Pr Philippe Even: «L’industrie pharmaceutique est hors de tout contrôle»

Par Collectif LaNutrition.fr - Journalistes scientifiques et diététiciennes Publié le 08/10/2015 Mis à jour le 06/02/2017
Le nouveau livre du Pr Philippe Even, Corruptions et crédulité en médecine, expose en détail les pratiques scandaleuses des grands laboratoires pharmaceutiques pour vendre des médicaments inutiles et toxiques comme les statines. Nous l'avons rencontré.

Maladies fabriquées, études falsifiées, experts payés : l'industrie pharmaceutique est devenue la plus riche du monde en usant de méthodes scandaleuses, voire criminelles. Dans son nouveau livre, le Pr Philippe Even expose ces pratiques qui conduisent à traiter des millions de patients qui n'en ont pas besoin, les exposant à des effets secondaires graves et ruinant les comptes sociaux. Une vérité qui dérange, y compris dans les médias.

LaNutrition.fr : Si la sortie de votre livre a été relativement relayée dans les médias, un silence gêné s’est installé depuis. Pourquoi selon vous ?

Pr Philippe Even : Tous les journaux médicaux sont financés par l’industrie… C’est le tir de barrage que j’attendais, et qui s’est produit.

Vous parleriez de censure ?

Bien sûr. Et puis ça se serait passé comme de la même façon dans tous les pays, sauf peut-être aux Etats-Unis où ce genre de livre se vend beaucoup mieux. Ici c’est vraiment l’omerta, on ne parle pas de ça… L’affaire dérange.

Dans votre réquisitoire, vous égratignez tout particulièrement ces fameux « médecins experts hospitaliers » à la solde des firmes pharmaceutiques…

Oui, mais ceux que j’accuse ne sont pas la majorité, je vise seulement 5% d’entre eux. Soyons clair : lorsque, par exemple, de nouvelles molécules intéressantes sont découvertes, l’industrie peut payer des médecins pour les analyser, pour préciser comment, dans quelle condition la mise sur le marché doit s’effectuer – cela ne me gêne pas, ces experts apportent des informations utiles. Le problème c’est que l’immense majorité des molécules ne sert à rien et 5% des molécules sont très dangereuses. Ce qui veut bien dire que certains de ces consultants permettent à l’industrie de se créer de faux marchés avec de faux médicaments qui peuvent mettre en péril la vie des patients. S’ils étaient honnêtes, s’ils respectaient les règles, l’industrie ne pourrait rien faire. C’est pour ça que j’ai tiré sur eux à boulets rouges.

Comment ripostent-ils à vos attaques ?

Ils vont porter plainte peut-être, mais pour l’instant ils n’ont rien fait*. Mais il faut qu’ils se pressent parce que les délais pour une attaque en diffamation sont assez courts, quelques jours seulement. Ils doivent aussi, je pense, être prudents car je n’ai pas parlé en l’air : chaque chose que je dis est appuyée par des chiffres, des faits. Cela dit mon éditeur et moi encourrons tout de même le risque d’avoir sur le bras plusieurs procès et de se faire condamner.

Les conflits d’intérêt ne sont donc pas une condition suffisante à la « dérive » des consultants ?

Non ! Et j’irais même plus loin. Les contrats entre des équipes de recherche publique (CNRS, Inserm…) et une firme pour étudier telle ou telle question de recherche institutionnelle doivent non seulement être maintenus mais développés. Tous les progrès thérapeutiques sont venus de l’industrie et continueront à venir de l’industrie. C’est une collaboration qui peut être vertueuse.

Que faire pour casser cette mécanique infernale ?

Les pessimistes diront qu’il n y a rien à faire. L’industrie pharmaceutique est la plus puissante de toutes ; c’est la première du monde depuis 1990. Seule arrive à sa hauteur l’industrie de l’informatique, mais seulement depuis 5-6 ans. Les firmes ne font pas moins que 20% de bénéfices par an. C’est une puissance de frappe formidable ! Je cite les conclusions du rapport de l’ONU, publié et diffusé dans tous les pays du monde – sauf en France – qui dit que l’industrie est hors de tout contrôle, qu’elle a perdu le sens de l’éthique et du respect des malades. Elle est infiltrée dans tous les organes décisionnels politiques, universitaires, médicaux, etc., elle achète tout le monde, personne ne peut l’arrêter !

Vous dites pourtant que l’appareil législatif n’est pas inopérant…

Les lois existent déjà, bien qu’elles aient pris du plomb dans l’aile avec notre ministre actuelle. Rappelons que les experts n’ont pas le droit, depuis la loi Kouchner (2002) de participer aux discussions et aux votes sur l’évaluation des médicaments par nos agences de santé. Mais le système est entièrement pourri ! Malgré tout, les choses évoluent. D’après des hauts représentants de l’Etat que j’ai rencontré fin septembre 2015, trois réformes vont être mises en place :
1) Mettre sur pieds un groupe de 30-40 experts indépendant. Il aura pour mission de revoir tous les médicaments présents sur le marché en ce moment (efficacité, risque, prix et taux de remboursement).
2) Mettre en place au niveau du Conseil de l’Ordre et des universités un organisme qui recense, contrôle et autorise ou non les contrats passés entre universités et industrie.
3) Et enfin dans six mois (en mars 2015) les montants des rémunérations seront dévoilés.
Ces mesures sont mieux que rien, elles devraient tout de même améliorer la situation.

Vous vous en prenez notamment aux statines, prescrites contre le cholestérol élevé. Quel message adressez-vous aux patients qui prennent ces médicaments ?

Parlez-en à votre médecin. Je ne dirai jamais « vous arrêtez ! ». Moi, je n’en prendrai pas, bien-sûr, ma famille non plus, tout comme mes amis, mais je ne me sens pas le droit de dire quoi que ce soit à des malades suivis par un médecin personnel. Ils doivent poser la question, et éventuellement demander à leur soignant de s’informer.

Lire : Pr Claude Béraud : La fin des illusions médicales

*Selon Medscape quatre visés devraient poursuivre le Pr Even au pénal 

A découvrir également

Back to top