle dans l’efficacité de la transmission des signaux.
  • Des taux faibles de ces vitamines, sans relever de la carence, se traduisent par une baisse de l’activité globale, de la concentration, de la mémorisation, des comportements sociaux et de la participation et une vulnérabilité accrue au stress. Chez ces personnes, l’administration de suppléments ou une alimentation plus dense en nutriments améliore la plupart de ces paramètres.
  • Les acides gras à longues chaînes oméga-3 et oméga-6 sont indispensables à la maturation des structures du cerveau.

Rien de magique pourtant. Les suppléments de vitamines, minéraux, acides gras viennent simplement compenser les insuffisances de l’alimentation, en rétablissant le niveau de certains nutriments qui sont importants pour la vigilance, la mémoire. D’ailleurs l’élévation du QI épouse assez fidèlement l’augmentation du taux de vitamine C dans le plasma. Et l’effet sur le QI est d’autant plus fort que l’enfant s’alimente mal. Autant dire que les enfants qui s’alimentent bien ne devraient pas voir leur QI progresser lorsqu’on leur donne un peu plus de vitamines et de minéraux.

Les études positives montrent effectivement qu’une minorité des écoliers supplémentés (environ 20%) voit son QI s’élever. Pour Stephen Schoenthaler, c’est la preuve que 20% des enfants ne reçoit pas les quantités de vitamines, de minéraux ou d’acides gras recommandés, qui permettraient à leur cerveau de fonctionner de manière optimale. Est-ce plausible ? En France, l’étude Val-de-Marne montre qu’entre 2 et 10 ans, 10 à 20% des enfants ne se procurent pas les apports conseillés en vitamine B1, 40% en vitamine B6, 30 à 40% en vitamine B9. Il est donc vraisemblable qu’en améliorant l’alimentation des enfants, notamment en milieu scolaire, on puisse espérer des gains chez certains sur le plan du fonctionnement du cerveau. C’est la responsabilité des parents, mais aussi des cantines scolaires.

Les vitamines et les minéraux ne sont pas seuls à jouer un rôle. Les mamans qui pendant leur grossesse prennent des huiles de poisson riches en acides gras oméga-3 à longues chaînes (DHA, EPA) ont des enfants dont le développement mental à l’âge de 4 ans est meilleur (8). On ne sait pas si cet avantage disparaît avec l’âge.

Ceci montre que dès la grossesse le cerveau humain tire parti des ingrédients pour lesquels il est génétiquement conçu. En effet, nos ancêtres recevaient probablement beaucoup de graisses marines et les suppléments ne font que pallier à l’insuffisance des régimes actuels (lire encadré)

Un cerveau oméga-3

Le cerveau dépend pour son développement de graisses à longues chaînes que sont l’acide arachidonique (AA), de la famille oméga-6 et l’acide docosahexaénoïque (DHA) de la famille oméga-3. On les trouve surtout dans les coquillages, les batraciens et les poissons. Michael Crawford, un spécialiste du cerveau et des oméga-3 à l’université de Londres, pense que si l’espèce humaine a hérité d’un gros cerveau si performant, elle le doit aux oméga-3. Nos ancêtres préhistoriques vivaient sur les rivages des lacs de la vallée du Rift en Afrique de l’est, où poissons et coquillage abondaient. « Les femmes de l’âge de pierre, dit-il, auraient très facilement pu manger ces sources de nutriments bons pour le cerveau, y compris pendant la grossesse et la lactation, et nourrir aussi leurs enfants, qui participaient probablement à la collecte de coquillages. »



