Le lait est-il dangereux ?

Par Collectif LaNutrition.fr - Journalistes scientifiques et diététiciennes Publié le 28/04/2006 Mis à jour le 10/03/2017
C'est le thème du débat publié dans L'Express du 15 novembre 2004, dont j'étais l'invité. Un thème d'actualité, comme le montre la même semaine la parution dans l'American Journal of Clinical Nutrition, d'une étude inquiétante.

18 novembre 2004

La révolte contre les 3 à 4 laitages quotidiens

Il y a dans l’actualité de troublants télescopages. Mais avant d’y venir, voici l’histoire. Il y a trois semaines, Jean-Marc Biais, de l’Express, me propose d’intervenir dans leur rubrique « Débats » qui consiste à opposer deux points de vue sur un sujet d’actualité. Thème du débat : « Le lait est-il dangereux pour la santé ? » Il faut dire que nous avons consacré aux laitages un chapitre important dans Santé, Mensonges et Propagande le livre que j’ai écrit avec Isabelle Robard. Nous y révélons plusieurs études scientifiques de nature à remettre en cause la part, à notre avis hypertrophiée, que les laitages occupent dans les recommandations officielles. Entendons-nous bien. Nous ne sommes pas en croisade contre les laitages. Un yaourt quotidien peut apporter des bénéfices digestifs. Le fromage restera un plaisir, y compris pour nous. Nous nous insurgeons contre le discours qui consiste à faire consommer des laitages pour des prétextes fallacieux qui touchent à la santé. Nous disons qu’aucune donnée scientifique sérieuse ne prouve qu’en mangeant 3 à 4 laitages par jour on prévient l’ostéoporose. Nous soulignons dans le même temps que plusieurs études convergentes indiquent qu’à ce niveau de consommation, des problèmes de santé graves ne peuvent être écartés. Enfin, nous démontrons que la plupart des experts en nutrition français travaillent de près ou de loin pour l’industrie laitière.

Le débat dans l'Express

Sachant que le sujet du lait et de la santé avait, jusqu’à la parution de notre livre, été confisqué par l’industrie laitière et ses alliés, le chapitre que nous lui avons consacré a fait l’effet d’un tremblement de terre. Et nous voici, Isabelle et moi, présentés par les médias comme les hérauts de la révolte anti-lait. S’il s’agit de dénoncer les errements actuels, pourquoi pas ?
Donc, j’adresse à l’Express un court texte qui résume nos arguments, sans d’ailleurs connaître l’identité de mon contradicteur. Voici ce texte, tel qu’il a été publié dans l’édition du 15 novembre, et le texte du Dr Jean-Marie Bourre, qui présente un point de vue opposé :

L'Express du 15/11/2004

Le lait est-il dangereux pour la santé?

Propos recueillis par Jean-Marc Biais

Relayée par les partisans des médecines douces, une campagne se développe contre les laitages. Ils ne seraient pas particulièrement bénéfiques, une consommation importante pourrait même être néfaste

Pour

Thierry Souccar

Membre de l'American College of Nutrition, coauteur de Santé, mensonges et propagande. Arrêtons d'avaler n'importe quoi (Seuil, 2004)


«Mieux vaut consommer des laitages avec modération»
Quand les experts du Programme national nutrition santé et de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) recommandent trois ou quatre laitages par jour pour prévenir l'ostéoporose, on présume que ce conseil s'appuie sur des preuves irréfutables. Notre longue enquête montre qu'il n'en est rien. Ecoutez Roland Weinsier, de l'université de l'Alabama, qui a analysé les résultats des 57 études publiées sur le sujet: «On a du mal à voir l'intérêt des laitages parce que leur bénéfice sur la densité osseuse est extrêmement faible.» L'Organisation mondiale de la santé a même reconnu, il y a deux ans, que les pays qui consomment le plus de produits laitiers détiennent les records mondiaux de... fractures du col du fémur! Ils font également face à une épidémie de diabète infantile (dit «de type 1») sans précédent. Suspects? Encore les laitages. Introduits trop tôt dans l'alimentation, ils déclencheraient chez certains enfants une maladie auto-immune responsable de la destruction des cellules du pancréas.

Comment des aliments courants peuvent-ils, à dose élevée, avoir des conséquences si calamiteuses? Nous ne consommons des laitages que depuis huit mille ans. Un laps de temps insignifiant à l'échelle de l'histoire de l'humanité. Pour la majorité d'entre nous, porteurs de gènes venus du fond des âges, le lait est encore un intrus: 75% des habitants de la planète ne le digèrent pas. Consommés aux doses officielles, les laitages abaissent notre niveau de vitamine D, substance connue pour ses effets anticancer. Les études publiées à ce jour suggèrent d'ailleurs une «association positive» entre laitages et cancer de la prostate. Pas de preuves formelles, certes, mais une inquiétude. Une de plus. Qui conduit l'Institut américain de recherche sur le cancer à recommander de consommer dorénavant des laitages «avec modération». C'est aussi le message de l'Ecole de santé publique de Harvard, que nous relayons dans notre livre.

Chaque jour, un ou deux aliments sources de calcium suffisent: laitages, mais aussi eau minérale, légumes, amandes ou sardines. Les experts français vont-ils finir par se rallier à ces conseils de bon sens? On veut le croire, même si, à l'Afssa, 20 des 29 experts en nutrition sont liés à l'industrie laitière!

