Manger Paléo a-t-il un sens ?

Par Collectif LaNutrition.fr - Journalistes scientifiques et diététiciennes Publié le 28/08/2014 Mis à jour le 10/03/2017
Le régime paléolithique prône un retour à l'alimentation de nos ancêtres chasseurs-cueilleurs. Faut-il s’emballer pour un mode de vie issu d’une époque où l’espérance de vie ne dépassait pas 25 ans à la naissance ? Le point de vue de Julien Venesson, auteur du livre Paléo Nutrition.

25 ans d’espérance de vie seulement ?

Les premiers hominidés sont apparus il y a environ 9 millions d’années. Jusqu'à il y a 10 000 ans environ, date du début de l'agriculture, ils vécurent de chasse et de cueillette. Ils ne se nourrissaient que de fruits sucrés et baies, pousses, bourgeons, fleurs et jeunes feuilles, viandes, moelle osseuse, organes animaux, poissons et crustacés, insectes, larves, œufs, racines, bulbes, oléagineux et graines. Ils ne consommaient aucune céréale, pas de produits laitiers, pas de sucre et aucune huile végétale. C'est ce qu'on appelle l'alimentation « paléolithique », en référence au nom de cette époque qui précède l'invention de l'agriculture, nommée elle « néolithique ».

Lire : Ce que mangeaient nos ancêtres

De nombreuses recherches récentes sur les squelettes et restes humains datant de cette époque indiquent que l'homme pratiquant l'alimentation et le mode de vie paléolithiques ne connaissait pratiquement pas les cancers, les maladies cardiovasculaires et l’ostéoporose. Cependant, avec une espérance de vie estimée à 20 ou 25 ans (contre 82 ans en France en 2012), l'explication couramment admise jusqu'à présent était que l’Homme paléo n’avait simplement pas le temps de développer de telles maladies.

l Frise Chronologique

Quand on parle d’espérance de vie, on parle d’espérance de vie à la naissance, qui est une mesure moyenne de l’âge du décès dans une population donnée. Si l’on vous dit qu’un groupe de population a une espérance de vie de 35,5 ans, vous vous dites sans doute que ce groupe doit être en bien mauvaise santé pour avoir une espérance de vie aussi basse. Or si l’on considère une femme de 70 ans et un homme de 72 ans en bonne santé et qui ont eu deux enfants morts à la naissance par suite de complications lors de l’accouchement, l’espérance de vie de ce petit groupe est de 35,5 ans (70 + 72 + 0 + 0 = 142/4 = 35,5). Pourtant ces 4 individus n’étaient pas en mauvaise santé. C’est à peu près ce qui s’est produit au cours du Paléolithique : les cliniques pour accoucher n’existaient pas, les antibiotiques non plus : la moindre petite blessure pouvait s’infecter, entraîner une septicémie et la mort ; la mortalité infantile était donc très élevée. Aujourd’hui encore, la première cause de mortalité dans le monde chez les enfants de moins de 5 ans est le décès à la naissance, imputable majoritairement à des défauts d’hygiène.

Des travaux de chercheurs en anthropologie de l’université du Nouveau-Mexique aux États-Unis ont montré qu’au Paléolithique, environ 50 % seulement des enfants parvenaient à l’âge de 15 ans. Une fois ce seuil franchi, les individus parvenaient à atteindre en moyenne l’âge de 54 ans1 ! Dix pour cent des adultes environ dépassaient la soixantaine.

La vie au Paléolithique était sans aucun doute très rude : une sorte de camping en milieu hostile, tout au long de l’année. Imaginez un peu résister aux températures hivernales sans chauffage, aux maladies sans antibiotiques, à la fièvre sans aspirine, à une fracture consécutive à une mauvaise chute sans chirurgie ni antidouleurs et aux guerres de clans. Dans de telles conditions, ces chiffres de longévité sont tout simplement incroyables.

Les causes de décès de l’Homme Paléo

Récemment des chercheurs paléoanthropologues américains ont réexaminé la question de la longévité de l’Homme paléo. Leur travail explique qu’une longévité significative est une caractéristique intrinsèque au genre Homo Sapiens, ce qui nous différencie du singe. Leurs calculs font apparaître que la mortalité infantile était si élevée que chaque femme devait avoir au moins 4 enfants pour que le nombre d’êtres humains reste stable. Mais passé l’âge de la maturité, le taux de mortalité de l’Homme paléo était faible jusqu’à 40 ans pour augmenter ensuite de manière exponentielle, en doublant tous les 7 ans. L’âge moyen du décès aurait été de 72 ans et les causes se répartissaient ainsi : dans 70% des cas, décès des suites d’une infection ou d’une maladie (en grande majorité des infections ou des maladies intestinales), dans 20% des cas, décès des suites de violences ou d’accident et dans 9% des cas seulement, décès à la suite d’une maladie dégénérative2.