Comment tout a commencé : la plus importante étude nutritionnelle au monde

Si un médicament avait eu le même effet, il aurait fait la une de tous les journaux de la planète et fait de son fabricant un multimilliardaire. Au lieu de ça, l’expérience colossale menée par Stephen Schoenthaler et Alexander Schauss de 1979 à 1982 a connu un enterrement de première classe. Qui parmi vous en a entendu parler ? Nous raconterons un jour comment Alexander Schauss, un employé du service pénitentiaire américain a été mis sur la piste de l’alimentation et des performances intellectuelles. Toujours est-il qu’avec Schoenthaler il a testé pendant près de 4 ans un régime alimentaire pauvre en sucre, en colorants et conservateurs de toute sorte, donc plus riche nutritionnellement, sur… un million d’enfants ! Vous avez bien lu. L’étude avait été commandée par le New York City Board of Education. En l’espace de quelques années, les notes moyennes ont progressé de près de 16% et le classement moyen des écoles new-yorkaises d’autant (9). Parmi les 124 000 enfants qui ramaient en grammaire et mathématiques, 75 000 ont progressé spectaculairement à la suite de ce simple changement alimentaire. Les résultats de cette étude ont tellement frappé les esprits que le programme n’a pas été reconduit à New York, sous la pression de l’industrie agro-alimentaire, disent certains. Il sera appliqué brièvement en Californie, avant qu’un organisme officiel, The California Council against Health Fraud l’enterre définitivement à la fin des années 1980. Selon cet organisme, un régime pauvre en sucre et en additifs, riche en vitamines et minéraux est « inefficace, dangereux et coûteux. »

Les études de Schoenthaler et des autres ont à tort été interprétées comme une incitation à bourrer les enfants de comprimés de vitamines. Schoenthaler assure que chez les enfants les moins bien lotis sur le plan nutritionnel, des améliorations du QI non verbal seront tout aussi sûrement obtenues par une alimentation moins sucrée, plus riche en fruits et légumes. Malgré tout, ces études continuent de déranger car elles bousculent cette vieille idée selon laquelle « l’alimentation couvre tous nos besoins. » Schoenthaler est régulièrement pris à partie par certains nutritionnistes et groupes consuméristes. Ces attaques laissent Stephen Schoenthaler de marbre : «Ils me critiqueront jusqu’à leur dernier souffle. ».

 

Bibliographie

(1) Schoenthaler, S.J. (1991). Controlled trial of vitamin-mineral supplementation on intelligence and brain function. Personality and Individual Differences, 12(4), 343-350

(2) Benton, D. (1991). Vitamin and mineral supplements improve intelligence scores and concentration of six-year old children. Personality and Individual Differences, 12 (11), 1151-1158.

(3) Nelson M. Vitamin and mineral supplementation and academic performance in schoolchildren. Proc Nutr Soc. 1992 Dec;51(3):303-13.

(4) Schoenthaler SJ, Bier ID. Vitamin-mineral intake and intelligence: a macrolevel analysis of randomized controlled trials. J Altern Complement Med. 1999 Apr;5(2):125-34.

(5) Benton D : Effect of vitamin and mineral supplementation on intelligence of a sample of schoolchildren. Lancet 1988, i : 140-143.

(6) Benton, D. (1991). Vitamin and mineral supplements improve intelligence scores and concentration of six-year old children. Personality and Individual Differences, 12 (11), 1151-1158.

(7) Schoenthaler SJ, Bier ID, Young K, Nichols D, Jansenns S. The effect of vitamin-mineral supplementation on the intelligence of American schoolchildren: a randomized, double-blind placebo-controlled trial. J Altern Complement Med. 2000 Feb;6(1):19-29.

(8) Helland IB : Maternal supplementation with very-long-chain n-3 fatty acids during pregnancy and lactation augments children's IQ at 4 years of age. Pediatrics. 2003 2003 Jan;111(1):e39-44

(9) Schoenthaler, S.J., et al. The Impact of a Low Food Additive and Sucrose Diet on Academic Performance in 803 New York City Public Schools. Int J Bios Res., 1986: 8; 185-195.

Ce sujet vous intéresse ? Venez en parler sur notre forum.

A découvrir également

Back to top