Hervé Berbille : "Une place de choix pour le soja"

Par Collectif LaNutrition.fr - Journalistes scientifiques et diététiciennes Publié le 05/04/2006 Mis à jour le 10/03/2017
Hervé Berbille, ingénieur agroalimentaire et « spécialiste » du soja dans l'alimentation: réactions sur rapport de l'AFSSA

L’Afssa, agence française de sécurité sanitaire des aliments a évalué la sécurité et les bénéfices des phyto-oestrogènes, ces molécules issues du monde végétal qui ont quasiment la même structure que l’oestradiol et qui pourraient donc remplacer cette hormone sexuelle. Les conclusions de ce rapport rendu en mars 2005, qui compte quelques 370 pages, sont sans appel : « la consommation de phyto-oestrogènes ne peut être considérée anodine a priori, puisqu’ils interfèrent avec le système hormonal » peut-on lire dans le communiqué de presse de l’Afssa. L’agence précise également que « les études concernant les phyto-oestrogènes ne permettent pas à ce jour d’établir un effet des phyto-oestrogènes sur les bouffées de chaleur ». Hervé Berbille a tenu à répondre à ce rapport qui remet en cause les propriétés des aliments à base de soja.

Essaie-t-on, selon vous, en France de diaboliser le soja ?

.thumb_Herve BerbilleEn ce moment, on parle beaucoup du soja. Et les abus de langage sont d’ailleurs nombreux. Je tiens à préciser d’ores et déjà que si les phyto-oestrogènes sont effectivement issus du règne végétal, ils ne peuvent être considérés à proprement parler comme des oestrogènes, même si leur désignation le suggère fortement.

Ainsi, les scientifiques préfèrent souvent l’usage du terme « isoflavones », plus précis à bien des égards. Quoiqu’il en soit, le choix sémantique, « isoflavones » ou « phyto-oestrogènes », influe lourdement sur la perception des consommateurs. Cet aspect n’a pas échappé aux détracteurs du soja qui ont su habillement exploiter le terme de « phyto-œstrogène » et les peurs diffuses qu’il peut véhiculer.

J’ai d’ailleurs une anecdote au sujet des abus de langage : en 1997, L’European Science Environment Forum a effectué en Grande-Bretagne un sondage sur l’eau en parlant de « dihydrogène monoxyde » et en expliquant que « c’est un composé chimique utilisé en très grande quantité par l’industrie, connu pour être à l’origine de fuites et d’infiltrations fréquentes et que l’on trouve régulièrement dans les rivières et dans la nourriture animale et humaine ». Le questionnaire indiquait en outre que « cet élément est un composant essentiel des pluies acides et contribue sous sa forme gazeuse à l’effet de serre ». Ainsi les deux tiers des interrogés répondirent-ils « oui » à la question de savoir s’il fallait règlementer, voire interdire l’utilisation de ce composé chimique dangereux dans l’UE. Ce « composé chimique dangereux » n’est pourtant rien d’autre que l’eau !

Que peuvent apporter à l’organisme les phyto-oestrogènes ?

Les propriétés des phyto-oestrogènes (isoflavones) font d’eux des nutriments tout à fait remarquables : ils s’apparentent en fait à des régulateurs hormonaux tout en exerçant une activité antiradicalaire appréciable. Comme le résume très bien Martin LaSalle (Réseau Proteus) « Le soja (…) peut agir de deux façons (…) : soit bloquer les effets négatifs d'une trop grande production d'oestrogènes, ou encore combler les besoins si le corps en produit insuffisamment ». En d’autres termes, un nourrisson ne changera pas de sexe, et une femme ménopausée ne retombera pas en adolescence s’ils consomment des préparations à base de protéines de soja ou des compléments alimentaires riches en phyto-oestrogènes…

De nombreuses études confirment chaque jour l’intérêt du soja dans la prévention de nombreuses maladies. Elles suggèrent également une parfaite innocuité au point de les placer parmi les nutriments les plus en vue dans la famille des « nutraceutiques » (littéralement « aliments santé »).

