Lait, gluten : les amis de l’industrie ne prennent pas de vacances

Par Thierry Souccar - Journaliste et auteur scientifique, directeur de laNutrition.fr Publié le 17/07/2015 Mis à jour le 10/03/2017
De "grands experts", souvent liés à l'industrie, tentent de faire passer le sans gluten et le sans lait pour une mode. Même en plein été.

On pensait naïvement que les grands experts qui nous servent à longueur d’année dans la presse et sur les plateaux télés le même discours que l’industrie agro-alimentaire, se feraient un peu oublier pendant les vacances, qu’ils iraient bronzer du côté de Porto-Vecchio ou du Cap Ferret avec le sentiment du devoir accompli. Mais non. Ils sont là ! 

Tenez, j'en ai dégoté deux dans Le Figaro du 15 juillet 2015 sous le titre « Pourquoi les régimes sans [lait, gluten] sont à la mode ».

Dès le titre nous est suggérée cette idée bien martelée par l’industrie agro-alimentaire qu’un régime d’éviction relève d’une passade collective aussi frivole que la mode du shorty ou celle du bracelet Rainbow Loom.

Pour comprendre cet étrange phénomène, la journaliste a donc convoqué le sociologue Claude Fischler, qui justement a une explication d’une clarté aveuglante (verres solaires conseillés).  Si une partie de la population se détourne du gluten ou du lait ce n’est pas parce qu’elle se trouve mieux en éliminant ou en réduisant ces aliments. Non (à partir de là, suivez bien !), « c’est parce que nos sociétés développées vivent un processus d'individualisation croissant vis-à-vis des règles portées par la famille, la profession, la religion » et parce que « les aliments sont transformés hors de notre vue ». Conclusion : « dans cet environnement, il s'agit de se réapproprier son alimentation en y mettant de l'ordre. Et cela commence par enlever des aliments. » Comprenne qui pourra à ce sabir certainement très profond, et qui, précisons-le, émane d’un très proche du Centre National Interprofessionnel de l'Economie Laitière.

La journaliste du Figaro soulève avec justesse la question du lactose, le sucre du lait, que 40% de la population ne digère pas. Mais rassure le Pr Jean-Louis Bresson dans ce journal, « cela ne signifie pas pour autant qu'un Français sur quatre est intolérant au lactose, car certaines personnes qui n'expriment pas la lactase boivent sans problème un bol de lait. (…) Elles peuvent même en boire plus, à condition de fragmenter leur prise. » Donc par un curieux phénomène de transmutation, appelons-le Bressonisation, le pourcentage de la population ayant un problème avec le lactose du lait passe de 40% à 25% puis à plus grand-chose. Ce phénomène se comprend peut-être mieux quand on sait que son auteur, présenté dans l’article comme pédiatre à l’hôpital Necker, a exercé les fonctions de conseil pour l’industrie laitière dont il reste proche.

Lire : Les intolérants au lactose peuvent-ils manger des yaourts ?

Dernier « spécialiste » convoqué par le Figaro, le Dr Jacques Fricker. Ce médecin, auquel on ne connaît pas de lien d’intérêt avec l’industrie agro-alimentaire, est spécialiste des régimes amaigrissants, mais pas du gluten, ni des produits laitiers. Que fait-il ici ? Mystère du carnet d'adresse des journalistes. Mais il dit avec raison (et bon sens) que «supprimer le blé de l'alimentation des adultes ne leur fait a priori courir aucun risque».

C’est après que ça se gâte, sans qu'on sache très bien si sont retranscrits les propos du Dr Fricker ou s'il s'agit de l'éclairage de la journaliste. On lit en effet que l’éviction du gluten « n'apporte aucun bénéfice à la santé, comme vient de le démontrer une étude australienne publiée dans le British Journal of Nutrition de juillet. »

Sauf que l’étude en question ne porte absolument pas sur l’éviction du gluten et ses conséquences (positives ou pas sur la santé) mais sur la qualité nutritionnelle des aliments industriels sans gluten, qui, nous l’avions déjà souligné sur LaNutrition.fr est souvent déplorable. Or on peut manger sans gluten (des fruits, des légumes, des patates douces, du taro...) sans en passer par ces aliments industriels douteux.

Et les travaux de Jean Seignalet, d'ailleurs partiellement confirmés aujourd'hui, montrent l'intérêt de l'alimentation hypotoxique dans plusieurs situations.

Lire : Seignalet avait raison : le gluten augmente la porosité intestinale

L'article du Figaro, en évitant les vrais sujets qui fâchent, ne devrait donc pas trop troubler les vacances des Juillettistes, entre pizza et crème glacée.

A découvrir également

Back to top