Un chercheur appelle à une révolution nutritionnelle du pain

Par Elvire Nérin - Journaliste scientifique et auteure Publié le 09/05/2022 Mis à jour le 09/05/2022
Point de vue

Dans un nouveau livre, Christian Rémésy propose de redonner au pain la place qu'il n'aurait jamais dû perdre. Mais un vrai pain, bien différent de la baguette. Un pain proche de celui consommé par nos ancêtres.

Ex-directeur de recherches à l'INRA de Clermont-Ferrand, Christan Rémésy se définit comme nutritionniste et paysan. Il a longtemps milité pour une amélioration de la qualité nutritionnelle des végétaux, dont le pain. Il publie Sauvons le pain, à la fois un document et un guide qui plaide pour que le pain retrouve sa place d'aliment de base dans notre alimentation, mais un pain de meilleure qualité nutritionnelle que la plupart de ceux consommés en France. Ce serait, démontre-t-il, tout bénéfice pour la santé et la biodiversité. Le livre propose plusieurs recettes de pain optimisées.

LaNutrtion.fr : Pourquoi avoir écrit ce livre sur le pain ?

Christian Rémésy : J’ai eu un parcours atypique en tant que nutritionniste parce que j’ai focalisé mes recherches à l'INRA sur le rôle des produits végétaux dans le maintien de la santé. Dans un premier temps,  je me suis intéressé aux effets digestifs et métaboliques des fibres alimentaires, avant de me consacrer plus directement à l’intérêt nutritionnel des fruits et légumes, à la fois riches en fibres alimentaires et en micronutriments protecteurs.

A la fin de ma carrière scientifique, j’avais fait le constat que l’offre  majoritaire de pain blanc n’était pas satisfaisante pour satisfaire les besoins nutritionnels humains. Il fallait améliorer la valeur nutritionnelle du pain, changer le type de farine, les modes de panification, mieux utiliser le levain et inclure dans le pain une grande diversité de graines. Mais un tel changement de paradigme ne pouvait se faire en un jour et il m’a fallu une vingtaine d’années pour sensibiliser et préparer la boulangerie à ce sursaut  nutritionnel. J’ai pu observer ces dernières années que l’offre de pain commençait à  se diversifier et que les esprits étaient davantage prêts à accepter un grand retour du levain et des graines dans le pain. D’où ma décision d’écrire Sauvons le pain  pour impulser un changement plus significatif.

L'un des messages du livre, c'est qu'il faudrait manger du pain régulièrement. Pourquoi ?

J’ai une réponse originale à donner à cette question parce que je me suis rendu compte que le propre de l’homme en matière de nutrition était de fonctionner  avec une base alimentaire stable, ce qui lui permet en retour d’assouvir son besoin de biodiversité alimentaire. Le pain fournit en permanence une partie du glucose et des fibres alimentaires dont nous avons besoin et la régularité de ces apports stabilise notre métabolisme et surtout notre microbiote intestinal. La stabilité de ce microbiote est essentielle et nécessite un apport régulier des mêmes sources de fibres alimentaires. En plus, la panification au levain assure une prédigestion des fibres alimentaires et il y a donc une complémentarité remarquable entre le microbiote du levain et celui de l’intestin. Le levain peut même synthétiser des prébiotiques. Au final, il est clair que le pain joue un rôle bien plus important dans l’équilibre du microbiote digestif que bien des yaourts.

En quoi le pain blanc nuit-il à la santé ?

Le pain n’est pas un aliment anecdotique. On en mange toute la vie, il influence donc en bien ou en mal notre santé selon sa qualité nutritionnelle. Le pain blanc ne semble pas idéal pour le maintien de la santé pour au moins trois raisons : d'abord, son amidon est trop vite digéré, ensuite il est trop pauvre en fibres alimentaires et enfin il contient trop de sel. Cependant il n’est pas certain que la seule suppression du pain blanc soit un bénéfice pour la santé parce qu’il y a beaucoup de chance qu’il soit remplacé par des produits ultra-transformés ou diverses sources de sucres pour pallier le déficit de glucides. En fait, nous avons besoin d’un pain de haute valeur nutritionnelle pour servir de base alimentaire à notre organisme.

Lire : Un aliment à éviter : le pain de mie industriel (abonnés)

Quel est l'impact du pain blanc sur la biodiversité ?

Sur le plan écologique, un pain blanc pur blé est bien peu favorable à l’agrobiodiversité. De plus, en restant dans le pur blé, même un pain complet n’est pas idéal sur le plan nutritionnel. Mon livre Sauvons le pain nous explique qu’il est possible maintenant d’introduire dans le pain une grande diversité de graines, et en particulier des légumineuses, grâce à l’efficacité du gluten des blés modernes pour les inclure dans une même matrice. Pour l’agriculture, la diversification des graines destinées à la panification est une bonne opportunité pour diminuer la monoculture du blé.

Quelles différences sur le plan nutritionnel entre un pain au levain et un pain à la levure ?

Le rôle de la levure se limite principalement au dégagement de gaz carbonique. Elle influence peu l’activité des enzymes de la farine parce qu’elle a une influence négligeable sur le pH. Dans la mesure où elle est très active,  elle diminue la durée de maturation enzymatique de la pâte qui devient très insuffisante : on obtient des sortes de pain azymes.