Les études montrent que le soja prévient de la survenue des cancers (comme la plupart des fruits et légumes…), que les isoflavones de soja sont de surcroît capables d’induire l’apoptose, c'est-à-dire le « suicide » sélectif des cellules cancéreuses tout en épargnant les cellules saines. Cette dernière propriété est partagée par les phyto-oestrogènes du trèfle, ceux des haricots autres que le soja (coumestrol) ou bien encore ceux contenus dans les céréales (lignanes). Ils faut enfin préciser que ces propriétés ne concernent pas seulement les phyto-oestrogènes. En effet, le resvératrol, la lutéine, le lycopène et d’autres caroténoïdes induisent également l’apoptose.

Que pensez-vous du rapport de l’Afssa sur le soja ?

Le 9 mars 2005, l’Afssa a rendu un surprenant rapport intitulé « Sécurité et bénéfices des phyto-estrogènes apportés par l'alimentation ».

Visiblement agacée par le succès des phyto-oestrogènes qui osent revendiquer une simple atténuation des désagréments de la ménopause, la DGCCRF (répression des fraudes) saisit l’Afssa, comptant sur son rapport pour y mettre bon ordre. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que l’on ne doit pas être déçu du coté de la DGCCRF.

Alors que d’innombrables études tant cliniques qu’épidémiologiques attestent à la fois de l’efficacité et de l’innocuité des phyto-oestrogènes pour atténuer (et non pas supprimer) les désagréments de la ménopause, l’Afssa conclut que cet effet bénéfique est attribuable à « un fort effet placebo ». On peut se demander au passage comment l’Afssa différencie un fort d’un faible effet placebo ! D’autre part, tous les médicaments (en l’occurrence les phyto-oestrogènes n’en sont pas) sont susceptibles d’induire un effet placebo. C’est d’ailleurs pour cela que les études cliniques sont menées en « double aveugle » : les patients et les médecins traitants ignorent respectivement s’ils reçoivent ou administrent le principe actif à évaluer ou un placebo.

Autre omission très révélatrice relevée dans le rapport l’Afssa : « une étude (portant sur des garçons et filles nourris avec des préparations pour nourrissons à base de soja) a montré un allongement de près 2 jours de la durée du cycle chez les filles » sans aller toutefois jusqu’à préciser que cela induisait un effet protecteur vis-à-vis des cancers en réduisant ainsi l’exposition aux oestrogènes humains, ce qui confirme le rôle régulateur des phyto-oestrogènes. L’Afssa ne mentionne cependant aucun effet chez les garçons alors que les adversaires du soja les plus hystériques (Enig et Fallon) affirment qu’il les « féminise »...

Peut-on donner du lait de soja aux enfants ?

L’Afssa estime que les nourrissons ne devraient pas être exposés au soja avant trois ans. C’est un coup d’épée dans l’eau puisque le « lait » de soja (tonyu) n’a jamais été préconisé par quiconque d’un tant soit peu responsable (au même titre que le lait de vache en l’état, également fortement déconseillé par les pédiatres). L’Afssa a tout de même reconnu qu’« il n’a pas été observé jusqu’à présent de troubles particuliers chez les enfants et nourrissons nourris avec des préparations à base de soja ». Cela a au moins le mérite de la clarté, mais dans un premier temps seulement puisque l’Afssa s’empresse d’ajouter : « toutefois on ne dispose pas d’étude à long terme portant sur la fertilité ».

Je tiens tout de même à préciser que les premières préparations pour nourrissons à base de soja furent commercialisées très précisément en 1950. Deux études publiées dans le prestigieux JAMA concluaient à une absence d’effet sur le fertilité (« Exposure to soy formula does not appear to lead to different general health or reproductive outcomes »). Mieux encore, une étude montre que les isoflavones de soja améliore la fertilité des femmes ! D’autres études plus récentes, également publiées dans des revues de références (Journal of Nutrition notamment), attestent de l’intérêt et de l’innocuité des préparations pour nourrissons à base de soja.

