Julien Venesson : « Gluten : Que Choisir nous roule dans la farine ! »

Par Thierry Souccar - Journaliste et auteur scientifique, directeur de laNutrition.fr Publié le 30/08/2013 Mis à jour le 10/03/2017

Pour l’UFC Que Choisir, les régimes sans gluten n’ont de bénéfices que pour 1% de la population qui souffre de maladie céliaque. Julien Venesson, auteur de "Gluten : comment le blé moderne nous intoxique", n’est pas d’accord, et il le dit dans cette tribune.L'UFC Que Choisir a fait parvenir à LaNutrition.fr une réponse à la tribune de Julien Venesson (à lire à la suite).

Régime sans gluten : effet de mode ou nécessité ?

« Gluten, un coupable trop idéal », tel est le titre (évocateur !) affiché en couverture du numéro de septembre 2013 du magazine populaire Que Choisir. Nul besoin d’être devin pour en connâitre la teneur.

Pour renforcer la conviction, des extraits du texte s’affichent en gras : « L’idée fausse que le gluten est dangereux pour tous se répand. »

Tout l’article est donc axé sur un seul objectif : expliquer que seule une personne sur cent a un problème avec le gluten et que les autres peuvent se goinfrer de pain, de pâtes et de pizzas sans se poser de questions. Pour en convaincre ses lecteurs, la journaliste est allée interviewer Hubert Chiron, ingénieur à l’INRA, le Pr Christophe Cellier, chef du service de gastro-entérologie de l’hôpital Georges Pompidou et le Pr Franck Carbonnel du service de gastro-entérologie de l’hôpital du Kremlin Bicêtre. 

Coïncidence ? Deux de ces experts figurent dans le dossier de presse envoyé aux journalistes le 22 Juillet dernier par l’Observatoire du Pain - une émanation de l’interprofession céréalière - dans le cadre de sa campagne de promotion des produits de la boulangerie sur le thème « Coucou? Tu as pris le pain » dont les affiches ont récemment inondé nos rues. L’article de Que Choisir ne dit rien de la participation de ces spécialistes aux campagnes de l’Observatoire du Pain. Des experts ayant un lien avec l’industrie agro-alimentaire qui se retrouvent dans Que Choisir sans qu’il en soit fait état par le journal… ce ne serait pas la première fois !

Lire : Que Choisir nous fait avaler n’importe quoi, par Hervé Berbille

Pour rédiger son article lénifiant sur le gluten, la journaliste a dû être bien embêtée en cherchant dans la littérature médicale – mais l’a-t-elle seulement fait ? Par exemple, en consultant la bibliothèque nationale de médecine des Etats-Unis, librement accessible en ligne (http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/), comment a-t-elle pu ignorer les très nombreux articles de chercheurs relatifs à la sensibilité au gluten, une maladie différente de l’intolérance (maladie cœliaque) et qui toucherait au moins 6 à 10, voire 30% de la population selon les sources ?

La journaliste écrit ceci : « Dans les revues scientifiques, les chercheurs s’interrogent. ’’L’hypersensibilité au gluten en l’absence de maladie cœliaque existe-t-elle ?’’ titrait le British Medical Journal en décembre dernier. » pour conclure un peu plus loin qu’il s’agit d’un effet placebo. Mais la journaliste a-t-elle fait l’effort de lire cette étude du British Medical Journal, une revue médicale reconnue pour son sérieux ? Probablement pas car si elle l’avait fait elle aurait pu y lire en conclusion : « Les patients dont les résultats sont négatifs [aux tests de la maladie cœliaque mais qui ont des symptômes liés à la consommation de gluten] devraient être diagnostiqués comme ayant une sensibilité au gluten. Ces patients bénéficient d’un régime alimentaire sans gluten. Les médecins devraient leur dire que la sensibilité au gluten est une nouvelle maladie reconnue depuis peu et dont nous ne comprenons pas encore complètement l’origine ou l’évolution. » (1)

Pourquoi l’article de l’UFC Que Choisir n’a-t-il pas recueilli le témoignage de chercheurs spécialistes plutôt que donner la parole à des médecins français qui n’ont pour expérience que celle de la maladie cœliaque ? Mystère.