Contre

Dr Jean-Marie Bourre

Membre de l'Académie de médecine, auteur de La Vérité sur les Oméga 3 (Odile Jacob)

«Aucune étude sérieuse ne démontre la toxicité du lait»
Le procès du lait est ancien. Mais les arguments avancés par ses détracteurs restent très légers. La consultation des banques de données d'articles scientifiques l'atteste: il n'y a pas d'étude sérieuse qui démontre la toxicité de cet aliment. Certes, il y a des allergies au lait de vache. On peut alors lui substituer les productions d'autres mammifères. Attention au «lait» de soja, bien mal nommé, car il n'a absolument pas la même valeur nutritive que ses homologues animaux.

Le combat antilait est complètement irrationnel. Souvent, ceux qui condamnent cet aliment sont également hostiles à la consommation de viande. Ses pourfendeurs invoquent un argument: l'organisme humain ne serait pas fait pour utiliser la production d'une autre espèce. Or la vérité est exactement inverse. C'est parce que nos lointains ancêtres ont eu le génie de consommer le lait des animaux que l'homme est devenu ce qu'il est aujourd'hui. Le calcium et les protéines que renferme ce liquide lui ont assuré des os plus solides, plus efficaces. La station debout a ainsi été facilitée.

Le lait est indispensable dans le cadre de l'équilibre alimentaire. Il contient tous les acides aminés qui servent à élaborer les protéines indispensables au développement et à l'entretien des cellules de notre corps. C'est la principale source de calcium, car cette substance n'est présente dans d'autres produits (légumes verts, fruits secs...) qu'en très petite quantité. Il faudrait «brouter» exactement 3,9 kilos de chou vert cuit pour ingérer l'équivalent d'un litre de lait (1 200 milligrammes de calcium). Le Plan national nutrition santé a évalué les besoins en calcium nécessaires pour assurer la croissance des enfants et maintenir le plus longtemps possible le capital osseux des adultes. L'apport quotidien conseillé varie en fonction de l'âge et du sexe, entre 500 milligrammes pour les enfants de moins de 3 ans et 1 200 pour les femmes ménopausées. Les habitudes alimentaires de nombreux Français (notamment les personnes âgées) se situent en dessous des doses préconisées par les autorités sanitaires. La consommation moyenne de lait est, chez nous, inférieure à celles observées dans bien des pays étrangers. Il est dangereux d'encourager nos compatriotes à manger moins de produits laitiers.

Cro-Magnon à quatre pattes

Bon. Je passe sur l’argument proprement révolutionnaire développé par le Dr Bourre, selon lequel le lait aurait facilité « la station debout ». Une vraie révélation qui devrait lui valoir au minimum le Nobel car grâce au Dr Bourre on sait maintenant que l’homme de Cro-magnon (il y a 35 000 ans, époque où le lait était inconnu) se déplaçait à quatre pattes, que les peintures de Lascaux ont été faites avec la bouche et que l’on chassait le Mammouth sur le dos ! En réalité, qu’il s’agisse de nos ancêtres Orrorin tugenensis ou de Toumaï (Sahelanthropus tchadensis), la station debout était maîtrisée il y a six millions d’années, soit... six millions d’années avant l’apparition du lait dans l’alimentation ! Le Dr Bourre serait bien inspiré de demander conseil aux paléontologues. Ils lui apprendraient que les hommes du paléolithique, qui ne buvaient pas de lait, avaient des os en parfaite santé. En fait, les traces de maladies osseuses de type ostéoporose, n'apparaissent qu'après l'introduction du lait, au néolithique. Ainsi convaincu que nos ancêtres n'avaient absolument pas besoin de lait pour conserver des os solides, le Dr Bourre rejoindrait avec enthousiasme le mouvement que nous avons initié pour demander une révision des recommandations officielles dans ce domaine !
Mais voici le télescopage dont je vous entretenais plus haut : ce matin est publiée une étude sur plus de 60 000 Suédoises qui associe la consommation régulière de lait (4 laitages et plus par jour) à un risque accru de cancer des ovaires (*). Bien évidemment, une étude isolée n’a pas de signification. Sauf que ce n’est pas une étude isolée. Dans notre livre, nous rapportons les résultats d’autres études ayant déjà trouvé un lien entre laitages et cancer des ovaires. C’est donc une confirmation. A ce stade, difficile de prétendre, comme le fait le Dr Bourre et comme le font les experts du Programme National Nutrition Santé, que la réputation du lait est immaculée.
Devant le tumulte fait par notre livre, l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments, l'Afssa, qui a déjà mangé son chapeau sur le sel et le sucre, annonce qu’une commission va se pencher sur le cas des laitages. Il serait temps. En attendant, les millions de Françaises qui se croient toujours obligées de consommer leurs 3 à 4 laitages par jour dans l’espoir - probablement vain - de faire de vieux os, devraient se préparer à demander des comptes à ceux qui les y encouragent depuis 50 ans à grand coup d'arguments aussi "scientifiques" que l'histoire de la "station debout".

(*) Larsson S : Milk and lactose intakes and ovarian cancer risk in the Swedish Mammography Cohort. American Journal of Clinical Nutrition, Vol. 80, No. 5, 1353-1357, novembre 2004.

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