Malgré tous ses efforts, l’Afssa ne parvient pas à mettre en évidence le moindre danger lié à l’usage de ce type de préparations (encore une fois, à ne pas confondre avec le « lait » de soja ou tonyu qui n’est pas dangereux mais simplement inadapté).

Néanmoins, l’Afssa en déconseille l’usage jusqu’à 6 mois à cause de possibles allergies. Si l’on retient cet argument et sachant que l’allergie au lait de vache est quatre fois plus fréquente que celle au soja, on peut se demander quelles préparations pour nourrissons donner aux bébés qui ne bénéficient pas de l’allaitement maternel…

Comment pouvez-vous avoir un avis si différent, vous et l’Afssa, sur un même sujet : le soja ?

L’Afssa se focalise sur les études effectuées sur modèle animal tout en récusant celles effectuées chez l’homme, c’est un choix. Il faut cependant se souvenir que l’huile de colza ne se remit jamais de l’annonce faite en 1970 : une étude indiquait en effet qu’elle provoquait des lésions cardiaques chez le rat. Même si elle constitue de très loin la meilleure huile alimentaire disponible sur le marché (grâce à son ratio quasiment parfait en oméga 3/6/9), et est la moins chère, l’huile de colza ne dépasse pas 3% de part de marché. Pourtant elle protège mieux que n’importe quel autre aliment le système cardio-vasculaire... L’huile de colza contient en outre un composé anti-cancéreux récemment identifié (canolol) et protège vraisemblablement de la survenue des maladies neurodégénératives (Alzheimer). Mais la rigueur scientifique est visiblement impuissante à inverser la rumeur médiatique… Plutôt désabusé, le Pr Entressangles me confiait un jour « peut-être faudrait-il augmenter le prix de l’huile de colza pour que les gens en consomment davantage… ».

A noter enfin pour en terminer avec les huiles que l’on découvrira un peu plus tard que l’huile de tournesol, qui a raflé la mise pour le plus grand profit d’Unilever (huile « Fruit d’Or » la bien nommée), provoque des lésions cardiaques chez le rat et favorise les phénomènes inflammatoires, les maladies neuro dégénératives comme la maladie d’Alzheimer, les cancers, l’obésité…et les accidents coronariens chez l’Homme !

Que faut-il retenir, selon vous, de ce rapport de l’Afssa ?

La conclusion du rapport de l’Afssa peut se résumer de la façon suivante : les compléments à base de phyto-oestrogènes concentrés ne parviennent pas à atténuer de simples bouffées de chaleur mais, à très faibles doses, ils peuvent vous faire changer de sexe !

Cela pourrait prêter à sourire … Mais c’est dommage car le soja pourrait, parmi d’autres végétaux, occuper une place de choix dans l’alimentation en raison de ses nombreuses déclinaisons culinaires et de ses propriétés contre l’obésité par exemple.

Le cancer, deuxième cause de mortalité en France constitue lui aussi une autre préoccupation majeure en terme de santé publique. Or, une récente étude vient d’identifier dans le soja un prometteur peptide (une « petite » protéine) anti-cancéreux dénommé lunasin. Ce peptide s’ajoute à la liste des autres nombreux nutriments anti-cancéreux particulièrement puissants déjà identifiés dans le soja : acide phytique (Inositol hexaphosphate), inhibiteur de Kunitz et, dans une moindre mesure, tocophérols, fibres solubles, etc.

Sachez enfin qu’avec l’huile de colza, le soja représente une des rares sources alimentaires d’oméga 3 (acide alpha-linolénique).

Tous ces éléments plaident en faveur d’une consommation accrue de soja. Mais cela n’a visiblement pas dissuadé Afssa d’instruire un dossier à charge contre lui. A cause de ce rapport, il faut d’ores et déjà s’attendre à ce qu’une large partie de la population se détourne de cet aliment pourtant plein de promesses, comme cela s’est déjà produit en Nouvelle-Zélande où, après une campagne médiatique habilement orchestrée, les ventes de « soyfoods » se sont littéralement effondrées.

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