Prenez vos statines !

Par Thierry Souccar - Journaliste et auteur scientifique, directeur de laNutrition.fr Publié le 06/10/2013 Mis à jour le 10/03/2017
Thierry Souccar explique comment une grande étude française l’a convaincu que les infarctus sont dus à une carence en statines, comme le scorbut est dû à une carence en vitamine C. La lumière étant descendu sur lui, il dit désormais : « Prenez vos statines ! »

Je dois l’avouer : j’ai eu eu tort. Tort de dire à celles et ceux qui prennent une statine pour leur cholestérol (ou leur diabète …) de ramener la boîte entamée chez le pharmacien, de prendre rendez-vous chez le médecin et lui tenir ce discours : « Docteur, merci pour la prescription de statines, mais non merci. Pour mon cœur (mon diabète…), j’ai décidé de marcher, courir, nager, faire du vélo, de la danse de salon, des claquettes, de la cohérence cardiaque, du yoga, de la méditation, du Tai Chi, du kung fu, du macramé, et bien sûr vider les placards de la cuisine et jeter l’huile de tournesol, la margarine anticholestérol, les pétales de maïs, les biscottes sans sel, les jus de fruits, les trucs sans graisses, les machins à réchauffer au micro-ondes et toutes les cochonneries que j’achète depuis des années au supermarché. Je les remplacerai par de bonnes graisses, des végétaux, des aliments du marché qu’il faut couper, cuisiner, ou mâcher, un petit verre de vin rouge, elle est pas belle la vie ? »

Mais j’ai eu tort. Car voyez-vous, de grands cardiologues français viennent de publier une étude, The EVANS Study, qui  démontre magistralement que si les patients suivent mes conseils, s’ils abandonnent leurs statines, alors c’est un tsunami d’infarctus qui va déferler sur le SAMU, les services de cardiologie des hôpitaux et les entreprises de pompes funèbres : près de 5000 « événements » cardiovasculaires majeurs dont plus de 1100 décès par an !

The EVANS Study : un modèle de rigueur scientifique 

L’étude en soi est un modèle de rigueur scientifique qui me laisse coi.  Elle a consisté à demander à 140 patients qui prenaient des statines, combien avaient l’intention de les arrêter. Les chercheurs ont ensuite utilisé un modèle statistique d'une extrême sophistication, que je vais quand même essayer de vous expliquer (ce qui suit sera plus compréhensible si vous avez un doctorat de mathématiques) :

A l’aide d’un boulier, (ou peut-être même d’une calculette de supermarché avec piles AAA -soyons fous !), ils ont :

  1. fait une règle de trois pour extrapoler à partir du nombre de Français qui prennent des statines, le nombre de ceux qui pourraient les arrêter ;
  2. fait une seconde règle de trois pour calculer chez eux le nombre d’infarctus et de décès attendus, en se basant sur les conclusions d’une méta-analyse d’essais cliniques payés par l’industrie (Cholesterol Treatment Trialists), au cours desquels on avait comparé une statine et un placebo.

Imparable.

Ils étaient six pour faire les calculs. On n’est jamais trop prudent, une erreur de virgule est vite arrivée.

Alors voilà. Je voudrais dire que des études, j’en vois passer. Des études qui ne tiennent pas la route, qui titubent à la première secousse, et d’autres qui se tiennent toujours bien droit y compris des années plus tard, qui marquent l’histoire, qui infléchissent les pratiques médicales. Mais là ! Là ! Quel souffle ! Quelle méthode ! Quel éclair de génie ! Pour paraphraser le Cyrano d’Edmond Rostand, « C'est un roc ! ... c'est un pic... c'est un cap ! Que dis-je, c'est un cap ? ... c'est une péninsule ! »

Le tour de force du Pr Nicolas Danchin

Sur ce roc, ce cap, cette péninsule, veille un gardien de phare - la figure tutélaire et bienveillante du grand cardiologue Nicolas Danchin qui fait ainsi rayonner la recherche française sur le monde comme rayonnait jadis le phare d’Alexandrie sur la méditerranée.

Lire : Comment le Dr Danchin nous a préservé des théories délirantes du Dr de Lorgeril !

Car le Pr Danchin a réussi un autre tour de force : faire publier son étude dans une grande revue médicale. Pas le Lancet : trop victorien. Pas le New England Journal of Medicine, non plus : trop convenu. Circulation ? Trop yankee. Métro ? L’Officiel des spectacles ? Le Chasseur français ? Le Catalogue des 3 Suisses ? Vous n’y êtes pas.

