Affaire « Jean-Marie Bourre » : deux spécialistes de cardiologie s’insurgent

Par Collectif LaNutrition.fr - Journalistes scientifiques et diététiciennes Publié le 27/09/2006 Mis à jour le 17/02/2017

Le 26 août 2006, le journal Le Monde2 a présenté le nouveau livre du Dr Jean-Marie Bourre, un chercheur de l’Inserm, sous la forme d’un entretien dans lequel celui-ci fait la promotion d’une alimentation riche en viandes, charcuteries, graisses animales, fromages, féculents qui seraient « exigés » par le cerveau pour fonctionner correctement. Au passage, Jean-marie Bourre s’en prend violemment aux végétariens et plus généralement aux consommateurs de protéines végétales. Pour ces propos, LaNutrition.fr a décerné au Dr Jean-Marie Bourre son Prix de la Propagande pour septembre 2006. Voici les réactions de deux grands spécialistes français des maladies cardiovasculaires, le Dr Michel de Lorgeril et Patricia Salen (CNRS, Grenoble). Selon eux, les personnes qui suivent les recommandations de Jean-Marie Bourre y risquent leur santé cardiovasculaire.

LaNutrition.fr : Que vous inspirent les propos du Dr Jean-Marie Bourre ?

Patricia Salen et Michel de Lorgeril : Sans vouloir discuter sur le fond des affirmations péremptoires de Jean-Marie Bourre - qui nécessiteraient sur chaque point une reprise de son affirmation, puis la confrontation avec les données médicales et biologiques publiées et connues, et enfin une sorte de synthèse, bref une démarche scientifique classique, on ne peut qu'être surpris par l'arrogance des propos et le caractère insultant des admonestations de notre confrère ! En faisant court et simple : les nutritionnistes quand ils sont prudents sont "des terroristes" et les végétariens sont tous des "crétins."
Mais est-ce un confrère ? Est-il médecin, nutritionniste et fort d'une longue expérience d'une consultation clinique où il aurait pu confronter ses préceptes neuro-nutritionnels avec la réalité du monde des humains et des pathologies, bref avec la vraie vie et les vraies personnes, que nous, praticiens, chacun dans nos spécialités, devons affronter ?
A t-il seulement la moindre idée de la demande des patients et de la façon dont on doit s'adresser à eux  pour éviter les dérives et les excès (qu'il semble vouloir favoriser) ou bien les illusions ?
Est-il un scientifique alors ? On peut en douter tant son discours l'est peu ! Peut-être le fut-il ?
 

Pensez-vous que seuls les médecins sont susceptibles de faire des recommandations ?

Collectivement, nous ne devons négliger les avis et opinions de personne y compris les non-médecins ou les travaux conduits sur des rats ou des cochons d'Inde bien sympathiques ! Au contraire, il nous faut essayer d'intégrer toute nouvelle connaissance susceptible de nous améliorer, et ceci dans l'intérêt bien compris de nos patients évidemment.
Mais notre responsabilité, notre devoir dirons-nous, est de n'extrapoler vers les humains qu'avec la plus grande prudence toute théorie élaborée sur des modèles animaux ou dans des éprouvettes  !
En d'autres termes, avant de valider des données expérimentales ou des théories livresques dans notre pratique clinique (donc faire des recommandations à nos patients), nous avons besoin de données scientifiques et cliniques solides !  C'est un élémentaire principe de précaution ! Primum non nocere !
Le Dr Bourre ne connaît visiblement pas ces principes élémentaires et, tout au marketing écervelé de son prochain "livre de rentrée", tout au désir de faire plaisir à ses amis de l'édition, du monde agricole et de l'agro-business, il ne craint visiblement pas de risquer la santé de nombreux lecteurs qui auraient la malheureuse naïveté d'écouter ces propos ou de suivre ses conseils.
Mais Monsieur Bourre n'est pas dangereux seulement de façon primaire (en risquant de conduire certains patients à revenir à des pratiques nutritionnelles dont on connaît la dangerosité), il l'est aussi parce qu'en allant totalement à l'encontre des recommandations prudentes de nombreux praticiens, et avec une casquette de scientifique, il accrédite l'idée déjà trop répandue que médecins et scientifiques racontent n'importe quoi à propos d'une nutrition qui protège la santé et passent leur temps à se contredire. Toute la profession est ainsi discréditée et amalgamée à de nauséabonds conflits d'intérêt !

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