Gary Taubes : "Les recommandations nutritionnelles rendent les gens malades."

Par Collectif LaNutrition.fr - Journalistes scientifiques et diététiciennes Publié le 09/02/2012 Mis à jour le 09/04/2018
Point de vue

Gary Taubes est le plus célèbre journaliste scientifique américain, auteur de Pourquoi on grossit. Selon lui, la théorie sur laquelle est basée la gestion du poids est fondée sur de la mauvaise science, et les messages nutritionnels actuels font fausse route. Entretien avec un auteur qui dérange.

LaNutrition.fr : Dans Pourquoi on grossit, tu dis que le conseil de suivre un régime pauvre en graisses est une fumisterie.

Gary Taubes. C'est exact. Lorsque tu regardes attentivement les données, il n'y a aucune preuve réelle que cette approche fonctionne. Manger des aliments peu gras ne va pas te faire perdre du poids à long terme. Tu peux perdre un peu de poids au début, mais au bout de six mois, tu commences à le reprendre. Pourtant, depuis 40 ans on a dit aux Américains de manger moins de graisses et de calories. Le résultat c’est que nous n’avons jamais été aussi gros et autant malades du diabète.

Mais les aliments gras ne sont-ils pas mauvais pour le cœur et synonymes de cholestérol élevé ?

C’est tout aussi faux. C’est à cause de ce type d’affirmations que je me suis mis à écrire sur ce sujet. Je faisais des recherches sur les origines de l'épidémie d'obésité, quand je suis tombé sur les résultats de cinq essais cliniques qui essayaient de prouver que si nous suivons un régime pauvre en graisses avec moins de calories, alors les analyses de sang seront meilleures, les facteurs de risque baisseront et on maigrira.

Qu'est-il arrivé?

Les personnes qui suivaient un régime riche en matières grasses et qui mangeaient globalement plus ont perdu plus de poids, ont connu une baisse de la pression artérielle et des triglycérides et leur taux de bon cholestérol a augmenté. Ce que ces essais ont vraiment montré, c'est que si nous disons aux gens de faire précisément ce qui selon les nutritionnistes devrait les tuer, eh bien ils perdent du poids et leurs facteurs de risque cardiovasculaire s’améliorent.

Comment est-on arrivé à conseiller des régimes qui rendent les gens malades ?

Nous avons été conduits dans deux voies de garage. La première est l'hypothèse calories consommées/calories dépensées. Il semble logique de penser que l'on a besoin de brûler ce qu'on a mangé – cela ressemble à une loi de la physique. Si vous mangez plus que ce que vous dépensez, vous allez grossir. Mais c'est tout simplement faux. C'est comme si on disait que le soleil tourne autour de la Terre.

Et l'autre voie?

On nous dit que les graisses nous font grossir et nous font risquer l’infarctus. Cette affirmation est basée sur de la mauvaise science. Certains personnages influents dans le monde de la nutrition dans les années 1950 et début des années 60 en sont venus à croire cela, mais ce n’était fondé sur aucune recherche significative. Lorsque qu'ils ont conduit des études, ils n’ont pas réussi à le confirmer.

Mais alors, pourquoi cette école de pensée a survécu ?

En partie parce que la recherche coûte énormément d’argent ! Si les autorités sanitaires demandent aux organismes de recherche comme les NIH aux Etats-Unis ou l’Inserm en France de dépenser des milliards pour tester l’hypothèse qu’un régime alimentaire riche en graisses conduit à l’infarctus, il vaut mieux que les résultats soient positifs. Des résultats positifs permettent de recevoir d’autres financements. Les résultats négatifs sont importants en science, mais en politique c'est une autre histoire. Il ya un problème fondamental dans la façon dont nous abordons la science de la santé publique.

Donc ce concept non prouvé est devenu un fait

Une fois que tout le travail a été fait, que l'argent a été dépensé, les scientifiques avaient besoin de nous convaincre qu'ils avaient raison. Rapidement, cette idée a acquis une vie qui lui était propre. Article après article on nous a expliqué comment les matières grasses tuent les gens. A coups de manchettes dans tous les grands journaux. Après un certain temps nous l'avons cru parce qu'il semblait fou de ne pas le croire.

Si leur théorie était fausse, pourquoi devenons-nous gras ?

Nous grossissons parce que nous déréglons notre tissu adipeux. Ce sont des nutriments particuliers de l’alimentation qui en sont la cause.

Les glucides ?

Oui, les sucres sont en cause. Une fois que les gens ont cru que les graisses nous rendaient malades, la pensée dominante, c’est qu'au lieu de manger des graisses nous devrions manger un paquet de glucides. Donc, la base de la pyramide alimentaire - ou en France le socle des recommandations du Programme national nutrition santé - est bien connue : manger tous les jours des féculents - pâtes, pain, pommes de terre. Fait intéressant, jusqu'aux années 1960, l’opinion dominante en science et en médecine, mais aussi dans la population, c'est que les glucides faisaient grossir. C’est ce que pensait ma mère. Il y a un titre d’un article d'un journal médical des années 1960 que j'aime, c’est que "Toutes les femmes savent que les glucides font grossir." Ce qui est drôle, c'est qu'ils avaient raison. Ces sucres nous engraissent. Et dans les années 1960, au moment même où on comprenait pourquoi les glucides étaient mauvais pour la santé, nous avons jeté le paradigme et l’avons remplacé par l'idée que les féculents sont des aliments diététiques et sains, bons pour la ligne et le cœur. Pas étonnant que cela corresponde au début de l’épidémie d'obésité.