C’est Archives of Cardiovascular Diseases ! Comment ? Vous ne connaissez pas encore Archives of Cardiovascular Diseases ? Cette prestigieuse revue l’est encore plus depuis qu’elle ne s’appelle plus Archives des Maladies du Cœur et des Vaisseaux (et on a beau dire, The EVANS Study, ça a quand même plus de gueule que l’Etude GASTON)…

Pour publier dans cette grande revue particulièrement sourcilleuse sur le choix de ses publications, le Pr Danchin a dû batailler. D’abord, il a fallu se rendre, article sous le bras, de l’hôpital Pompidou où il consulte, au siège de la revue, rue du Faubourg St Antoine. Pas facile. Il faut prendre la ligne 8 à Balard et descendre à Faidherbe-Chaligny, sans se tromper de station. Là il a fallu jouer fin. Comment persuader les responsables de la revue de bousculer leur programmation pour accueillir cette étude ? La partie n’était pas gagnée. En effet, la grande revue Archives of Cardiovascular Diseases est publiée par la Société française de cardiologie. Or Nicolas Danchin n'a qu'un lointain rapport avec cette société savante. Il n'en est que l'ex-président ! On imagine quels trésors de persuasion il a dû déployer pour convaincre ses anciens collègues - qu’il tutoie heureusement - de publier son étude. Combien ils ont dû faire et refaire les deux règles de trois. Finalement, la raison l’a emporté et devant la portée universelle de ce travail, place nette a été faite !

N'écoutez pas les grincheux, prenez vos statines

Des grincheux prétendent que The EVANS Study, qui par parenthèse fait honneur à la recherche française, n’aurait pour principal but que de susciter chez les patients une frousse encore plus grande que celle des effets secondaires de leur statine. Allons, allons ! D’abord, on a beaucoup exagéré les risques du traitement. Après tout, les statines ne sont responsables que d’atteintes musculaires handicapantes, de perte de la libido, de troubles de la mémoire, de cataracte, de diabète. Et encore. Elles n’augmentent le risque de diabète que chez un patient sur trois ! Ensuite, comment peut-on prêter de telles intentions à un médecin qui n’a qu’une misérable dizaine de liens réguliers et anciens avec l’industrie pharmaceutique ? Soyons sérieux. Et puis, si cette « étude » n’était pas irréprochable, les médias grand public en auraient-ils parlé comme ils l'ont fait ? Bien sûr que non ! La presse ne se laisserait pas abuser par la première étude venue, simplement parce qu’elle est signée d’une blouse blanche bien introduite sur les plateaux télé et dans les quotidiens nationaux, et publiée dans une revue qui sonne anglo-saxon (mais est concoctée dans un bureau du 11ème arrondissement). La presse grand public l’a montré à maintes reprises : elle sait parfaitement faire la distinction entre science et pipeautage.

Lire : Comment les médias ne se sont pas laissés abuser par une "étude" bidon sur les féculents !

D’autres grincheux assurent que les patients qui arrêtent les statines pour modifier leur mode de vie peuvent prétendre à une réduction du risque d’infarctus et de mortalité comprise entre 30 et 50%, ce qui serait sans commune mesure avec la protection qu’offrirait les statines - et que ces données n’ont pas été prises en compte dans The EVANS Study, etc, etc… Minute papillon ! Sérieusement, qui a envie de manger pour le reste de sa vie des navets ou quelque autre racine arrosée d’huile bio première pression à froid et d’aller trottiner dans le froid alors qu’en avalant sa statine, on peut se régaler de pizzas bien au chaud dans son fauteuil en regardant Cyril Hanouna.

Des grincheux, il y en aura toujours. En ce qui me concerne, ma religion est faite, et je ne suis pas seul. Même le Dr Michel de Lorgeril est conquis.

Lire : Le Dr Michel De Lorgeril, auteur de Cholestérol, mensonges et propagande, s'incline devant les conclusions de The Evans Study

Bref, la lumière est descendue sur moi comme d’un gros lampadaire sur un trottoir plongé dans les ténèbres. Je suis désormais convaincu que les infarctus sont dus à une carence en statines, comme le scorbut est dû à une carence en vitamine C. Je prendrai désormais religieusement ma statine même si je n’ai pas de cholestérol (surtout si je n’ai pas de cholestérol) en remerciant à jamais Monsieur ou Madame EVANS, Archives of Cardiovascular Diseases, le Pr Danchin, la Société française de cardiologie et leurs sponsors réunis.  

Sur un mode plus sérieux, lire les commentaires du Dr Michel de Lorgeril et du Pr Philippe Even

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