Peut-on encore manger de la viande rouge ?

Par Collectif LaNutrition.fr - Journalistes scientifiques et diététiciennes Publié le 05/04/2012 Mis à jour le 10/03/2017
Actualité
Les récentes études sur les effets de la viande rouge sur la santé suscitent de nombreuses réactions.LaNutrition.fr a examiné les arguments des uns et des autres et tente un début de réponse : peut-on encore manger de la viande rouge ?

Une récente étude menée par les chercheurs de la prestigieuse école de nutrition de Harvard incrimine sérieusement la viande rouge et la charcuterie. Les résultats, relayés sur notre site, ont mis en évidence que chaque portion quotidienne de viande rouge est associée à un risque de mortalité augmenté de 13% et chaque portion quotidienne de charcuterie est associée à un risque de mortalité augmenté de 20%.

Des résultats qui ont soulevé des réactions en particulier aux Etats-Unis, pays gros consommateur de viande rouge. Des critiques de cette étude ont été faites sur son site par le journaliste Gary Taubes, auteur de Pourquoi on grossit dans lequel il défend un régime pauvre en glucides. Les tenants du régime paléolithique comme Mark Sisson (auteur du livre Le modèle Paléo, EXTRAIT ICI >>) a lui aussi attaqué les conclusions de l'étude sur son site. En France ces critiques américaines sont reprises sur certains sites de diététique et certains forums. Voici les points qui sont reprochés à cette étude par les contestataires :

"Il s'agit d'une étude d'observation qui montre une relation mais pas un lien de causalité"

Une étude d'observation n'est certes pas une étude d'intervention. En théorie, donc, elle établit une association mais ne permet pas de détecter un lien de cause à effet (consommation de viande entraîne effets sur la santé). Voici ce qu'en dit Walter Willet, directeur de nutrition à l'école de Harvard : "En principe l'étude idéale aurait pris 100 000 personnes et les auraient assignées de manière aléatoire à manger quotidiennement plusieurs portions de viande rouge ou aucune portion puis auraient été suivis pendant plusieurs dizaines d'années. Mais une telle étude, même si des moyens financiers illimités pour la réaliser étaient présents, est impossible à réaliser. La grande majorité des gens n'accepteraient pas de suivre une alimentation fixée pendant des dizaines d'années, en particulier s'ils vivent dans un environnement où les gens autour mangent autre chose."

En pratique, beaucoup de gens qui se livrent à des commentaires font l'erreur systématique de croire que seule les études d'intervention peuvent établir un lien de causalité. Le message de Walter Willett c'est qu'en nutrition, la notion de preuve peut ne pas être amenée de la même manière que pour les médicaments. Il ne faut donc pas rejeter les études d'observation de ce type qui sont au contraire d'une grande valeur et peuvent être conduites là où il est impossible de mener une étude d'intervention. Dans de nombreux cas, lorsqu'elles sont bien menées, elles donnent des résultats aussi fiables et convergents que les études d'intervention et elles peuvent même sous certaines conditions être acceptées au même niveau de preuve que les études d'intervention. Dans l'étude de Harvard le degré de preuve est plutôt élevé.

"Les questionnaires alimentaires auxquels ont dû répondre les participants étaient peu précis"

Comme toujours dans ce type d'études de longue durée les questionnaires posent des problèmes. Les participants ont tendance à perdre en motivation au fil du temps pour les remplir et de plus ils ont tendance à noter certains aliments à une fréquence inférieure à la réalité (les aliments qui ont une connotation négative vis-à-vis de la santé) et d'autres à une fréquence supérieure (les aliments qui ont une connotation positive vis-à-vis de la santé). Si ce biais entache les résultats de cette étude, alors il signifierait que les problèmes de santé liés aux viandes rouges sont en fait sous-estimés. Il ne s'agit donc pas vraiment d'une critique pouvant abîmer la crédibilité du résultat.

"Le questionnaire considère que la viande des hamburgers est de la viande rouge"

Dans leur étude les auteurs ont considéré deux types de viandes : les viandes rouges et les charcuteries. Les hamburgers ont été classés dans la partie "viandes rouges" car ne pouvant être considérées comme des charcuteries. Mais la viande des hamburgers peut contenir de nombreux additifs et des graisses qui pourraient avoir un impact négatif sur la santé, faussant alors les résultats. Il s'agit ici d'un véritable argument. Le problème c'est que si on changeait la viande des hamburgers de catégorie, on aurait également un résultat faussé puisqu'il ne s'agit pas réellement de charcuteries. Le parti pris des auteurs était donc le moins mauvais.

"Ceux qui mangent le plus de viandes rouges sont ceux qui fument le plus"

L'analyse des différents groupes (classés en fonction de leur consommation de viande rouge) révèle en effet que ceux qui mangent le plus de viande rouge sont aussi ceux qui fument le plus et qui font le moins d'activité physique. Des éléments qui pourraient fausser les résultats de l'étude. Cependant l'étude détaille clairement que les associations entre la viande rouge et la mortalité sont corrigées pour le poids, l'activité physique ou la consommation de cigarettes. Autrement dit, un modèle mathématique module le risque retrouvé pour la viande rouge en tenant compte du risque associé à la tabagie et au manque d'exercice. Ce système n'est bien sûr pas parfait mais permet généralement de bonnes approximations de la réalité. La critique est donc valable, mais les chercheurs l'ont prise en compte au moins pour une bonne partie.