Ce que je ne vois pas n’existe pas

A l’époque d’Hippocrate, le père de la médecine moderne, on croyait fermement à la théorie des humeurs. La maladie n’était alors pas provoquée par des virus ou des bactéries (que personne ne pouvait voir !) mais par un déséquilibre de l’air, de l’eau, du feu et de la terre. Il faudra attendre le XVIIe siècle pour qu’Antonie van Leeuwenhoek, un savant néerlandais, parvienne à observer des bactéries grâce à un microscope de sa fabrication. Avec lui naissent la théorie microbienne et la biologie cellulaire. Aujourd’hui avec l’avancée de la science, on a tendance à croire que la médecine toute puissante  a réponse à tout. Mais en vérité nous ignorons encore beaucoup.

Il n’y a pas si longtemps des médecins proposaient des anxiolytiques aux patients victimes d’ulcère de l’estomac jusqu’à ce qu’on découvre que 80% des ulcères étaient provoqués par une bactérie : Helicobacter Pylori. On est donc passé d’un traitement anxiolytique à un traitement antibiotique.

On retrouve des situations similaires avec bien d’autres maladies comme la fibromyalgie, longtemps classée comme maladie psychiatrique avant d’être finalement unanimement reconnue. Eh bien aujourd’hui on est entrain de nous faire le même coup mais avec la sensibilité au gluten !

Mais plutôt que d’informer le grand public efficacement, et surtout d’aider les malades, l’UFC Que Choisir joue la carte du « placebo » et de la « mode » sans aucune justification sérieuse.

L’UFC Que Choisir pouvait-elle ignorer les nouvelles maladies liées au gluten ?

Un journaliste n’est pas infaillible et on est en droit de se poser la question : Que Choisir pouvait-elle tout simplement ignorer l’existence d’autres maladies liées au gluten ? (2)

J’ai reçu le 11 Juin 2013 un mail d’une documentaliste de l’UFC Que Choisir me demandant de lui faire parvenir un exemplaire de mon nouveau livre « Gluten, comment le blé moderne nous intoxique » pour qu’il soit mis à la disposition des journalistes.

Mon livre n’est pas un traité de médecine, il est le fruit d’une enquête de plus d’un an pour répondre aux questions « Le blé et le gluten sont-ils vraiment dangereux pour une partie de la population ? Et pourquoi seraient-ils plus dangereux qu’avant ? ». Et il se trouve que pour l’écrire je me suis entretenu avec les chercheurs de l’INSERM, spécialisés en immunologie intestinale et sur l’intolérance au gluten mais aussi avec les chercheurs du plus grand centre de recherches au monde sur l’intolérance au gluten : le Center for Celiac Research & Treatment à l’hôpital général du Massachussetts aux Etats-Unis, dirigé par le Dr Alessio Fasano. Voici un extrait de notre entretien (page 147) :

Julien Venesson : La maladie cœliaque (intolérance au gluten) touche 1 à 3 % de la population mondiale, ce qui est déjà colossal. D’après vous, combien de personnes sont concernées par la sensibilité au gluten ?

Dr Alessio Fasano : « La sensibilité au gluten, un problème différent de l’intolérance au gluten, est quelque chose que nous commençons à peine à comprendre. Les données préliminaires issues de mon centre de recherche montrent qu’environ 6 % des Américains, soit 18 millions de personnes, souffrent de sensibilité au gluten, au minimum. Pour obtenir des chiffres plus précis, il faut que de nouvelles études épidémiologiques soient lancées. »

Les chercheurs avancent donc une prévalence au minimum 6 fois plus élevée (30 fois plus élevée selon d’autres équipes) d’une nouvelle maladie que l’UFC Que Choisir range dans la classe des maladies imaginaires répondant à l’effet de mode et au placebo. Exactement comme le fait la filière céréalière.

Pourquoi une association qui prétend défendre le consommateur lui rend-elle à ce point un si mauvais service en niant catégoriquement la réalité des nouvelles maladies liées au gluten ? Pourquoi ne pas avoir cherché à comprendre ce qui pouvait poser problème avec ce gluten ? J’ai le sentiment qu’à trop vouloir plaire à tout le monde, l’association ne plaît plus à personne.

Julien Venesson, auteur de Gluten : comment le blé moderne nous intoxique

Références :

(1) Aziz I, Hadjivassiliou M, Sanders DS. Does gluten sensitivity in the absence of coeliac disease exist? BMJ. 2012 Nov 30;345:e7907.

