Le jeûne intermittent va-t-il vous conduire au tombeau ?

Par Thierry Souccar - Journaliste et auteur scientifique, directeur de laNutrition.fr Publié le 15/04/2024 Mis à jour le 16/04/2024
Actualité

Une étude, reprise largement par les médias, laisse entendre qu'en suivant un jeûne intermittent on augmente considérablement son risque de mourir. LaNutrition vous explique pourquoi c'est peu plausible.

Les médias grand public ont rapporté en mars, avec parfois une délectation mal dissimulée, une étude selon laquelle le jeûne intermittent, une pratique qui a le vent en poupe (donc suspecte), est associé à un risque plus élevé de décès cardiovasculaire. Il existe plusieurs formes de jeûne intermittent ; celle en cause s’appelle TRF (time-restricted feeding). Elle consiste à s’alimenter chaque jour pendant une fenêtre de 8 à 10 heures. Concrètement, cela revient à sauter un repas : petit déjeuner ou dîner.

L’étude n’a pas encore été publiée et ne peut donc être analysée en détail. Elle a été présentée de manière extrêmement synthétique sous la forme d’un poster lors de l’assemblée annuelle de l’American Heart Association (AHA). Les auteurs principaux sont chinois, dont deux font partie de l’Ecole de santé publique de Harvard.

Comment une communication tronquée a-t-elle pu trouver sa place à la une de la presse internationale ? Simplement parce que le service communication de l’AHA, flairant le bon coup médiatique, en a fait un communiqué de presse avec un titre bien accrocheur : « Une prise alimentaire restreinte à une période de 8 heures est liée à un risque de décès cardiovasculaire plus élevé de 91 %. » Le communiqué de presse de l’AHA indique bien qu'il s'agit d'une « recherche préliminaire », mais c'est en petits caractères.

Qu’est-ce donc que cette étude ?

Les chercheurs ont examiné les données de l'enquête nationale américaine sur la santé (NHANES) entre 2003 et 2018. L’enquête NHANES rassemble des informations diverses sur le mode de vie des Américains, issues de questionnaires. Les Chinois se sont fait une spécialité de décortiquer les résultats de l'enquête NHANES pour en tirer des conclusions parfois hasardeuses. L’une des questions de l'enquête portait sur les heures des repas pris la veille, question reposée deux semaines plus tard. Les auteurs de l'étude ont donc rapproché les réponses à cette question des données de mortalité, en déduisant que si l'on a déclaré avoir sauté un repas, on a un risque plus élevé de mourir d'un infarctus ou d'un accident vasculaire cérébral.

Pourquoi c'est peu crédible 

Premier problème : les auteurs de l’étude de l’AHA ont émis l’hypothèse que les réponses des participants sur les prises alimentaires de la veille reflétaient des habitudes régulières. Cela introduit un biais important, déjà relevé dans de nombreuses études similaires.

Deuxième problème : les personnes ayant déclaré avoir pris leurs repas dans un intervalle de 8 heures avaient aussi tendance à fumer, être moins instruits, avoir des revenus plus faibles et un accès limité à une nourriture variée. Autant de facteurs liés à la mauvaise santé cardiovasculaire, indépendamment des heures de prise des repas.

Troisième problème : le concept de jeûne intermittent étant quasiment inconnu au début des années 2000, il est peu vraisemblable que les personnes qui se nourrissaient pendant un créneau de 8 à 10 heures le faisaient pour des raisons de santé. Leurs activités les obligeaient probablement à sauter des repas ou à manger de façon irrégulière. D’ailleurs, les auteurs de l’étude NHANES n’avaient même pas demandé aux participants s’ils jeûnaient volontairement.

Quatrième problème : les auteurs de l’étude ont supposé que l’association qu’ils ont observée entre la mortalité et l’heure des repas auto-déclarée supposait un lien de cause à effet : sauter des repas fait mourir. C’est une erreur surprenante pour des spécialistes d’épidémiologie, puisque les études d’observation ne permettent généralement pas de conclure à un lien de causalité (sauf dans certaines conditions exceptionnelles qui ne sont pas réunies ici). 

