Affaire Landis : comment on détecte un dopage à la testostérone

Par Collectif LaNutrition.fr - Journalistes scientifiques et diététiciennes Publié le 27/07/2006 Mis à jour le 06/02/2017
 A la suite de l'affaire landis, LaNutrition.fr fait le point sur les méthodes de détection du dopage à la testostérone et tente de comprendre pourquoi un athlète peut être tenté de recourir ponctuellement à cette hormone, d'ordinaire utilisée au long cours.

L'équipe Phonak a annoncé le 27 juillet que John Landis, le vainqueur du Tour de France 2006, avait subi un contrôle positif à la testostérone.

Même si les taux de testostérone sont trop souvent bas chez les athlètes de haut niveau (au point de menacer, pour certains, la santé à long terme), il leur est interdit de les corriger, et à plus forte raison de les booster en prenant des suppléments de testostérone. La testostérone est intéressante pour un athlète car non seulement elle augmente la masse musculaire, mais elle sert aussi l’endurance, en stimulant la production de globules rouges. Elle est moins utilisée que l’hormone de croissance, parce que celle-ci n’est toujours pas recherchée par les laboratoires antidopage, alors qu’ils disposent de moyens d’analyse pour la testostérone. Pour savoir si un athlète a pris cette hormone, les laboratoires anti-dopage mesurent dans l’urine le rapport entre la testostérone (T) et sa cousine, l’épitestostérone (E). cette dernière est une hormone mal connue, très proche de la testostérone (à la différence d’un groupe hydroxyle sur le carbone 17), produite par les testicules et très certainement par les ovaires et les surrénales, qui servirait de régulateur de la croissance de la prostate ou de la pousse des cheveux et des poils.

Le raisonnement est le suivant : statistiquement, chez un homme, le ratio T/E est inférieur à 4, qui est le seuil retenu par les instances anti-dopage (jusqu'à une date récente, le seuil était de 6). En cas de prise de testostérone, ce ratio augmente fortement, ce qui est considéré comme une preuve indirecte de dopage. Le ratio augmente car non seulement la testostérone exogène n’est pas transformée en épitestostérone, mais elle fait baisser sa production naturelle. Pour Landis, le ratio était de 11.

Confirmation par l'IRMS

Mais les choses ne sont pas aussi simples. Des cas ont été décrits, au cours desquels le ratio naturel était supérieur à 6. Par exemple, dans une étude sur 197 athlètes universitaires (1), la majorité (195) avaient un ratio moyen de 1 ,33 :1, mais deux athlètes avaient un taux élevé (9 :1 et 12 :1). On peut considérer que le test est fiable à 98%, et même à 100%, si l’on suppose que les deux participants en question avaient en réalité dissimulé aux auteurs de l’étude qu’ils prenaient de la testostérone. Malgré tout, on ne peut pas exclure que certaines personnes affichent des taux naturellement élevés (cela concernerait moins d’un pour cent de la population). Pour compliquer les choses, il faut savoir qu’un athlète dopé peut artificiellement faire baisser un ratio testostérone/épitestostérone défavorable en prenant de… l’épitestostérone. Celle-ci n’a pas d’effet biologique, mais une action masquante. Un taux d’épitestostérone supérieur à 200 ng/mL est un signe de tricherie.

Les instances internationales (l’Agence mondiale anti-dopage, ou WADA) prévoient en cas de ratio T/E élevé deux approches pour savoir si l’athlète produit naturellement un excès de testostérone où s’il a eu recours à une bonne pharmacie.

Premièrement, on cherche à connaître le ratio naturel de l’athlète, en analysant trois échantillons d’urine (collectés dans le passé ou à la suite du test positif). Si les résultats de ces analyses varient de moins de 30% chez l’homme, de moins de 60% chez la femme, le ratio T/E est chez l’athlète naturellement élevé. Reste à savoir pourquoi, ce qui peut conduire à des analyses plus poussées pour rechercher un déséquilibre hormonal ou une maladie.

La deuxième approche consiste à tirer parti des différences qui existent entre la testostérone naturelle et la testostérone de synthèse obtenue à partir de stérols végétaux. La testostérone naturelle contient plus de carbone 13 (13C), l’un des trois isotopes du carbone (six protons, sept neutrons), que la testostérone semi-synthétique, qui elle, est plus riche en carbone 12 (C12 : six protons, six neutrons). La quantité de chacun de ces isotopes est mesurée par une méthode appelée Isotope Ratio Mass Spectrometry (IRMS). Les composés sont d’abord séparés par chromatographie en phase gazeuse, puis la spectrométrie de masse sert à déterminer les rapports d’isotopes des fractions analysées ; le ratio 13C/12C de l’échantillon suspect est comparé à un standard correspondant à la testostérone endogène. Un ratio plus bas que le standard signe la prise de testostérone semi-synthétique. Dans le cas de Landis, l'IRMS était également positif.

Testostérone mode d'emploi

S’il s’avère que Floyd Landis a sciemment pris de la testostérone, la question est de savoir pourquoi il l'a apparemment fait de manière ponctuelle, le 19 juillet après sa contre-performance de La Toussuire. La testostérone est un vieux dopant des années 1970, toujours utilisé aujourd’hui, mais au long cours, en période d’entraînement, quand le risque d’un contrôle est faible et que les effets anabolisants peuvent se cumuler. Rarement de manière ponctuelle comme semble l’avoir fait Landis. De plus, sa détection est facile. En 1997, la championne américaine de fond, Mary Decker a été suspendue pendant deux ans pour un ratio T/E trop élevé. Le sprinter américain Dennis Mitchell s’est fait pincer un an plus tard pour la même raison. Selon lui, c’était l’abus d’alcool et de rapports sexuels expliquaient un tel ratio. Le 29 juillet 2006, le sprinter Justin Gatlin, champion olympique et co-recordman du monde du 100 m avouait que l’Agence anti-dopage lui avait signifié un contrôle positif à la testostérone (et peut-être d’autres substances). Gatlin, déjà contrôlé positif en 2001 pourrait être suspendu à vie.

Chez les cyclistes bien sûr la testostérone a ses partisans. En juin, Sascha Urweider, coéquipier de Landis chez Phonak a été suspendu pour deux ans : on avait retrouvé de la testostérone en février dans un échantillon de ses urines. Résident en Espagne, Landis était peut-être informé des méthodes des médecins espagnols spécialistes du dopage, qui prescrivent parfois la testostérone en « coup de poing » pour accélérer la récupération, à la manière des haltérophiles. A la suite du contrôle positif de Landis, l’ancien coureur cycliste espagnol Jesus Manzano a expliqué dans le journal sportif AS qu’on lui avait donné de la testsotérone quand il courait pour l’équipe Kelme et que ses effets étaient ressentis « immédiatement. » Selon lui, « la testostérone vous donne beaucoup de force, et une sensation d’euphorie. » Voire. Mais le risque d'être contrôlé positif restait considérable, sur une épreuve comme le Tour de France. Seul Landis peut réellement expliquer ce qui s'est passé.

(1) Meldrum R : Drug use by college athletes;is random testing an effective deterrent ? The Sport Journal 2002, 5(1).

 

 

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