Pourquoi on grossit : l'exemple des Indiens Pimas

Par Collectif LaNutrition.fr - Journalistes scientifiques et diététiciennes Publié le 28/04/2015 Mis à jour le 22/02/2017
Article

Dans son livre Pourquoi on grossit, l'Américain Gary Taubes démontre qu'on prend du poids non pas parce qu'on mange trop, ni parce qu'on ne se dépense pas assez, mais parce qu'on se nourrit mal. Extrait de ce best-seller.

Lorsque l’on examine la littérature scientifique […], on constate qu’elle mentionne de nombreuses populations ayant connu des taux d’obésité comparables à ceux que connaissent aujourd’hui les États-Unis, l’Europe et d’autres régions du globe, sans avoir joui pour autant d’une quelconque prospérité et en n’ayant disposé d’aucun ou de peu des ingrédients caractérisant l’« environnement toxique » de Brownell : ni cheeseburgers, ni sodas, ni chips, pas de drive-in, pas d’ordinateurs ni de télévision (pas même un livre parfois en dehors, éventuellement, de la Bible) et pas non plus de mères surprotectrices empêchant leurs enfants de sortir jouer à l’air libre.

Parmi ces populations, les revenus n’augmentaient pas, on ne disposait pas de machines pour faciliter les tâches pénibles et on n’évoluait pas non plus vers un travail moins physique ni vers des passe-temps plus passifs. Au contraire, certaines d’entre elles étaient dans une misère noire, dans une pauvreté que nous avons du mal à imaginer aujourd’hui. Selon les thèses accusant la suralimentation, ces populations auraient donc dû être particulièrement minces, voire maigres – et pourtant, elles ne l’étaient pas.

[…] Prenons pour exemple une tribu d’Amérindiens vivant en Arizona, les Pimas. À ce jour, c’est vraisemblablement cette tribu qui présente les plus forts taux d’obésité et de diabète de tous les États-Unis. Sa situation pitoyable est souvent évoquée comme exemple de ce qui se produit lorsqu’une culture traditionnelle se heurte à l’« environnement toxique » de l’Amérique moderne. On dit qu’autrefois, les Pimas étaient une société d’agriculteurs et de chasseurs où il fallait travailler dur tandis qu’aujourd’hui, comme beaucoup de Nord-Américains, ils sont salariés dans des métiers sédentaires, prennent leur voiture pour aller au fast-food, mangent mal, regardent des shows télévisés et, comme beaucoup d’autres, grossissent et deviennent diabétiques. Sauf que chez les Pimas, la situation est particulièrement grave. Citons les National Institutes of Health (instituts sanitaires dépendant du Département de la Santé et des Services sociaux des États-Unis) : « lorsqu’après la [Seconde] Guerre [mondiale], les aliments typiquement nord-américains devinrent plus accessibles au sein de la réserve [pima de Gila River], le surpoids a augmenté. »

Dans cette citation, j’ai écrit « augmenté » en italique pour souligner que les Pimas avaient un problème de poids bien avant la Seconde Guerre mondiale, et même avant la Première – une époque où leur environnement n’était pas particulièrement « toxique » ou, en tout cas, pas comme nous l’entendons aujourd’hui. Entre 1901 et 1905, deux anthropologues étudièrent les Pimas indépendamment l’un de l’autre et tous deux firent le constat d’un fort surpoids, particulièrement chez les femmes.

L’un d’eux était Frank Russell, jeune anthropologue de Harvard dont le rapport, publié en 1908, allait faire école. Russell nota qu’un grand nombre de Pimas âgés « présentaient un degré d’obésité contrastant vivement avec le cliché répandu de l’Indien " grand, mince et musclé ". » Le second, Aleš Hrdlička, avait suivi des études de médecine et allait par la suite devenir conservateur d’anthropologie physique à la Smithsonian Institution, une institution de recherche scientifique créée aux États-Unis. Dans le cadre d’une série d’expéditions qu’il entreprit pour étudier la santé et le bien-être des tribus autochtones de la région, Hrdlička se rendit chez les Pimas en 1902 puis en 1905. « Dans toutes les tribus, on trouve des individus particulièrement bien nourris, des deux sexes et de tous les âges », écrivit-il au sujet des Pimas et des Utes du Sud, tribu peu éloignée géographiquement, « mais ce n’est pratiquement que chez les Indiens vivant dans des réserves que l’on constate des cas de réelle obésité. »

Ce qui fait l’intérêt de cette observation, c’est qu’à cette époque précise les Pimas, qui comptaient jusque-là parmi les tribus amérindiennes les plus fortunées, en devinrent l’une des plus pauvres. Quelle qu’ait été la cause de leur prise de poids, il ne pouvait donc s’agir de leur richesse ni de l’accroissement de leurs revenus, et c’est même l’opposé qui semblait être le cas.

Durant les années 1850, les Pimas avaient connu un énorme succès en leurs qualités de fermiers et de chasseurs. Le gibier abondait dans la région et la tribu était particulièrement habile à manier le piège et l’arc. Les Pimas se nourrissaient également de poissons et de palourdes qu’ils pêchaient dans la Gila River, une rivière traversant leur territoire. Par ailleurs, ils cultivaient du maïs, des haricots, du blé, des melons et des figues dans des champs irrigués avec l’eau de cette même rivière et élevaient des bovins et des poules.