"Les apports caloriques rapportés par les participants sont incohérents"

Cet argument se rapproche du précédent. En effet, les participants à l'étude ont rapporté une consommation calorique particulièrement faible, éloignée d'une possible réalité compte tenu de leur poids et de leur indice de masse corporelle (IMC) : autour de 1600 kcal par jour pour les hommes et 1200 pour les femmes. Ce biais pourrait poser un réel problème mais là encore les chercheurs ont utilisé un algorithme d'ajustement pour minimiser l'écart avec la réalité.

Les autres facteurs confondants qui ont été retenus comme pouvant fausser les résultats et éliminer à l'aide des algorithmes sont les apports en céréales complètes, en fruits et légumes, le poids, l'IMC, l'ethnicité, la consommation d'alcool, le sexe, l'activité physique, l'utilisation de compléments alimentaires multivitamines, l'utilisation de médicaments comme l'aspirine.
Pour parfaire encore les choses les chercheurs ont exclu de l'étude les personnes dont le régime alimentaire avait été trop modifié au cours de l'étude. Et pour enfoncer le clou ils ont passé leurs résultats à l'épreuve en examinant l'impact sur ces conclusions de différents facteurs, eux aussi potentiellement confondants : la consommation de poissons, de volailles, d'oléagineux, de légumineuses, de produits laitiers, l'apport en fibres, en magnésium, l'index glycémique, l'apport en acides gras oméga-3, l'apport en acides gras trans. Toutes ces manipulations n'ont pas suffi à faire disparaitre le lien entre la consommation de viandes rouges et la mortalité, que les chercheurs qualifient de "robuste".

"L'étude ne parle pas de viandes issues d'une agriculture biologique ou d'animaux nourris à l'herbe."

La réponse de Walter Willet : "Nous avons observé l'impact de la viande rouge telle qu'elle est consommée aux Etats-Unis. Il s'agit principalement de viande issue d'animaux nourris aux céréales (comme en France, ndlr). Je pense qu'il n'y a pas assez de personnes qui consomment de viande issue d'animaux nourris au foin et à l'herbe pour pouvoir observer l'impact de cette consommation sur la santé.
Il y a des différences entre les deux. Il y a plus d'oméga-3 dans la viande des animaux nourris au foin et à l'herbe mais si le consommateur obtient déjà suffisamment d'oméga-3 dans son alimentation par ailleurs (par exemple en mangeant du poisson gras dans la semaine), cela ne fera probablement pas une grande différence. L'apport total en graisses sera aussi probablement différent, plus faible. Mais nous ne voyons pas vraiment les graisses en elles-mêmes en relation avec le risque de maladies cardiovasculaires ou de cancer. Quant au cholestérol, il se retrouve plutôt dans les parties maigres de la viande, il n'y aura donc probablement pas moins de cholestérol dans ce type de viande.
Je pense qu'il serait très intéressant d'étudier l'impact de ce type de viandes sur la santé mais en attendant, les connaissances actuelles laissent raisonnablement penser qu'il n'y aurait pas de véritable différence avec ce que nous voyons ici
."

L'avis de LaNutrition.fr : L'étude des chercheurs de Harvard est correctement menée. Elle a été publiée dans une revue médicale sérieuse à comité de lecture. Les résultats sont forts car ils ont été tirés à partir d'un très grand nombre de participants (173 229 personnes) qui ont rempli des questionnaires régulièrement. Les participants à l'étude sont tous des professionnels de santé, ce qui éliminait d'office un biais de sélection sur la différence de niveau d'éducation ou l'accès aux soins en cas de problèmes de santé. Mais plus important que tout, les chercheurs expliquent très clairement en conclusion que l'étude comporte des défauts, inhérents à la méthode (une étude prospective) et qui sont en partie ceux précédemment exposés : le classement du type de viande pour les produits industriels (ni vraiment "charcuteries", ni vraiment "viande rouge") ou le bon remplissage des questionnaires. Mais ils expliquent que les résultats sont fortement confortés car ils résistent à toutes les attaques statistiques de facteurs confondants imaginés. Par ailleurs, de nombreuses études avant celles-ci ont donné des résultats similaires, et on est capable de décrire des modèles biologiques qui peuvent les expliquer. Cela signifie-t-il qu'il faut arrêter de manger de la viande et de la charcuterie ? Certes pas, sauf si l'on se sent végétarien ou qu'on est sensible aux questions éthiques qui concernent l'élevage actuel. Mais on peut certainement diminuer la quantité que l'on consomme (comme le conseille le World Cancer Research Institute) et compenser avec des protéines végétales, choisir des filières et des modes de production respectueux du bien-être animal et de l'environnement, privilégier les modes de préparation hypotoxiques (cuissons douces, pas de parties carbonisées), faire pression sur les producteurs pour qu'ils abandonnent certaines pratiques (sel nitrité dans les charcuteries, ajout de glucose et saccharose aux jambons), éventuellement élever soi-même ses propres animaux... 
LaNutrition.fr conseille donc toujours de suivre les recommandations de sa pyramide alimentaire et vous pouvez consulter plus en détail les articles "La meilleure façon de manger de la viande" et "La meilleure façon de manger des charcuteries".

 

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