Comment agissent les glucides ?

Tout revient à l’insuline. L'insuline est une hormone qui agit pour vous faire stocker des calories sous forme de graisse dans les tissus adipeux. L'insuline, de concert avec le sucre sanguin plus élevé, c'est ce qui fait qu’une cellule adipeuse grossit. Et plus les glucides sont raffinés, plus ils sont faciles à digérer, plus la nourriture est sucrée, plus l'insuline s’élève.

Pourquoi avons-nous tant envie de glucides ?

Ceci est encore une hypothèse. Lorsque tu manges des glucides, letaux de sucre sanguin augmente. L'insuline est sécrétée, et ton corps dit à tes cellules de brûler ce sucre sanguin en priorité, de stocker des graisses pour plus tard. Quand l'insuline retombe, on devrait libérer les graisses stockées et les brûler. Mais si l'insuline reste élevée, ce qui arrive quand on mange beaucoup de ces aliments riches en glucides – les sucreries et les boissons sucrées, en particulier - le corps continue à dire aux muscles de brûler des glucides, même si on n'en a plus à brûler. Donc, on a envie d’en reprendre. C'est comme si il n'y avait qu'un seul nutriment que votre corps puisse utiliser, ou veuille utiliser, comme carburant - les glucides.

Pourquoi ai-je plus envie de Coca-Cola et de cookies que de pommes de terre?

Le sucre est particulier.  Le sucre active dans le cerveau les mêmes circuits que ceux de la dépendance à la drogue.

Les enfants adorent les glucides. Est-ce qu’on les programme pour être obèses en les laissant répondre à leurs envies ?

Ca me fait peur de voir à quel point les enfants sont obsédés par les glucides. Dans le livre, je parle d'un cercle vicieux : les femmes sont de plus en plus plus lourdes pendant la grossesse, si elles sont obèses ou diabétiques, qu’elles développent un diabète gestationnel, elles donnent naissance à des enfants qui sont plus susceptibles de devenir obèses ou diabétiques une fois adultes. Génération après génération. Ce qui entraîne des taux d’insuline plus élevés. Donc les organismes apprennent à considérer les glucides comme les meilleurs nutriments à brûler une grande partie de la journée. Sommes-nous en train de donner naissance à des enfants qui, d’une génération à l’autre, auront toujours besoin de plus de glucides, ce qui les condamnerait à des problèmes de santé plus tard ? C'est possible.

Est-ce que tu limites la consommation de tes propres enfants en sucres et glucides ?

J'essaie de leur éviter de manger du sucre sans être un fanatique et de limiter les sucres raffinés, les glucides et les féculents.  Je n’aime pas quand les parents des enfants en surpoids les forcent à courir ou à manger moins. Ils ne peuvent pas courir parce qu’ils stockent l'énergie sous forme de graisse. Ils ont faim parce qu'ils mangent les mauvais aliments. Les efforts pour les faire maigrir en les affamant ou en leur faisant faire de l'exercice sont mal venus. Le problème n'est pas qu'ils sont sédentaires. C'est un effet secondaire de la dérégulation de leur graisse.

Tout le monde doit éviter les glucides ?

Tout le monde ne doit pas suivre le régime Atkins, ce n'est pas mon message. Je veux faire passer l’idée simple que certains aliments font grossir et d'autres pas. La quantité et la qualité des glucides, c’est ce qui fait que le repas fait grossir ou pas. Les aliments sans glucides ne font pas grossir, de sorte qu'on peut en manger autant qu'on le souhaite, c’est le principe d’Atkins. On n’a pas besoin de manger plus que de raison, mais on n’a pas à s’inquiéter de prendre du poids. Les aliments sans glucides ne font tout simplement pas grossir.

Quels sont ces aliments ?

Eh bien, les aliments qui contiennent peu de glucides ou dans lesquels les glucides sont liés aux fibres et qui sont donc digérés relativement lentement. Le premier groupe est politiquement incorrect, parce que ce groupe comprend pratiquement tous les produits d'origine animale - viande, poisson, volaille, œufs, fromage, beurre. Le deuxième groupe est celui des légumes verts comme le brocoli, les épinards, le chou frisé…

Comment peut-on améliorer immédiatement son alimentation ?

