Le sucre est-il une drogue ?

Par Pierre Lombard Publié le 09/08/2016 Mis à jour le 16/01/2020
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Le sucre pourrait avoir des effets similaires à ceux des drogues chez les personnes qui en consomment beaucoup et les obèses. Mais les chercheurs sont divisés.

Pourquoi c'est important

Parce que la nourriture peut activer le centre du plaisir, comme le fait l’alcool ou la cocaïne, l'idée que le sucre pourrait être une drogue a fait son chemin. Une étude de 2008, devenue célèbre, avait même montré que les rats préferaient l'eau sucrée à la cocaïne. Cependant, d’après deux méta-analyses récentes (1, 2) le sucre ne serait pas rigoureusement comparable à une drogue car son potentiel “addictif” serait dû à son bon goût et non pas à ses effets neurochimiques en tant que tels (induisant un manque). D'après ces chercheurs, comme tous les autres aliments appétents, les aliments riches en sucre stimulent la libération de dopamine dans le cerveau, l'effet addictif ne serait donc pas spécifique au sucre.

Néanmoins, ce point de vue n’est pas partagé par tous les chercheurs à l'instar de Serge Ahmed (CNRS, Paris) pour qui le fructose peut avoir des effets similaires à ceux des drogues (3). Sans mentionner le fait que les drogues “dures” ne provoqueraient pas systématiquement des symptômes de manque et de sevrage, l’environnement psychologique ayant également une part très importante dans l’apparition des addictions (4). 

À lire : Sucre : les symptômes du sevrage

Ce que disent les études

Une étude publiée dans le journal Diabetes confirme que le débat autour du potentel addictif du sucre n’est pas terminé. Selon ses résultats, le glucose et le fructose, mais surtout ce dernier, auraient chez les obèses des effets semblables à ceux des drogues (5). Pour rappel, le saccharose, le sucre de table, est constitué d'une molécule de fructose et de glucose. Le fructose se trouve naturellement dans les fruits (d'où son nom) tandis que si le glucose libre est rare dans la nature, il est en revanche présent dans les produits transformés, souvent sous forme de sirop glucose-fructose, aussi appelé isoglucose.

Lire aussi :  Sucre : Petite histoire du sirop de glucose-fructose

Les chercheurs ont observé par IRM les effets sur le cerveau de 14 adolescents minces et 24 adolescents obèses de l’ingestion de glucose ou de fructose (pendant et après). Chez tous les adolescents, le fructose (constituant du sucre) stimulait l’activation du striatum ventral, encore appelé centre de la motivation. Cet effet n’a pas été observé avec le glucose. 

Chez les adolescents minces, le glucose et le fructose activaient le cortex préfontal, impliqué dans le contrôle de soi mais sans agir sur la partie du cerveau qui gère l’appétit, située dans l’hypothalamus. Dans le même temps, le taux de ghréline (hormone de la faim) diminuait rapidement. En revanche, chez les adolescents obèses, le glucose et le fructose inhibaient le cortex préfrontal, et augmentaient l’activité des centres du plaisir ou de la récompense. De plus, le taux de ghréline diminuait plus lentement, ce qui était associé à une activation du thalamus, hypothalamus, et de l'hippocampe. 

Ces résultats suggèrent que les adolescents obèses présentent des réactions métaboliques et cérébrales anormales après ingestion de glucose et de fructose. Selon les auteurs, ces réactions anormales seraient dues à leur sur-consommation chronique de glucose et de fructose.  Mais cette sensibilité au sucre est-elle due à l’obésité en tant que telle ou à la surconsommation de sucre ? 

En regardant les études, on s'aperçoit que beaucoup d'entre elles rapportent que la surconsommation de sucre est l'une des causes majeures de l’augmentation de l’obésité dans le monde, dont une étude récente faite dans 170 pays (6). Une étude publiée en 2016 (7) rapporte que la consommation régulière et abondante de sucre, provoquerait petit à petit une diminution des récepteurs à la dopamine de la même manière analogue à l'exposition aux drogues. Ce qui causerait ensuite des symptômes de manque ou encore une dépression. 