(2) Biesiekierski JR, Newnham ED, Irving PM, Barrett JS, Haines M, Doecke JD, Shepherd SJ, Muir JG, Gibson PR. Gluten causes gastrointestinal symptoms in subjects without celiac disease: a double-blind randomized placebo-controlled trial. Am J Gastroenterol. 2011 Mar; 106(3): 508-14; quiz 515. doi: 10.1038/ajg.2010.487.

Réponse de l'UFC Que Choisir

L'UFC Que Choisir a fait parvenir le 3 septembre à LaNutrition.fr un texte au titre du droit de réponse. Nous le publions ci-dessous.

Droit de réponse de l’UFC-QUE CHOISIR

« Ce point de vue ne rend pas compte de façon objective du contenu de notre article. Il est inexact de prétendre que « tout l’article est axé sur l’objectif d’expliquer que seule une personne sur cent a un problème avec le gluten. » Au contraire, notre journaliste évoque l’existence de l’hypersensibilité au gluten en l’absence de maladie cœliaque, même si cette nouvelle pathologie reste mystérieuse. En témoignent ces extraits de notre article :

Certains patients se sentent mieux lorsqu’ils suppriment le gluten alors que leurs examens sanguins sont négatifs et leurs biopsies normales, Certes, ils souffrent de pathologies type « syndrome de l’intestin irritable », dans lequel l’effet placebo joue un rôle majeur. Cela dit, quelques études récentes suggèrent qu’il y aurait un réel effet du gluten sur la fonction intestinale chez certains.  

Ceux qui se disent soulagés par ce régime peuvent être uniquement influencés par le discours anti-gluten ambiant, ils peuvent aussi être réellement incommodés par ce composé. Il y a probablement quelque chose de réel qu’on n’arrive pas à cerner.

Une étude vient d’être lancée pour tenter de déterminer si les patients non cœliaques qui se disent soulagés par le régime ont des particularités : via des prélèvements intestinaux et des prises de sang, les chercheurs tentent de détecter des signes d’inflammation à l’échelle moléculaire. Objectif, déterminer si cette mystérieuse « hypersensibilité au gluten » repose sur une réalité biologique et pourrait être diagnostiquée via des méthodes d’analyse fiables. Leur absence actuelle laisse une influence démesurée aux marchands de peur… et de produits sans gluten.

Les personnes interrogées l’ont été eu égard à leur compétence. Il s’agit de praticiens au contact quotidien des malades, qu’ils soient cœliaques ou non, et de chercheurs de l’INRA spécialistes du pain ou des céréales. Qu’ils aient pu être cités dans un dossier de presse de l’Observatoire du pain ne nous paraît pas devoir remettre en cause la fiabilité de leurs propos.

Monsieur Venesson semble très soucieux de l’indépendance des experts

Mais lorsqu’il cite les conclusions d’un article du British Medical Journal il omet de signaler que parmi les trois auteurs, l’un d’entre eux déclare avoir reçu une subvention de Dr Schär, un fabricant bien connu de produits sans gluten.

De même, M. Venesson aurait dû précisé que cet article est paru dans les pages « Incertitudes » du BMJ, qu’il est précédé d’un éditorial titré : « Hypersensibilité au gluten : réelle ou pas ? » et suivi d’un témoignage de patient hypersensible mais aussi de l’article d’un chercheur dont la conclusion est « avant de donner naissance à de nouveaux termes et de nouvelles maladies, il est important d’étudier leurs caractéristiques et leurs marqueurs spécifiques pour éviter de mauvais diagnostics et des traitement inappropriés. Les patients relient souvent leurs symptômes à l’ingestion de nourriture et nous devons prendre garde de ne pas cataloguer les réactions perçues comme des intolérances alimentaires qui doivent être traitées. »

Un des objectifs de l’article de Que choisir était de conseiller aux lecteurs, face à une intolérance perçue au gluten, de faire le test de détection de la maladie cœliaque, car en cas de résultats positif le malade doit être suivi et respecter le régime de façon stricte. Mais en aucun cas il ne nie qu’il puisse exister une hypersensibilité au gluten en dehors de la maladie cœliaque. » 

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