En arrêtant de manger des glucides facilement digestibles et des sucres. Là encore, ces aliments font grossir, et si on ne les mange pas, on sera en meilleure santé. Et ce sont presque certainement les mêmes qui favorisent les maladies cardiaques, le diabète, et je dirais même le cancer et l'Alzheimer. Je rêve que dans cinq ans quand quelqu'un en surpoids ira voir son médecin, celui-ci au lieu de lui dire « Mangez moins et faites plus d'exercice », lui dise « Ces aliments font grossir -. les aliments riches en glucides et les sucreries. N’en mangez plus. »

C’est terrible de se dire qu’on n’a même plus droit à un petit gâteau !

J’ai écrit ce livre aussi bien pour les gens qui s'inquiètent de leur poids que pour les médecins qui traitent les personnes obèses. Si tu veux perdre 3 ou 4 kilos, peut-être que tu dois simplement renoncer au sucre, ou manger des pâtes moins souvent. Pour quelqu'un en surpoids de 30 kilos qui veut être aussi mince que possible, il faut faire plus. C’est une question de dose. Les changements à accomplir dépendent de votre corps et de l’ampleur du problème. Pour quelqu'un qui pèse 130 kilos, la modération ne fera probablement pas beaucoup de différence. Pour quelqu'un qui a pris 10 kilos depuis la fin des études, peut-être que la simple modération est la réponse et le petit gâteau occasionnel n'est pas un problème.

Tu écris que l’exercice ne fait pas maigrir. Pourquoi alors les coureurs à pied sont-ils si maigres ?

Nous pensons que c’est la course qui les a rendus maigres, mais ce raisonnement n’est pas bon. Les gens plus maigres courent mieux que les autres, et ils sont donc plus susceptibles de courir. La raison pour laquelle les gens maigres sont de bons coureurs c'est parce que leurs corps veut brûler leur énergie, plutôt que la stocker sous forme de calories. L'énergie les pousse à devenir coureurs.

Tout le monde ne peut pas faire de course à pied ?

Non, contrairement à ce qu’on croit, tu ne peux pas prendre une personne sédentaire et l'obliger à faire de l’exercice et s’attendre à ce que la graisse fonde et que cette personne soit mince. Tu ne peux pas affamer une personne obèse, pas plus que tu ne peux transformer un basset en lévrier en le forçant à courir. Tu te retrouveras avec un basset épuisé et affamé. Et au fil du temps, s’il a accès à la nourriture, ce basset reprendra du poids parce que c'est sa nature. La même chose est vraie pour ceux d'entre nous qui sont gras, mais cette nature dépend de l'environnement alimentaire – un environnement riche en glucides.

Que faut-il faire?

Nous n'avons pas à manger les aliments qui favorisent la graisse. Dans les aliments allégés on a remplacé la graisse par des glucides. Donc, si tu manges des céréales avec du lait écrémé et des yaourts zéro pour cent, tu manges d’une manière qui favorise l'adiposité. Si tu supprimes les glucides, tu peux être considérablement plus mince.

J’imagine que tu as supprimé les glucides. Rien ne te manque ?

Les pâtes. Et le jus d'orange le matin. Heureusement, je suis un carnivore, donc je suis heureux de manger de la viande tout le temps. Non pas qu’il faille manger de la viande pour ne pas manger de glucides. Je mange des légumes verts parce que ma mère m'a appris à les manger, et je les aime. Je mange probablement plus de légumes qu’avant parce que je les mange à la place des féculents. Je mange beaucoup d'œufs et de bacon, beaucoup de bœuf et de poulet.

Est-ce qu’on a moins envie de sucreries quand on arrête d’en manger ?

Ce goût pour le sucré disparaît. C'est comme toute dépendance. Quand j'étais plus jeune je fumais - et je ne pouvais pas imaginer la vie sans cigarettes. Mais quand j’ai arrêté, l’envie de fumer a duré environ trois semaines. Puis il y a eu deux années au cours desquelles les cigarettes m’ont simplement manqué, je devais toujours être sur mes gardes pour ne pas me remettre à fumer. Mais après un certain temps, je ne pouvais pas imaginer revenir en arrière, et j'ai trouvé difficile d'imaginer pourquoi j’avais jamais fumé. C'est vrai de la nicotine, des mauvaises relations et des glucides.

Quels ont été les résultats pour toi ?

Les histoires personnelles comme la miennne sont anecdotiques, elles n’ont pas de valeur scientifique. Mais j'ai d'abord essayé ce régime comme on tente une expérience il ya 10 ans - un économiste du MIT (Massachusetts Institute of Technology) m'avait suggéré d'essayer - et j’ai continué. Je pèse 4 kilos de moins, mais je gagnais un kilo par an à l'époque, donc je pense que je pèse 12 à 13 kilos de moins que ce que je pèserais si je ne suivais pas ce régime. J’ai plus d'énergie. J'ai besoin de moins de sommeil. Ma peau est de meilleure qulaité. Je pourrais continuer à énumérer les bénéfices, mais cela ressemble à une réclame, ce qui est précisément ce que j'essaie d'éviter.

Ta conclusion ?

Le message de ce livre, c'est qu’il s’agit de science, et lorsqu’on étudie les données scientifiques sans a priori, les choses sont claires.

Lire un extrait du livre ici

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