Comment perdre la guerre aux kilos

Par Collectif LaNutrition.fr - Journalistes scientifiques et diététiciennes Publié le 02/10/2006 Mis à jour le 17/02/2017
Tant que l’opinion restera persuadée que pour maigrir il suffit de déclarer la guerre aux aliments gras et sucrés, l’obésité et le surpoids continueront de progresser. Et avec eux les profits de l’agro-business.

Voici la recette de la machine à perdre la guerre aux kilos. Réunissez en 2000 un petit groupe de médecins proches de l’industrie agro-alimentaire. Confiez-leur la responsabilité, dans un quasi huis clos, de concocter des recommandations nutritionnelles pour la population française. Baptisez-les Programme National Nutrition Santé (PNNS). Annoncez partout que ledit PNNS va faire reculer l’obésité de 20% en cinq ans. Diffusez-le à grands frais (du contribuable) auprès de tout ce que le pays compte de médecins, diététiciens, chefs d’établissements scolaires. Imprimez à plusieurs centaines de milliers d’exemplaires La santé vient en mangeant, un fascicule à peine moins hermétique que les inscriptions protocananéennes de Byblos. Inondez la presse de pages de publicité vantant, hormis les fruits et légumes, les deux principales armes anti-obésité imaginées par le PNNS : moins de graisses, plus d’amidon de céréales et de pommes de terre.  

Et voici le résultat. En 2000, selon l’enquête ObEpi, l’obésité touchait 10,1% de la population adulte française. Selon les propres objectifs du PNNS, elle aurait dû diminuer de 20%, c’est-à-dire ne concerner aujourd’hui que 8% des Français. Nous en sommes en réalité, rendus à 12,4%. Une sacrée performance : + 49% par rapport à l’objectif.

Soyons honnête : le PNNS n’est pas seul responsable de la progression du surpoids, et il y a dans ce programme de très bonnes choses, mais tout de même quelle claque ! Quel échec ! Au minimum, il devrait conduire à s'interroger sur le bien-fondé de ces recommandations.

Un échec prévisible et prévu

 

Le PNNS a fondé sa stratégie anti-kilos sur une martingale simpliste et usée, qui avait déjà en 2000 échoué lamentablement partout ailleurs : moins de graisses et de sucres, plus de céréales et de féculents. Ce qui ne veut pas dire qu’il faut encourager les Français à manger plus gras et plus sucré. J’ai été en 1999 l’un des premiers à exposer (à l’époque sous les quolibets) la responsabilité des sucres ajoutés dans le risque de surpoids.

Mais en 2000, au moment où la recette du PNNS mijotait dans les cerveaux des nutritionnistes du ministère de la santé et de l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (l’Afssa, qui, entre parenthèse, ne devrait logiquement s’occuper que de la « sécurité » des aliments !) l’exemple américain était déjà là pour prouver qu’en remplaçant les graisses par des amidons, non seulement on ne fait pas reculer l’obésité, mais on la propulse au contraire vers des sommets. Donc, à l’époque, fort de cet exemple grandeur nature qui était là sous nos yeux, j’ai écrit dans Sciences et Avenir que l’objectif du PNNS ne serait jamais tenu.

Les pommes de terre et la plupart des céréales font grossir

 

Pour comprendre pourquoi en favorisant les aliments céréaliers courants et les pommes de terre on rend les gens plus gros, je vous renvoie aux discussions sur l’index glycémique (IG) des aliments, c’est-à-dire leur capacité à faire grimper le sucre sanguin et aux multiples études montrant que ces aliments - tous à IG élevé - sont associés à un risque accru d’obésité. La dernière de ces études accablantes date de septembre 2006 (1).

Les recommandations nutritionnelles actuelles ont fait le bonheur des industriels, il suffit de recenser le nombre de fabricants d’aliments transformés qui se réclament du PNNS. Ces recommandations ont précipité sur nos écrans publicitaires et dans les rayons des supermarchés une armada de produits labellisés santé parce que débarrassés de leurs sucres et de leurs graisses. Donc souvent vendus plus cher. Ce sont d’ailleurs sur ces gammes de produits que se font les plus fortes progressions de chiffre d’affaires et de marge depuis 2000 dans l’agro-business, comme en témoigne la rentabilité de Taillefine de Danone.