Cette problématique est illustrée par le graphique suivant :

l Courbes deces

 

Toutefois il est important de signaler que les chiffres exacts de l’espérance de vie au Paléolithique ne sont pas connus et que les valeurs avancées ne font pas l’objet d’un consensus. La raison principale est que les ostéologistes (spécialistes de l’étude des os) ont de grandes difficultés à estimer l’âge d’un individu à partir de ses ossements lorsque celui-ci a dépassé 40 ans. Autrement dit, dans la majorité des cas, l’âge du décès ne peut pas être déterminé avec certitude. Pour affiner ces données, la seule solution consiste à  s’intéresser à l’espérance de vie des dernières tribus de chasseurs-cueilleurs modernes.

Les chasseurs-cueilleurs modernes

On pourrait penser que tous les chasseurs-cueilleurs ont disparu, mais il existe encore quelques peuplades dans des contrées reculées qui ont conservé un mode de vie, et donc une alimentation, quasi identique à celle des hommes au Paléolithique. Ces tribus ont donc été un terrain d’investigation privilégié pour de nombreux chercheurs et la littérature médicale est riche d’informations relatives à l’alimentation paléo ou à l’Homme paléo dans sa globalité. Parmi ces tribus, on compte les Indiens Aché du Paraguay, les indigènes de Kitava en Papouasie Nouvelle-Guinée, les Bushmens d’Afrique du Sud, les Yamomami en Amazonie, les Inuits traditionnels de l’Arctique et d’autres moins connus.

Tout comme l’homme au Paléolithique, ces chasseurs-cueilleurs vivaient (et pour certains, vivent encore) sans électricité, sans médicaments, sans véhicule motorisé et sans téléphone. Sur l'île de Kitava, en Papouasie Nouvelle-Guinée, les 2 300 indigènes vivent de la pêche et de l'horticulture. Malgré un nombre très important de décès à la naissance et pendant la petite enfance à la suite d’infections bactériennes (principalement le paludisme), l’espérance de vie à la naissance est de 45 ans, mais l’espérance de vie à 45 ans est de plus de 80 ans. Environ 6 % des habitants ont entre 60 et 95 ans. Les habitants ne consomment aucune céréale, pas de produits laitiers, pas de sucre et aucune huile végétale. Ils ne connaissent pas le surpoids, ne souffrent pas d’hypertension artérielle, de diabète, de maladie d’Alzheimer, de maladie de Parkinson, d’accident vasculaire cérébral, d’ostéoporose, de cancers, de maladies auto-immunes ou d’acné3,4. La plupart des décès à l’âge adulte sont consécutifs à des accidents ou des blessures, plus fréquents dans un environnement sauvage. Les autres individus meurent de vieillesse, sans arthrose, sans cancers, sans infarctus.

Lire : Le régime paléo à l’assaut des maladies de civilisation

Pour d’autres tribus de chasseurs-cueilleurs modernes ce sont la guerre et les combats qui tuent. Chez les Aché du Paraguay, près de 60 % des enfants décédés avant l’âge de 3 ans sont victimes d’homicides et 70 % des adultes meurent de mort violente. Au plan sanitaire, les chercheurs décrivent l’absence de maladies graves comme le cancer et signalent que 30 % des adultes atteignent l’âge de 60 ans et 20 %, 70 ans5. Un constat similaire est fait chez les Indiens Yanomami des forêts Amazoniennes. Expliquer cette absence de maladies chroniques représente un véritable challenge pour la science. En effet, on a par exemple pu constater dans toutes les tribus modernes de chasseurs-cueilleurs que la pression artérielle moyenne est extraordinairement basse. Si basse qu’elle serait considérée comme pathologique dans nos pays : en moyenne une pression artérielle systolique de 10 et une pression artérielle diastolique de 67,8 , contre 12/8 chez les personnes en bonne santé dans les pays riches. Cette pression artérielle incroyablement basse, témoignant d’artères en pleine santé, s’explique entre autres par l’absence de consommation de sel9.

