Remercions le buveur de vin (modéré)

Par Thierry Souccar - Journaliste et auteur scientifique, directeur de laNutrition.fr Publié le 17/06/2015 Mis à jour le 10/03/2017
La loi Evin a été modifiée pour clarifier la notion d'information sur l'alcool. Une mesure qui hérisse le lobby anti-alcool mais qui permet de rappeler les bienfaits de la consommation régulière et modérée.

La loi Evin a été amendée mardi 16 juin 2015 pour affiner la distinction entre publicité et information sur l'alcool. Une partie de la presse, pourtant menacée par l’insécurité juridique qui caractérisait le texte original a fustigé ce « recul », ce qui montre bien l'extraordinaire capacité de certains de mes confrères à se tirer une balle dans le pied. Car en réalité de quoi s’agit-il ?

La loi Evin de 1991 réglemente la publicité sur l’alcool pour éviter les messages incitatifs à destination des populations à risques. Reste à dire ce qu’elle entend par « publicité », ce dont elle s’est abstenue. Les ligues anti-alcool se sont engouffrées dans ce vide juridique pour obtenir, ces dernières années, la condamnation de journalistes et de journaux dont le seul tort était de faire leur métier.

Pas de champagne sur les podiums de F1

Un reportage de Paris Match présentant la réussite économique du champagne à l’export ? Condamné au motif qu’il s’agirait d’une « publicité ».

Un dossier des Echos sur le vin ? Condamné pour n’avoir pas fait figurer le message sanitaire devant accompagner les publicités consacrées à une boisson alcoolique - alors même qu’il ne s’agissait pas d’une publicité.

Dans un arrêt ubuesque, la Cour de Cassation (3 novembre 2004), est allée jusqu’à assurer que « tout acte en faveur d’un organisme, d’un service, d’une activité, d’un produit ou d’un article ayant pour effet, quelle qu’en soit la finalité, de rappeler une boisson alcoolique » constitue une publicité illicite. Cet arrêt vaut son pesant de Pinot noir. La cour se prononçait sur un reportage du journal Action Auto Moto à l’occasion du Grand Prix d’Australie de F1. En cause : une photo du podium derrière laquelle, oh horreur ! apparaissait le nom de la bière Fosters et sur lequel étaient posées deux bouteilles de champagne. La Cour relevait notamment, pour justifier sa condamnation du journal, « que la présentation de telles photographies dans les magazines, sous prétexte d'illustrer un article journalistique concernant le grand prix de Formule 1 d'Australie, est l'occasion d'une publicité indirecte en faveur des boissons alcooliques ; qu'en effet, l'acheteur d'un magazine tel que "Action Auto Moto" peut s'attarder sur chaque photographie, en examiner les détails, voire, quand il s'agit d'un portrait pleine page de son coureur favori, comme en l'espèce, le découper et l'afficher sur le mur de sa chambre. » Et peut-être même le découper en petits morceaux, le faire macérer dans de l'eau de vie et le prendre en perfusion ?

Les millions du lobby anti-alcool

L’amendement adopté vise à éviter ces dérives, mais bien sûr certains titres de presse y ont vu la main assassine du « lobby de l’alcool ». Il serait vain de nier l’existence de groupes de pression favorables à l’alcool, notamment issus de la filière viticole dont les revendications sont généralement défendues par des parlementaires du midi de la France.

Mais lobby pour lobby, on ignore généralement qu’il existe un puissant lobby anti-alcool. Hors publicité et face au lobby viticole représenté par Vins et Société, un organisme employant 3 salariés et doté d’un budget de 1,7 millions d’euros, se dresse l’ANPAA (Association Nationale de Prévention en Alcoologie et Addictologie), une organisation forte de 1 500 employés assimilés à la fonction publique, forte d’un budget considérable puisqu’il approche les 80 millions d’euros, provenant essentiellement d’argent public, donc de vos impôts et cotisations sociales. Aux troupes de l’ANPAA il faut ajouter celles de la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca), et ses 17 millions d’euros de budget annuel. Sans compter l’Observatoire français des drogues et toxicomanies (OFDT), l'Institut national de veille sanitaire ou encore l’Institut national du Cancer (Inca) qui se retrouvent souvent sur la même ligne lorsqu’il s’agit d’alcool. L'Inca est d'ailleurs monté au créneau pour "rappeler les enjeux majeurs de santé publique que sont les liens entre alcool et cancer et l'impact de la communication sur la consommation d'alcool." Pas un mot en revanche sur ses bénéfices.

 

Alcool et mortalité : que disent les études ?

Car pour l’ANPAA et ses satellites, l’amendement de la loi Evin constitue une sorte de Waterloo de la santé publique. C’est faire une lecture très subjective des données scientifiques.