Mais quand vous débarrassez un aliment de ses graisses, vous ne les remplacez ni par de l’eau, ni par des protéines. Vous les remplacez par des céréales, le plus souvent raffinés, ou par des féculents, ou par des amidons modifiés, donc la plupart du temps des glucides de mauvaise qualité, qui font grimper le sucre sanguin et favorisent la résistance à l’insuline. Bref vous créez mille occasions d’élever l’IG et de faire le lit de l’obésité et du diabète, comme le montre l’enquête que nous avons conduite dans ConsoSanté sur les céréales pour enfants.

Le pire est que même les associations de consommateurs sont tombées dans le panneau. Ainsi, dans son numéro d’octobre, le mensuel Que Choisir, au terme d’une enquête pourtant intéressante sur la pub alimentaire pour enfants à la télé, se prend à dresser deux catégories d’aliments. D’un côté, les aliments « gras et sucrés » - donc les mauvais (ce qui est probablement vrai de la majorité). De l’autre, les aliments pauvres en graisses et en sucres – les bons. Sont ainsi adoubés des aliments purement céréaliers, pour la plupart au moins aussi néfastes que leurs équivalents sucrés et gras !

Le PNNS 1 a échoué, vive le PNNS 2 !

 

Dans toute autre démocratie que la nôtre, un audit aurait été conduit à l’issue du PNNS (PNNS 1) qui courait jusqu’en 2005. Les objectifs ont-ils été atteints ? Pourquoi ne l’ont-ils pas été ? Les recommandations doivent-elles être reconduites en l’état ? C’est ce qu’avec Isabelle Robard nous avons demandé en mars 2005 à Martin Hirsch, alors directeur de l’Afssa, dans son bureau de Maisons-Alfort. L’Afssa n’a pas voulu d’un audit, de la même manière qu’elle refuse d’entériner la notion d’index glycémique (le 7 octobre 2004, nous avons demandé, lors d’un colloque à l’Assemblée nationale, que l’index glycémique et la densité calorique d’un aliment soient mentionnés sur son emballage).

Seule la Cour des comptes, dans son rapport sur la sécurité sociale, a commenté ainsi la « rentabilité » des moyens mis à disposition du PNNS (2) à défaut de pouvoir auditer son contenu :

 

L’échec de la campagne sur l’alimentation saine

Malgré le lancement en 2000 du plan national nutrition santé (PNNS), qui constitue le plan de prévention le plus structuré de tous ceux lancés par le ministère de la santé, force est de constater que les comportements alimentaires des Français ne s’améliorent pas. La campagne grand public « manger cinq fruits et légumes par jour » et les nombreux articles auxquels a donné lieu le PNNS n’ont pas enrayé la progression des mauvaises habitudes alimentaires. Selon une étude du centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (CREDOC) de 2004, chaque Français consomme 16 % de fruits et légumes en moins qu’en 1999. Dans la même période, l’industrie agroalimentaire a multiplié ses dépenses publicitaires par trois. Les actions menées n’ont pratiquement joué que sur un registre, celui de l’information, et ont été essentiellement menées par le seul ministère de la santé et par l’AFSSA alors que l’alimentation concerne un très grand nombre d’acteurs. L’effet de masse n’a sans doute pas suffisamment joué et la réflexion préalable paraît avoir été insuffisante.

Moyennant quoi, le 6 septembre dernier, le ministre de la santé a officiellement lancé le PNNS 2, qui est le clone du premier et avalera au bas mot 250 millions d’euros jusqu’en 2010. De l’argent assurément bien placé puisqu’il est là pour soutenir les mantras habituels dont, comme on l'a vu, le très efficace « mangez moins gras et moins sucré. »   

Rendez-vous en 2010 pour un nouveau record d’obésité et de diabète.

(1)   Lau C : Association between dietary glycemic index, glycemic load and body mass index in the Inter99 study : is underreporting a problem ? Am J Clin Nutr 2006 ;6 :641-645.

(2)   Rapport annuel de la cour des comptes au parlement sur la sécurité sociale. Septembre 2005, pp : 185-186.

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