En 1846, lorsqu’un bataillon de l’armée américaine traversa le territoire pima, le chirurgien du bataillon, un certain John Griffin, décrivit les Pimas comme une population « alerte » et en « bonne santé » et nota qu’ils disposaient également d’entrepôts pleins d’« une très grande abondance de nourriture ». À tel point qu’au commencement de la ruée vers l’or, trois ans plus tard, le gouvernement des États-Unis demanda aux Pimas, qui acceptèrent, de fournir des vivres aux dizaines de milliers de personnes qui allaient traverser leurs terres en se rendant en Californie au cours de la décennie suivante.

La ruée vers l’or en Californie mit fin à l’existence relativement paradisiaque des Pimas ainsi qu’à leur opulence. Un grand nombre d’Anglo-Américains et de Mexicains commencèrent à s’installer dans la région. Les nouveaux venus – « qui comptent parmi les spécimens de l’humanité les plus vils que la race blanche ait jamais produits », écrivit Russell – chassèrent tant et si bien que le gibier local fut près de disparaître et détournèrent la Gila River pour irriguer leurs propres champs – aux dépens des Pimas.

Dans les années 1870, les Pimas traversèrent alors ce qu’ils appelèrent les « années de famine ». Russell écrivit alors : « Ce qui étonne, c’est que la famine, la détresse, et l’éparpillement qui en résulta n’eurent pas raison de la tribu ». Lors de la venue de Russell et de Hrdlička dans les premières années du xxe siècle, les Pimas continuaient à cultiver ce qu’ils pouvaient mais dépendaient désormais des rations gouvernementales pour assurer leur subsistance au quotidien.

Mais alors, comment expliquer leur surpoids ? Après une longue période de famine, on est censé perdre du poids, non s’y maintenir – et en aucun cas en prendre davantage. Et même si l’on suppose que les rations gouvernementales étaient tout simplement trop copieuses et avaient réussi à mettre fin à la famine, cela n’explique pas encore pourquoi elles auraient fait grossir les Pimas, mais pas la nourriture abondante dont ils disposaient avant la pénurie. Alors, peut-être la réponse se trouve-t-elle dans le type d’aliments consommés et s’agit-il d’une question de qualité plutôt que de quantité ? C’est ce que Russell suggérait lorsqu’il écrivit que « certaines des denrées dont ils se nourrissent semblent être nettement productrices d’embonpoint. »

Hrdlička, qui pensait également qu’au vu de la précarité de leurs conditions de vie, les Pimas auraient dû être maigres, déclara : « Il semble que l’alimentation ne joue qu’un rôle indirect dans la survenue de l’obésité chez les Indiens. » C’est pourquoi c’est à l’inactivité physique – ou tout du moins à une inactivité physique relative – qu’il attribua la cause de cette obésité. Les Pimas étaient sans doute plus actifs que nous ne le sommes de nos jours, en raison de la charge de travail qu’impliquait l’agriculture préindustrielle mais, en comparaison à leur mode de vie passé, ils étaient devenus sédentaires. Ce que Hrdlička qualifia de « passage d’une vie active révolue à un mode de vie présent d’une grande indolence. » Mais il ne sut expliquer pourquoi c’étaient généralement les femmes qui souffraient de surpoids alors que dans les villages, c’était également à elles que revenaient pratiquement toutes les tâches exténuantes : récolter les cultures, moudre les céréales et même porter de lourds fardeaux lorsque les bêtes de somme manquaient. Hrdlička fut par ailleurs troublé par le fait qu’une autre tribu locale, les Pueblos, qui « avaient un mode de vie sédentaire depuis la nuit des temps » ne présentaient, eux, aucune surcharge pondérale.

Le coupable était donc peut-être vraiment la nature des aliments absorbés ? En effet, les Pimas consommaient déjà tout « ce qui entre dans l’alimentation de l’homme blanc », pour reprendre la formule de Hrdlička. En 1900, l’alimentation des Pimas présentait des caractéristiques très similaires à la nourriture que beaucoup d’entre nous consomment un siècle plus tard – mais en qualité, pas en quantité.

En effet, après 1850, une demi-douzaine de comptoirs avait ouvert dans la réserve pima et l’anthropologue Henry Dobyns nota que les Pimas s’y ravitaillaient en « sucre, café et boîtes de conserve pour remplacer les denrées traditionnelles auxquelles ils n’avaient plus accès depuis que les Blancs s’étaient installés sur leur territoire. » De plus, une grande partie des rations que le gouvernement distribuait dans les réserves consistait en farine blanche ainsi qu’en des importantes quantités de sucre – en tout cas pour les Pimas d’il y a un siècle. Comme je le montrerai tout au long de cet ouvrage, nous tenons là très vraisemblablement les éléments clés.

Si les Pimas étaient le seul exemple d’une population à la fois très pauvre et frappée d’obésité, nous pourrions les considérer comme une exception à la règle, comme un témoin isolé dont l’attestation en contredit de nombreuses autres. Mais comme je l’ai indiqué plus haut, il existe un grand nombre de ces populations témoignant de la présence de taux d’obésité élevés associés à une extrême pauvreté. Les Pimas ne sont que les porte-drapeaux d’un long défilé de témoins que personne ne veut entendre et qui démontrent pourtant qu’il est possible de prendre du poids tout en travaillant dur et en étant pauvre, voire même sous-alimenté.

Lire la suite dans Pourquoi on grossit, de Gary Taubes

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