Franck Gigon : L'alimentation nous expose à des risques toxiques invisibles

Par Collectif LaNutrition.fr - Journalistes scientifiques et diététiciennes Publié le 09/12/2011 Mis à jour le 10/03/2017
Franck Gigon est médecin omnipraticien spécialiste en phytothérapie et en alimentation, santé et micro-nutrition. Dans son dernier ouvrage, Le Petit Dictionnaire Enervé des Aliments Toxiques, il pointe du doigt différents dangers posés par notre alimentation occidentale.

LaNutrition.fr : Pourquoi ce livre de la part d’un spécialiste des plantes ?

Dr Franck Gigon : Comme vous le savez, la phytothérapie commence dans l’assiette, car les végétaux alimentaires ont un impact sur la santé tout comme les plantes médicinales non alimentaires. On y retrouve d’ailleurs les mêmes principes actifs et les mêmes familles biochimiques. Je me suis donc tout naturellement intéressé aux plantes alimentaires, à leur composition et à leur qualité. À l’analyse, certaines contenaient des pesticides. À partir du fil des pesticides, j’ai été tenté de dérouler la pelote des autres toxicités rencontrées dans nos aliments. C’était comme ouvrir une petite boite de Pandore ! Avec de drôles de surprises à la clef pour le médecin de terrain que j’étais.

Quelles sont ces autres toxicités alimentaires ?

J’ai découvert que la toxicité alimentaire peut revêtir au final une multitude de formes et que celles-ci sont devenues malheureusement une constante de notre alimentation moderne.

Les plus connues et identifiables immédiatement sont les toxicités directes comme celle rencontrée avec les pesticides, et là les substances potentiellement dangereuses sont légion dans notre gamelle. Mais il existe aussi des toxicités moins connues, plus subtiles et pernicieuses comme celles provenant de la transformation de denrées (raffinage, ionisation, concentration.) qui affecte qualitativement le produit pour perturber parfois notre organisme. De même, il peut apparaître un risque pour la santé inhérent à la consommation excessive de certains aliments qui consommés avec modération n’en présentait pas. Cela représente ce que j’appellerai une toxicité indirecte. Cela concerne notamment la consommation de viande, et plus généralement des produits animaux, des poissons et de certains végétaux transformés.

Mais ces aliments et ces substances suspectes font l’objet d’une surveillance appropriée par les instances sanitaires et sont soumis à des recommandations officielles. Risque-t-on vraiment quelque chose ?

Le danger apparaît quand une substance ou une situation possède une capacité intrinsèque à provoquer un effet dommageable pour notre santé. Le risque, c’est une exposition à ce danger. Il faut donc un danger et une exposition à ce danger pour que le risque existe.

Première remarque, les substances toxiques dangereuses présentes dans notre alimentation peinent à être clairement identifiées, car l’industrie freine souvent des quatre fers pour leur enregistrement (cf programme REACH). Deuxième remarque, la dangerosité combinée de substances toxiques, appelée « effet cocktail » est rarement évaluée pour ne pas dire jamais. Quoi qu'il en soit, on comprend que cette évaluation reste très ardue. Troisième remarque, les toxicologues sont chargés de penser et d’édicter pour certains toxiques des doses journalières admissibles (DJA). C’est très louable et nécessaire pour des substances inévitables comme les PCB qui polluent durablement nos écosystèmes, mais cela devient discutable pour des additifs de synthèse dont on pourrait se passer, comme pour certains mis sur la sellette tels l’aspartame.

Que penser aussi du taux de résidus de pesticides dans les fruits et légumes (LMR) dont le seuil varie, en général à la hausse, en fonction non pas de critère de santé, mais de réunions européennes rassemblant des organisations agroalimentaires et certains de nos eurodéputés ?

Il est bien établi que nous sommes exposés de façon chronique à des facteurs et des situations potentiellement dangereuses par voie alimentaire. Il existe donc des risques sanitaires alimentaires de niveaux variables qui sont tous insidieux, car tous silencieux dans leur présentation. Les pesticides et les phtalates sont inodores, incolores, sans goût, par exemple, et vous en absorbez quotidiennement sans vous en rendre compte. Le risque toxique dépendra alors de votre durée d’exposition, de votre âge, de votre état de santé… etc. et d’une foule d’autres paramètres.