Cinquième problème et point le plus délicat pour cette étude, c’est que des essais cliniques ont été menés sur le jeûne intermittent et le TRF. Ces essais ont trouvé de manière quasi-unanime que non seulement le TRF ne nuit pas aux facteurs de risque cardiovasculaires, mais qu’il a l’effet inverse, c’est-à-dire qu’il conduit à une meilleure santé. Les essais étaient de courte durée, et comportaient des biais, mais les facteurs de risque – contrôle de la glycémie, niveau des triglycérides, poids corporel – se sont améliorés avec cette forme de jeûne. 

Il n’existe pas à ce jour d’argument biologique sérieux pour penser que le jeûne intermittent, qui est pratiqué par l’humanité depuis des millions d’années, soit particulièrement néfaste pour la santé du cœur. Selon Mark Mattson, professeur de neurosciences à la faculté de médecine de l'Université Johns Hopkins et ancien chef du laboratoire de neurosciences de l'Institut national du vieillissement, c'est « notre modèle alimentaire de trois repas par jour plus des collations qui ne repose sur aucune base scientifique. »

Le jeûne intermittent : 1 million d'années de pratique

Pendant la majeure partie de l’histoire de l’humanité, nos ancêtres ont fait un ou deux repas par jour. Les chasseurs-cueilleurs modernes comme les Hadzas de Tanzanie poursuivent ce modèle, dit Tim Spector, professeur au King’s College (Londres). « En vivant avec eux, explique-t-il, nous avons constaté que le petit-déjeuner n’existe pas de manière routinière. D’ailleurs les Hadzas n’ont même pas de mot pour "petit-déjeuner ". »

Les Hadzas n’ont pas de mot pour "petit-déjeuner "

Après leur réveil, dit-il, les hommes partent généralement à la recherche de nourriture pour la tribu. Il leur arrive de manger quelques baies en chemin, mais c’est tout. S’ils restent au camp, un peu de miel en fin de matinée ou en début d’après-midi peut leur suffire, jusqu’au repas du soir plus copieux. Les femmes restent à proximité du camp et préparent certains jours des repas simples, comme de la bouillie de baobab, ou mangent du miel, mais rarement avant 10 h.

Le fait de sauter régulièrement le petit-déjeuner n’a pas rendu les Hadzas gros ou en mauvaise santé : ils sont dépourvus de la plupart des maladies occidentales et ont une parfaite santé cardiovasculaire.

Une étude qui crée la confusion

L’ensemble des données dont nous disposons laisse penser que le jeûne intermittent sous la forme de TRF ne met pas la santé en danger et qu’il pourrait même l’améliorer. Par ailleurs, si l'on doit croire que sauter un repas fait mourir d’infarctus, cela signifie qu’en faisant 3 repas par jour, on est considérablement protégé. Or une méta-analyse de 13 essais cliniques comparant des personnes prenant un petit déjeuner à d’autres qui sautaient ce repas a conclu que les premières consomment plus de calories et sont un peu plus corpulentes que les secondes. Des observations similaires ont été faites chez les personnes sautant le repas du soir. Certes ces études ne s’intéressaient qu’à un facteur : le poids. Et il existe peu d’essais cliniques sur d’autres paramètres. Mais l’idée générale est là : s’il y a un avantage à faire 3 repas par jour, il est loin d’être évident et certainement pas en mesure d’expliquer une telle différence de mortalité.

Ce qui est préoccupant, finalement, c’est que des études d’une grande faiblesse comme celle-ci, puissent bénéficier d’une telle couverture médiatique. Le manque de journalistes scientifiques dans les médias leur donne une apparence fausse de vérité. Le seul intérêt de ce type d'étude est d’avancer des hypothèses qu’il appartient aux chercheurs d’explorer. Pour eux, elle peut représenter une piste de réflexion ; pour le grand public, elle est surtout un élément de confusion.

Pour en savoir plus, lire : Le fasting

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