Préservation d’organes : un rein repart après avoir été congelé

Par Collectif LaNutrition.fr - Journalistes scientifiques et diététiciennes Publié le 09/02/2010 Mis à jour le 17/02/2017
Des chercheurs américains viennent de transplanter avec succès un rein de lapin préalablement cryopréservés à -130 °C.Une étape importante dans le domaine de la cryobiologie.Un pas vers la préservation d’un cerveau entier.

Prenez un rein de lapin. Congelez-le à -130°C. Décongelez doucement. Transplantez ensuite ce rein à un lapin qui en est dépourvu. Vérifier si le lapin se porte bien. Si c’est le cas, c’est que ce rein fonctionne.

Cette transplantation réussie d’un organe préalablement cryopréservé, c’est l’exploit réalisé par Gregory Fahy et son équipe du centre de recherche 21st Century Medicine, des scientifiques à la pointe de la recherche en cryobiologie. Une percée historique que les auteurs racontent dans la revue spécialisée Organogenesis (1). « C'est une avancée importante pour la cryobiologie car ces travaux laissent espérer qu'on pourra un jour appliquer ce protocole à des organes humains », explique Pierre Boutron, chercheur spécialisé en cryobiologie (lire son interview) et auteur du livre Arrêtons de vieillir.


De -45°c à -130°C

Déjà en 2004, Gegory Fahy et son compatriote Brian Wowk avaient franchi un pas important en refroidissant des reins de lapin à -45°C avant de les ramener à température ambiante et de les réimplanter dans des animaux auxquels l’autre rein avait été enlevé (2). Totalement dépendants, pour leur survie, du rein réimplanté, les lapins avaient survécu à la transplantation. Un résultat jugé alors « impressionnant » par le Pr David Pegg (université de York, Royaume-Uni), lui-même chercheur renommé et rédacteur-en-chef du journal qui a publié cette étude. « Jamais on n’était descendu à une température aussi basse », se réjouissait Grégory Fahy à l’époque.

Réjouissant, mais pas suffisant. « Il va falloir descendre beaucoup plus bas, si l’on veut préserver réellement des organes sans dommages » avait tempéré Françoise Arnaud, une ancienne du CNRS passée au Centre de recherche médicale de la Marine américaine (Silver Springs). Jusqu’à quelle température ? « Personne ne le sait réellement, répondait David Pegg. Mais personnellement je pense qu’il faut passer sous les -100°C, voire -120°C pour avoir une chance de conserver des organes au-delà de quelques jours. » Objectif atteint par Grégory Fahy.

Qu'est-ce qui a changé entre l'expérience de 2004 et celle de 2009 ? Qu’est-ce qui a permis de descendre encore plus bas en température sans qu’il y ait de dommage ? « Le protocole utilisé est globalement le même, explique Pierre Boutron, chercheur spécialisé en cryobiologie, ce sont des changements très subtils qui ont été opérés. » Les chercheurs ont notamment réussi à adapter la solution de cryoconservateurs utilisée pour éviter la formation de glace qui endommage l'organe (lire notre article sur les cryoconservateurs). Ces sont des changements minimes mais d'une importance majeure car la solution doit être très concentrée pour être efficace mais les produits utilisés ne doivent pas être toxiques pour l'organe, c'est un pari difficile qui vient d’être réussi.


Des reins et des cerveaux

Cette réussite est le fruit d’années de travail pour Gregory Fahy et ses collaborateurs qui sont une des seules équipes de chercheurs au monde à travailler sur la cryopréservation d'organes. En avril 2006, ils avaient réussi à refroidir sans dommage des tranches d’une structure de cerveau de rat, l’hippocampe, en leur conservant sa viabilité (3). C’était la première preuve que des réseaux de neurones complexes et organisés peuvent être préservés par la vitrification (lire notre article sur la vitrification), à des températures inférieures à -20° C. « Ces résultats, indiquait alors Gregory Fahy, ouvrent des perspectives pour la transplantation de régions cérébrales après une maladie ou une blessure. »


Congeler des cerveaux entiers

Très tôt les chercheurs en cryobiologie ont manifesté un intérêt pour le cerveau. Dans une série d’expériences surprenantes réalisées dans les années 1960, Isamu Suda, un chercheur de l’université de Kobe, Suda voulait savoir si le cerveau d’un mammifère conservait ses fonctions après avoir été congelé. Pour cela, il anesthésia des chats, les refroidit lentement, leur ôta le cerveau qu’il perfusa avec une solution de glycérol de sorte que le cryoprotecteur (lire notre article sur les cryoprotecteurs) diffuse dans chaque neurone. Puis il congela le cerveau à – 20° C. Un mois et demi plus tard, il réchauffa les cerveaux du chat, fit circuler du sang artificiel et lui brancha un électroencéphalographe. Les résultats sont proprement stupéfiants, puisque l’appareil mit en évidence des ondes cérébrales ! Il répéta ces expériences à plusieurs reprises, conservant les cerveaux jusqu’à 7 ans. Là encore, l’appareil rapporta la trace d’ondes cérébrales.

« Il semblerait que la cryopréservation du système nerveux présente moins d'obstacles que la cryopréservation d'organes entiers », précise Pierre Boutron. Les expériences de Suda n’ont pas été reproduites. La dernière, qui portait sur un cerveau congelé à -90°C n’a jamais vu le jour dans un journal scientifique. Elle est la propriété de Gregory Fahy, qui relève les obstacles rencontrés par Suda avec des cryoprotecteurs conventionnels. En fait, celui-ci aurait mis en évidence l’activité électrique de cellules isolées : « les connections entre cellules avaient été perdues, il y avait des fissures dans le cerveau, provoquées par des cristaux de glace. » On est loin de la préservation sans dégâts de réseaux complexes de neurones. Pour y parvenir, il faut, comme c’est le cas pour les reins de lapin, réussir à vitrifier un cerveau, ce vers quoi un grand pas vient d’être fait par Grégory Fahy.

 

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Références

(1) Fahy GM, Wowk B, Pagotan R, Chang A, Phan J, Thomson B, Phan L. Physical and biological aspects of renal vitrification.Organogenesis. 2009 Jul;5(3):167-75.

(2) Fahy GM, Wowk B, Wu J, Phan J, Rasch C, Chang A, Zendejas E. Cryopreservation of organs by vitrification: perspectives and recent advances. Cryobiology. 2004 Apr;48(2):157-78.

(3) Pichugin Y, Fahy GM, Morin R. Cryopreservation of rat hippocampal slices by vitrification. Cryobiology. 2006 Apr;52(2):228-40. Epub 2006 Jan 5.

(4) Suda I, Kito K, Adachi C. Viability of long term frozen cat brain in vitro. Nature. 1966 Oct 15;212(5059):268-70.

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