La moitié des études scientifiques gangrénées par les «sponsors»

Par Thierry Souccar - Journaliste et auteur scientifique, directeur de laNutrition.fr Publié le 01/07/2015 Mis à jour le 10/03/2017
La moitié des données scientifiques sur lesquelles s'appuient pouvoirs publics et médecins seraient frelatées. En cause : les tripatouillages des industries pharmaceutique et agro-alimentaire.

C’est une déclaration passée quasiment inaperçue mais qui aurait dû faire la une de tous les médias grand public ayant une rubrique santé.

Pour le Dr Richard Horton, rédacteur en chef du Lancet, le journal médical le plus respecté, « une grande partie de la littérature scientifique, peut-être la moitié, n’apparaît pas crédible. Affligée d’études aux échantillons insuffisants, aux effets marginaux, aux analyses invalides et aux conflits d’intérêt flagrants, plus une obsession à suivre des modes dont l’importance est douteuse, la science a pris un tournant qui la mène vers les ténèbres. »

Comment en sommes-nous tombés là ? Horton rappelle ce que nous savions et que nous avons rapporté à de multiples reprises (voir Au nom de la science, ou encore Santé, mensonges et propagande) : les grands groupes pharmaceutiques falsifient ou manipulent les études qui portent sur l’efficacité et la sécurité des médicaments.

Tous les moyens sont bons : choisir des effectifs insuffisants, sélectionner les participants de manière à maximiser les bénéfices du produit et en minimiser les effets indésirables, forcer les résultats à « parler » en multipliant les analyses en sous-groupes, et bien sûr faire appel à des scientifiques et des médecins empressés de plaire à leurs sponsors en échange d’une accélération de leur carrière. Sans parler de la création de toutes pièces de maladies pour vendre les médicaments qui vont avec (voir Le mythe de l’ostéoporose).

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Horton fait écho aux propos du Dr. Marcia Angell qui a longtemps dirigé la rédaction d’un autre journal prestigieux, le New England Journal of Medicine. Que dit Marcia Angell ? « Il n’est simplement plus possible de croire une grande partie de la recherche clinique qui est publiée. Je suis désolée de cette conclusion, à laquelle je suis parvenue lentement et à contre-cœur au cours des deux décennies que j’ai passées à la rédaction du New England Journal of Medicine. »

Elle ajoute qu’il n’est guère plus possible de croire à la parole des médecins en vue, ceux qu’on appelle les « leaders d’opinion » et qui se pavanent dans les congrès sponsorisés et sur les plateaux télé.

Bien sûr, ce constat s’étend aux études payées par l’industrie agro-alimentaire. Les miracles attribués aux produits laitiers, les vertus dont se parent, en vrac, les céréales du petit déjeuner, les charcuteries, les jus de fruits… sont le résultat d’un tripatouillage dont la seule finalité est le compte de résultats. Et les agences de com font le reste, avec leur attelage de conseils scientifiques bidons, d'instituts fantômes et évidemment « d’experts » médiatiques. Tiens, comme ce webinar organisé récemment par l’industrie laitière auquel participaient un médecin français et le pharmacien québécois auteur d’un blog populaire.

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Qu’il se trouve encore des professionnels de la santé pour se prêter complaisamment à ce genre de farce est la confirmation du sinistre constat de Richard Horton : un virage a été pris, il y a bien longtemps, et nous n’en sommes pas encore sortis.

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