L’alcool est une substance très complexe, avec des effets bénéfiques et des effets délétères. Le passage des uns aux autres dépend de la quantité consommée, du mode de consommation (régulier ou « binge »), de l’environnement alimentaire, de l’hérédité… La consommation modérée d’alcool est associée à une diminution du risque cardiovasculaire, du risque de diabète et peut-être du risque de certains cancers, ainsi que des risques de démence et de fractures. D’un autre côté, l’alcool est une substance addictive pour une partie de la population, responsable d’une part significative des accidents de la circulation ; une consommation importante est associée à des risques de cancer plus élevé (bouche, pharynx, larynx, oesophage, foie, colorectum, sein). Déterminer le niveau de la surmortalité due à la consommation d’alcool est un exercice délicat et les chiffres véhiculés en France au niveau officiel (49 000 morts par an) reposent sur des extrapolations hasardeuses et constestables (j’y reviendrai dans un autre épisode).

Pour y voir plus clair, on peut se rapporter aux méta-analyses publiées dans la littérature scientifique.

La plus récente date de 2014 et porte sur 9 études de cohorte publiées entre 1991 et 2010, soit 62 950 participants et 10 490 décès enregistrés. Les hommes qui consomment chaque jour un peu d’alcool (moins de 30 grammes par jour) ont une mortalité totale réduite de 10% par rapport à ceux qui ne boivent pas. Au-delà de 60 grammes d'alcool par jour, la mortalité était plus élevée que chez les abstinents, mais ce chiffre n'était pas significatif statistiquement (il aurait pu être dû au hasard). Chez les femmes, les études ne sont pas suffisantes pour dégager un résultat significatif. (1)

D’autres chercheurs, utilisant des outils statistiques comparables ont rapporté des résultats proches. Par exemple, Di Castelnuovo et coll. (2) ont rapporté à partir de l’analyse des résultats de 34 études, une mortalité réduite lorsqu’on ne boit pas plus de 3 verres par jour (hommes) et pas plus de 2 (femmes), le risque le lus faible se situant autour de 10 grammes par jour, soit un verre de vin de 10 centilitres. English et coll., (3) dans une méta-analyse de 16 études de cohorte trouvent une réduction de la mortalité de 16% pour les hommes qui boivent un à deux verres par jour, et une diminution de 12% pour les femmes qui ne dépassent pas un verre quotidien. Au-delà de 4 verres par jour pour les hommes, et 2 pour les femmes, la mortalité est plus élevée que chez les abstinents.

Les études suggèrent que plus de la moitié des Français de sexe masculin consomment moins de 4 verres par jour : une grande partie mourront plus tard que ceux qui ne boivent jamais. Mais au-delà, les risques s'inversent. Les petits buveurs réguliers devraient donc être encouragés dans leur modération, et même remerciés par la collectivité pour leur moindre contribution aux dépenses de santé. Une ristourne devrait leur être proposée par leur mutuelle. On en est loin.

Qu'en déduire au plan individuel ?

Pas d’alcool pour une femme enceinte, un enfant, une personne ayant un problème d’addiction, une personne malade du foie, une personne prenant des médicaments pouvant interagir avec l’éthanol.

Chez les jeunes conducteurs, l’alcool est un facteur majeur du risque d’accident, en particulier l’alcool festif, et ce risque dépasse probablement les bénéfices.

Après 30-40 ans, chez un homme, les bénéfices d’une consommation modérée (1 à 3 verres) l’emportent certainement sur les risques. Chez les femmes, et surtout après 60 ans, le calcul bénéfices/risques est plus compliqué, même si là encore, la balance pour des consommations modérées (1, voire 2 verres/j) est certainement en faveur des bénéfices, sauf risque avéré de cancer du sein. Mais il faut intégrer à cette balance le fait que les femmes redoutent plus le cancer du sein que l'infarctus.

Et, depuis le 16 juin, on peut écrire un tel article sans risquer d'être traîné devant les tribunaux.

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Sources

(1) Jayasekara H, English DR, Room R, MacInnis RJ. Alcohol consumption over time and risk of death: a systematic review and meta-analysis. Am J Epidemiol. 2014 May 1;179(9):1049-59. doi: 10.1093/aje/kwu028. Epub 2014 Mar 26. Review. PubMed PMID: 24670372. 

(2) Di Castelnuovo A. Alcohol dosing and total mortality in men and women: an updated meta-analysis of 34 prospective studies. Arch Intern Med 2006;166(22):2437-2445.

(3) English DR. The Quantification of Drug Caused Morbidity and Mortality in Australia, 1995 Edition. Canberra, Australia:Commonwealth Department of Human Services and Health; 1995.

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