À partir de là, je dis simplement qu’on peut soit faire confiance au contrôle officiel qui norme et surveille vos aliments en la matière et s’en contenter, soit d’adopter à titre personnel ou pour sa famille des techniques d’évitement à ces expositions. L’idée étant que le risque zéro n’existe jamais en la matière, mais que l’on peut réduire considérablement la charge toxique alimentaire par des choix judicieux avec un minimum de conseil. Point de catastrophisme, juste de l’information et du bon sens concentré dans un petit dictionnaire.

Quelles substances de notre alimentation sont particulièrement préoccupantes ?

Parlons par exemple de l’acrylamide, découvert par des chercheurs suédois en 2002. Ce produit formé lors de la haute cuisson et retrouvé notamment sur les frites et les chips présente un danger reconnu avec un risque sanitaire insuffisamment pris en considération de mon point de vue. N’oublions pas que nos chères têtes blondes raffolent de ces préparations et que l’enfance reste la période de notre vie la plus sensible aux différents toxiques. Des corrections technologiques ont certes été demandées aux industriels pour limiter l’apparition de l’acrylamide, mais il n’existe pas à l’heure actuelle de recommandation spécifique pour les produits alimentaires les concentrant. Pour ces produits néo-formés comme on les appelle, les instances sanitaires en place font bien sûr ce qu’elles peuvent avec leurs moyens, mais qui sont assez limités au regard de l’ampleur du contrôle à exercer.

Que préconisez-vous de faire à l’échelle individuelle ?

Pour l’acrylamide, on peut simplement imposer à nos enfants de manger moins de frites, de chips et de gâteaux industriels tous portés à haute température.

On devrait aussi, par exemple, se débarrasser de nos vieilles poêles en téflon pour les remplacer par des récipients en verre ou en grès. On éviterait ainsi la migration de composés perfluorés dans les aliments cuisinés. Simple et efficace immédiatement !

Vous voyez qu’avec de petites adaptations dans la vie de tous les jours, on peut diminuer la charge toxique d’origine alimentaire. Le livre en propose plusieurs autres.

Comment analysez-vous les récents évènements sur les germes tueurs en Allemagne et en France ? Pensez-vous que le risque infectieux est sous contrôle ?

Le germe incriminé dans ces histoires tragiques était un Escherichia coli retrouvé successivement sur des concombres, puis sur des graines germées. Or cette jolie entérobactérie ne se développe que dans le tube digestif de mammifère. Contrairement à ces petites sœurs non pathogènes, cette bactérie était multi-résistante aux antibiotiques. Donc celle-ci avait été hébergée et s’était développée dans un intestin de mammifère soumis à différents traitements antibiotiques et cela de façon répété. Sachant qu’une telle bactérie ne peut apparaître ex-nihilo sur des végétaux, elle a donc bien été véhiculée jusque-là. L’hypothèse la plus probable étant que l’engrais naturel ou que l’eau ayant servi à traiter les végétaux, provenait d’un élevage intensif d’ovin ou de bovin. Milieux connus pour pratiquer un mésusage des antibiotiques à l’excès pour des raisons de rentabilité. Disons naïvement que l’enquête bactériologique n’a pas été jusqu’au bout de son déroulement, et que le mécanisme responsable de l’émergence de cette bactérie monstrueuse n’a pas été remis en question. C’est ce qui est développé au chapitre « Microbes alimentaires ».

Vous adoptez une position originale sur la consommation de poisson et de viandes dans nos sociétés modernes, en marge des recommandations officielles.

Il existe un constat scientifique qui émerge maintenant clairement, pour peu que l’on s’intéresse aux résultats des études sur l’alimentation et aux propriétés des nutriments.