Au début du XXe siècle, chez les Eskimos du Groenland, l’alimentation traditionnelle était composée à plus de 90 % de produits animaux et très riche en acides gras oméga-3. Les Eskimos étaient connus pour avoir un taux de maladies cardio-vasculaires extrêmement bas et n’avaient pas de diabète10, en dépit d’un apport alimentaire en graisses très important et des taux de cholestérol tout à fait comparables à ceux observés aujourd’hui chez des Européens en bonne santé11. Pourtant, dès que les Eskimos ont commencé à adopter l’alimentation occidentale, le diabète de type 2 est apparu, les maladies cardiovasculaires sont devenues beaucoup plus fréquentes, leurs artères se sont calcifiées, les caries sont devenues monnaie courante, leur taux de cholestérol a explosé ainsi que le nombre de calculs biliaires et la fréquence de l’acné12. Toutefois la santé des Eskimos traditionnels n’était pas exceptionnelle à tous les niveaux : ils souffraient d’ostéoporose, avec une prévalence comparable à celle des habitants des pays modernes13,14.

Lire : Pr Loren Cordain : "La vérité sur le régime Paléo"

On voit donc que contrairement aux idées reçues, si l’on exclut les décès liés aux guerres, aux homicides ou aux infections, l’espérance de vie des chasseurs-cueilleurs est tout à fait comparable à celle des pays industrialisés. Et fait remarquable : les populations de chasseurs-cueilleurs ne connaissaient que peu (voire pas du tout) la plupart des maladies de civilisation qui nous frappent nous, Occidentaux telles que les maladies cardiovasculaires, l’hypertension artérielle, le diabète, le cancer, les maladies auto-immunes, les maladies neurodégénératives ou l’acné.

Julien Venesson

Pour aller plus loin :
Pal  o nutrition

 

Références

1Kaplan, H., Hill, K., Lancaster, J. and Hurtado, A. M. A theory of human life history evolution: Diet, intelligence, and longevity. Evol. Anthropol., 2009. 9: 156–185.
2Gurven, M. and Kaplan, H. (2007), Longevity Among Hunter- Gatherers: A Cross-Cultural Examination. Population and Development Review, 33: 321–365.
3Lindeberg S. Paleolithic diets as a model for prevention and treatment of Western disease. Am J Hum Biol. 2012 Mar-Apr;24(2):110-5.
4Lindeberg S, Berntorp E, Nilsson-Ehle P, Terént A, Vessby B. Age relations of cardiovascular risk factors in a traditional Melanesian society: the Kitava Study. Am J Clin Nutr. 1997 Oct;66(4):845-52.
5Libertini G. Evidence for aging theories from the study of a hunter-gatherer people (ache of paraguay). Biochemistry (Mosc). 2013 Sep;78(9):1023-32.
6Chagnon NA. Life histories, blood revenge, and warfare in a tribal population. Science. 1988 Feb 26;239(4843):985-92.
7Kaminer, B. & Lutz, W.P.W. Blood pressure in Bushmen of the Kalahari desert. Circulation 1960 22, 289–95.
8Oliver, W.J., Cohen, E.L. & Neel, J.V. Blood pressure, sodium intake, and sodium related hormones in the Yanomamo Indians, a ‘no-salt’ culture. Circulation 1975 52, 146–51.
9Mancilha-Carvalho Jde J, Souza e Silva NA. The Yanomami Indians in the INTERSALT Study. Arq Bras Cardiol. 2003 Mar;80(3):289-300.
10Bang HO, Dyerberg J. Plasma lipids and lipoproteins in Greenlandic west coast Eskimos. Acta Med Scand. 1972 Jul-Aug;192(1-2):85-94.
11Dyerberg, J. Coronary heart disease in Greenland Inuit: a paradox. Implications for western diet patterns. Arctic Med Res 1989 48, 47–54.
12Schaefer O. When the Eskimo comes to town. Nutrition Today. 1971 Nov-Dec; 6:8-16.
13Yesner, D.R. Degenerative and traumatic pathologies of the Aleut vertebral column. Arch Calif Chirop Assoc 1981 5, 45–57.
14 Merbs, C. Trauma. In: Reconstruction of life from the skeleton ( M.H. Isc¸an & K.A.R. Kennedy eds). Wiley-Liss, New York, 1989 pp. 161–89.

 

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