Dans une étude parue en octobre 2018, dans la revue Appetite, des chercheurs montrent que les boissons sucrées, en plus d’être nocives pour la santé, peuvent créer une dépendance. Or dans de nombreux pays, les boissons sucrées constituent la source la plus importante de sucres ajoutés dans l’alimentation.

25 jeunes âgés de 13 à 18 ans qui consommaient au moins 3 boissons sucrées par jour ont participé à cette étude. Les adolescents, tous en surpoids, avaient pour consigne de consommer leurs boissons sucrées habituelles pendant cinq jours puis d’arrêter pendant les 3 jours suivants.

Pendant la période d'abstinence, les adolescents ont rapporté plusieurs symptômes spécifiques de sevrage : notamment des maux de tête, des envies plus nombreuses de fumer, une diminution de la motivation à travailler, un manque de satisfaction et de capacité de concentration, de fortes envies de boissons sucrées et une baisse du bien-être général. 

L’omniprésence de ces boissons sucrées ainsi que la forte publicité faite auprès des jeunes pour ces produits pose donc un véritable problème de santé publique. Depuis les années 1950, la consommation de boissons sucrées a quintuplé chez les jeunes et l’adolescence est une période propice à la dépendance. Par ailleurs, c’est chez les jeunes que l’obésité a le plus augmenté.

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Cependant, s'il s'avère que le sucre a réellement un potentiel addictif, c'est aussi le cas de la junk food et les aliments très riches en goût (riches en composés de Maillard, en gras, en sel, en glutamate, etc.) et des boissons light.

Lire aussi : Les aliments sucrés et raffinés rendraient dépressif

L'avis de LaNutrition.fr

L’OMS conseille de ne pas consommer plus de 25 g de sucres libres par jour. C'est l'équivalent de la quantité de sucre contenue dans un verre de coca de 220 mL (25 g). En comparaison, les Français consomment près de 94 g de sucres totaux par jour en moyenne. La surconsommation de sucre aurait des effets néfastes sur la mémoire, le moral, le risque de diabète (foie gras), et indirectement, via le surpoids, sur certains cancers. La surconsommation de sucre apparaît donc néfaste.

Il est possible, même si cela doit être confirmé, que cette surconsommation créée une forme de dépendance au sucre, ce qui engendrerait un cercle vicieux conduisant à l'obésité. Ce point de vue, qui repose surtout sur des études chez l'animal, est défendu par des chercheurs américains dans un article récent qui apparente les effets du sucre à celui de la cocaïne, mais il est contesté par des chercheurs britanniques, pour qui le caractère addictif du cure n'est pas établi. "Sur la base de ses propriétés métaboliques et hédoniques, je pense que le sucre est addictif", dit le Dr Robert Lustig, chercheur à l'université de Californie, San Francisco, et auteur de "Sucre, l'amère vérité". Mais il ajoute que son potentiel addictif est "faible", semblable à celui de la nicotine, donc très différent de celui des drogues dures. Le débat est loin d'être clos.

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RÉFÉRENCES : 

(1) Westwater ML, Fletcher PC, Ziauddeen H. “Sugar addiction: the state of the science.” Eur J Nutr. 2016 Jul 2. 

(2) Benton D. “The plausibility of sugar addiction and its role in obesity and eating disorders.”Clin Nutr. 2010 Jun;29(3):288-303. doi: 10.1016/j.clnu.2009.12.001. Epub 2009 Dec 28.

(3) Ahmed SH, Guillem K, Vandaele Y. “Sugar addiction: pushing the drug-sugar analogy to the limit.”Curr Opin Clin Nutr Metab Care. 2013 Jul;16(4):434-9. doi: 10.1097/MCO.0b013e328361c8b8.

(4) https://www.ted.com/talks/johann_hari_everything_you_think_you_know_abou...

(5) Jastreboff AM, Sinha R, Arora J, et al. “Altered brain response to drinking glucose and fructose in obese adolescents. “Diabetes 2016;65:1929–1939.

(6) http://www.medicalnewstoday.com/articles/312080.php

(7) http://www.independent.co.uk/news/science/sugar-has-similar-effect-on-br...

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