Même si la consommation de viande diminue en France depuis une dizaine d’années, nous en mangeons encore trop. Ce qu’il faut retenir, c’est que de nombreuses études épidémiologiques de premier plan convergent dans leurs résultats pour nous signifier qu’il est meilleur pour la santé d’en faire une consommation modérée ou d’être en mode végétarien. Rappelons simplement que depuis la nuit des temps et jusqu’avant la seconde guerre mondiale, nos anciens et nos ancêtres faisaient uniquement une consommation hebdomadaire de viande en moyenne. Il convient également dans une nutrition moderne et sensée de remettre à plat le dogme de la supériorité de la protéine animale sur la protéine végétale. Cette conception occidentale même si elle est en partie vraie, a fait beaucoup plus de mal que de bien pour notre santé, en promouvant excessivement les produits animaux dans les recommandations nutritionnelles officielles.

En ce qui concerne les poissons, nous avons un double dilemme de nos jours. Ceux qui sont riches en oméga-3, les acides gras bienfaiteurs, sont les poissons qui concentrent le plus de métaux lourds et de résidus de l’industrie pétrochimique. De plus, en Occident nous consommons le poisson essentiellement cuit, ce qui détruit et oxyde considérablement les acides gras polyinsaturés que sont les oméga-3. Ajoutons que si tout le monde devait en manger deux fois par semaine comme cela est préconisé, les réserves halieutiques seraient rapidement épuisées à l’horizon 2050 !

C’est un plaidoyer pour l’alimentation végétarienne ?

Je n’étais pas végétarien à l’origine. Et pour ne rien vous cacher, je le suis devenu justement à la lumière des études sur les relations entre l’alimentation et la santé que j’analyse depuis maintenant une dizaine d’années. Plus exactement avec le temps je suis passé de l’état de « viandard » au végétarisme strict, jusqu’à adopter il y a peu le statut de semi-végétarien ou de végétarien à temps partiel comme on l’appelle parfois. Je ne me refuse donc pas un plat de viande ou de poisson occasionnellement, mais ma base alimentaire reste végétale et la moins transformée possible. La diète méditerranéenne dont les bénéfices en matière de santé sont remarquables, en est une parfaite illustration. C’est ni plus ni moins ce mode alimentaire que je préconise majoritairement à mes patients. Mes récentes convictions scientifiques sur le sujet ont été soutenues dans un deuxième temps par la prise de conscience de la lourde empreinte écologique de notre alimentation moderne, et de la déconsidération habituelle du bien-être de nos animaux de bouche. Le productivisme alimentaire, relativement récent sur l’échelle de l’histoire de l’humanité, est bien entendu le principal responsable de la déstructuration de nos modes alimentaires ancestraux, de la contamination de nos aliments et de la surconsommation d’animaux élevés dans des conditions déplorables.

Quelles seraient trois mesures indispensables que vous prendriez si vous en aviez le pouvoir, pour diminuer cette alimentation toxique ?

En premier lieu, je promulguerais instantanément comme référence nationale alimentaire une diète méditerranéenne de qualité biologique. Sa pyramide alimentaire semi-végétarienne combine les effets du « french paradox »  et les vertus des aliments végétaux non transformés à faible index glycémique.

En deuxième lieu, j’établirais un véritable plan REACH pour les toutes les substances non naturelles présentes dans les aliments : additifs, polluants, biocides, pesticides, produits néoformés… Cette stratégie d’identification et d’évaluation des produits de synthèse permettrait de minimiser dans notre alimentation la charge des toxiques non évitables… et surtout d’interdire définitivement les substances dangereuses évitables qui n’ont plus rien à faire dans notre assiette au lieu d’en établir des doses admissibles pour des choses qui ne le sont pas !

Enfin, j’obligerais les industriels de l’agroalimentaire à réduire drastiquement les produits alimentaires contenant trop de sel et de sucres raffinés. À ce titre, l’index glycémique (IG) serait d’affichage systématique comme en Australie pour les produits contenant des glucides. Dans le même ordre des choses, la mention « nano » serait exigée en cas de présence de nanoparticules dans le produit alimentaire, ce qui n’est pas le cas actuellement.

Et si vous me le permettez encore, tant qu’on est dans ce monde merveilleux, j’engagerais une réforme agricole totale pour en finir rapidement avec l’agriculture et l’élevage intensifs.

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