On ne digère le lactose que depuis 3000 ans

Par Collectif LaNutrition.fr - Journalistes scientifiques et diététiciennes Publié le 24/10/2014 Mis à jour le 10/03/2017
Les Européens seraient restés intolérants au lactose 5000 ans après avoir adopté l’agriculture.

La tolérance au lactose qui permet à 25 à 30% des adultes de consommer du lait sans être indisposé serait bien plus récente que ce qu’on croyait : d’après l’analyse d’ADN issu d'individus vivant au néolithique, les anciens Européens seraient restés intolérants au lactose plusieurs milliers d' années après avoir commencé à élever du bétail.

Pour digérer le lactose, le sucre présent naturellement dans le lait des mammifères, l’organisme a besoin d’une enzyme : la lactase intestinale. Le gène codant pour la lactase est exprimé chez le nourrisson, mais après l'âge de 3-4 ans, son expression diminue fortement. La majorité de la population adulte de la planète n’exprime plus ou quasiment plus la lactase et ne peut donc plus digérer le lactose. Historiquement, cependant, des mutations génétiques ont permis la persistance de la lactase à l’âge adulte chez les descendants de peuples d'éleveurs (Caucase, nord de l'Europe).

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Dans cette étude parue en ligne dans Nature Communications, les chercheurs ont analysé l’ADN extrait des os pétreux du crâne de 13 individus dont les squelettes dataient de 5700 à 800 avant JC. Ceux-ci provenaient de sites archéologiques de la grande plaine hongroise, un lieu de transformations culturelles et technologiques pendant la préhistoire et site de rencontre entre les cultures européennes occidentales et orientales. L’agriculture a débuté dans cette région avec la culture Körös au néolithique (6000 à 5500 avant JC).

Les chercheurs ont constaté que l’os pétreux du crâne était particulièrement intéressant pour ces analyses génétiques. En effet, il s’agit d’un os dur et bien protégé. Il permettait de très bons rendements d’extraction d’ADN, entre 12 % et presque 90 % d’ADN humain, contre 0 % à 20 % avec les dents ou les os des côtes.

Les scientifiques ont donc recherché des marqueurs génétiques connus. Ils ont constaté tout d'abord que la pigmentation de la peau devenait de plus en plus claire au fil du temps, une adaptation rendue indispensable pour la synthèse de la vitamine D à cette latitude.

Ensuite, concernant la tolérance au lactose, ils ont été surpris de constater qu’il n’y avait pas de signe de persistance de la lactase au néolithique et que ces adultes semblaient intolérants au lactose. Pour  Ron Pinhasi, l’un des auteurs de ces travaux, chercheur à l'université de Dublin, « Ceci signifie que ces anciens européens auraient domestiqué les animaux comme les vaches, les chèvres et les moutons, mais qu’ils n’avaient pas encore développé de tolérance génétique pour boire de grandes quantités de lait de mammifères. »

D’après ces travaux, la persistance de la lactase serait donc apparue plus tard que ce qu’on croyait, plutôt vers l’Age de Bronze, vers 1000 avant JC. Ces Européens seraient donc restés intolérants au lactose environ 5000 ans après avoir adopté l’agriculture.

L'analyse de LaNutrition.fr : La règle dans l'espèce humaine est bien de ne plus tolérer le lactose après la petite enfance, car l'élevage n'apparaît que dans quelques foyers humains il y a dix mille ans, sur les 7 millions de l'histoire de l'humanité. En France, 40% de la population ne digère pas le lactose à l'âge adulte, surtout au sud de la Loire, dans les DOM et TOM, ainsi que les populations d'origine africaine et asiatique. L'intolérance au lactose se manifeste par des symptômes qui vont au-delà de la sphère digestive : migraines, difficultés de concentration, eczéma, douleurs articulaires, rhinites, sinusites... Une petite partie des intolérants peut cependant digérer une dizaine de grammes de lactose par jour (équivalent d'un verre de lait), mais la plupart ont des difficultés dès qu'ils absorbent 2 à 3 grammes. Le lactose n'est pas que dans le lait, il y en a dans les yaourts auxquels on a ajouté du lait en poudre, et dans des dizaines d'aliments transformés (charcuteries), médicaments, compléments alimentaires. L'intolérance au lactose se diagnostique par un test d'expiration d'hydrogène après avoir absorbé du lactose.

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Cristina Gamba, Eppie R. Jones, Matthew D. Teasdale, Russell L. McLaughlin, Gloria Gonzalez-Fortes, Valeria Mattiangeli, László Domboróczki, Ivett Kővári, Ildikó Pap, Alexandra Anders, Alasdair Whittle, János Dani, Pál Raczky, Thomas F. G. Higham, Michael Hofreiter, Daniel G. Bradley, Ron Pinhasi. Genome flux and stasis in a five millennium transect of European prehistory. Nat Commun. 2014 Oct 21;5:5257. doi: 10.1038/ncomms6257.

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