Avec le levain, la population des levures sauvages est moins active que les levures industrielles, la levée de la pâte (pointage) est plus lente. De plus, le levain contient une très grande diversité de bactéries lactiques qui conduisent immanquablement, lorsque la fermentation est aboutie, à une baisse du pH, ce qui a la propriété d’activer un très grand nombre d’enzymes hydrolytiques, en particulier des phytases et des protéases.

En quoi le pain que vous proposez dans le livre nous rapproche-t-il du pain consommé par nos ancêtres ?

Le pain que j’ai qualifié de Granipain contient au moins 20 % de graines et au moins une vingtaine de graines. Bien sûr on peut aller au-delà, mais ce n’est pas nécessaire sur le plan nutritionnel. Il est clair qu’une grande diversité de graines peut entrer en panification sans changer notablement la structure du pain. De plus le levain a la propriété de  développer un goût spécifique de pain qui efface largement celui des diverses graines. Il est possible que certaines personnes demeurent attachées au pain pur blé et ne veulent en rien changer leurs habitudes. D’une certaine façon le granipain se rapproche des pains galettes de nos ancêtres qui étaient faits avec un mélange de graines écrasées et fermentées au levain. Ce qui a changé par rapport au passé, c’est la disponibilité du blé, qui facilite la panification des graines par le pouvoir liant de son gluten.

Les personnes qui ont une sensibilité au gluten peuvent-elles manger ce pain ?

L’hypersensibilité au gluten de type non céliaque résulte souvent de comportements nutritionnels déséquilibrés. Lorsque l’intestin de ces personnes est fragilisé par une consommation insuffisante de produits végétaux naturels et trop de produits ultra-transformés, il peut y avoir un risque d’hypersensibilité au gluten avec des pains courants. Dès que le pain est bien panifié au levain avec de longues fermentations, ce risque diminue beaucoup. Par conséquent, pour supprimer ce problème, il faut soigner l’ensemble du mode alimentaire, adopter une biodiversité végétale alimentaire suffisante et consommer du pain de haute valeur nutritionnelle, tel ceux que je propose. Le retour à ces bases alimentaires solides est indispensable pour tolérer parfaitement le gluten de blé, mais lorsque le problème de sensibilité au gluten est réel, le rétablissement ne peut être que progressif.

Que peuvent faire les consommateurs pour obtenir un pain de meilleure qualité ? Que peuvent faire les filières de production ? Les boulangers ?

J’ai écrit un livre sur le pain pour m'adresser au grand public et amorcer un dialogue nouveau des consommateurs avec les boulangers afin de susciter une demande nouvelle de pains de meilleure qualité nutritionnelle. Après la lecture de ce livre, les consommateurs seront en mesure de poser des questions pertinentes aux boulangers sur la nature des farines ou des graines utilisées, voire sur les modes de panification. Après tant d’années d’obscurantisme, c’est enfin porte ouverte dans les fournils !

Le changement à mettre en œuvre nécessite toutefois de passer commande à l’agriculture d’une diversité suffisante de graines destinées à la panification. L’idéal serait que tous les producteurs de blé soient partants pour cette nouvelle diversification de leurs cultures et soutiennent en quelque sorte la révolution nutritionnelle du pain que propose mon livre.

Bien sûr, l’adhésion des boulangers à l’évolution de la panification est indispensable à tout changement d’envergure dans l’offre du pain. Ils devront s’approprier ces nouveaux modes de panification et adopter les formulations qui leur conviennent le mieux.

Lire aussi : Baguette inscrite au patrimoine de l'humanité : plutôt une bonne chose ?

Faut-il un étiquetage nutritionnel pour le pain vendu en boulangerie ? Que devrait-il mentionner ? Pourquoi n'est-il pas en vigueur d'ores et déjà ?

Le pain ne peut être soumis au même étiquetage nutritionnel que les produits transformés par l’industrie agroalimentaire, en particulier parce que le pain peut difficilement être un aliment standardisé. Cependant, il est absolument anormal que la composition des farines utilisées et des principaux pains produits dans une boulangerie ne soit pas clairement affichée. Il serait normal que le syndicat de la boulangerie et la filière blé pain prennent en charge ce type d’informations. Mais ayant jusqu’à présent opté pour une offre majoritaire de pain blanc, auront-ils la motivation pour le faire dans la mesure où ce type d’information nutritionnelle pénaliserait l’image de la baguette ? Il faudrait que les pouvoirs publics exigent qu’une information nutritionnelle soit délivrée sur le pain. De plus il est urgent de clarifier enfin la signification du type de farine, qui reste obscure pour un public non initié.

Il ne serait pas nécessaire de décrire de manière exhaustive tous les éléments nutritionnels. Les consommateurs devraient pouvoir connaître les teneurs en glucides, protéines et fibres, celles de certains minéraux comme le potassium, le phosphore, le magnésium, et les teneurs en sel, le tout exprimé en densité nutritionnelle, par exemple pour 250 kcal. La connaissance de ces paramètres serait très utile pour éclairer le choix des consommateurs.

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