6 raisons de taxer le lait (plutôt que la bière)

Par Collectif LaNutrition.fr - Journalistes scientifiques et diététiciennes Publié le 26/10/2012 Mis à jour le 22/02/2017
Les députés français ont alourdi le 25 octobre les taxes sur la bière, pour des raisons de santé publique. Mais ne sont-ils pas trompés de cible ?

Les députés ont voté jeudi 25 octobre 2012, à la demande du gouvernement, une hausse des taxes sur la bière (+160%), qui représentera un surcoût de l'ordre de 5 centimes sur un verre de 25 cL. Cette hausse (encore une !) répond, selon la ministre de la santé, à un souci de santé publique. Elle répond surtout à un besoin d’argent. Mais la cible retenue – une boisson alcoolisée – est-elle pertinente ?

L’alcool est certes responsable de décès prématurés, mais il réduit aussi la mortalité, notamment cardiovasculaire. La différence tient essentiellement à la dose et au rythme de consommation. L’excès d’alcool est impliqué dans près de la moitié des accidents de la route. Il peut entraîner des lésions graves du foie et du cœur, provoquer des dommages graves au fœtus, augmenter les risques de cancer du sein et d’autres cancers (souvent en association avec le tabac). A l’inverse, à dose modérée, tous les alcools semblent bons pour le cœur et le système vasculaire (1). Ils protègent probablement du diabète de type 2 et d’autres problèmes de santé comme les calculs biliaires. Certaines études trouvent également qu’un peu d’alcool prévient Alzheimer.

En général, les risques liés à la consommation d’alcool sont supérieurs aux bénéfices jusqu’à 30-40 ans, essentiellement à cause des accidents de la route. Après ces âges, boire un à deux verres d’alcool (bière ou vin) par jour peut réduire significativement le risque cardiovasculaire chez l’homme : dans ce cas, les bénéfices l’emportent sur les risques. Dans le cas d’une femme de 50 à 60 ans, l’alcool peut augmenter un peu le risque de cancer du sein, mais il y a dix fois plus de décès par maladie cardiovasculaire que de décès par cancer du sein. En plus, le risque de cancer lié à l’alcool est modulé par le niveau d’apport en vitamine B9 (folates, dans les légumes à feuilles) : plus il y a de végétaux et de B9 dans l’alimentation, moins le risque de cancer du sein associé à l’alcool est élevé.

L’augmentation des taxes sur la bière me paraît donc discutable du point de vue de la santé publique. On devrait plutôt informer le grand public des risques et des bénéfices de l’alcool (les campagnes ne portent aujourd'hui que sur les risques), afin que la consommation d’alcool ne dépasse pas 2 verres par jour pour un homme, et un verre pour une femme (hors grossesse). Les accidents de la route peuvent être prévenus par des contrôles routiers renforcés, en particulier à la sortie des boîtes de nuit.

Maintenant, rêvons un peu.

A taxer un aliment, le gouvernement serait plus inspiré de regarder du côté des produits laitiers. En voici 6 raisons.

1. Cela n’aurait aucune incidence sur les fractures. Les laitages (3 à 4 par jour) n’ont aucun intérêt dans la prévention des fractures, que ce soit chez l’enfant, l’adolescent ou les femmes ménopausées, contrairement à ce que les « experts » racontent (et encore le 23 octobre 2012 dans un « débat » sur France 5 pour lequel je n’avais pu me libérer). Aucune étude indépendante ne montre que les laitages protègent des fractures. L’Organisation mondiale de la santé, a mis au point un questionnaire appelé FRAX pour identifier les femmes à risque de fractures. Ce questionnaire ne leur demande pas combien de calcium ou de laitages elles consomment ou elles ont consommé. La raison ? L’OMS a mené ses propres études et a conclu que ni la consommation de lait, ni celle de calcium n’interviennent dans le risque de fractures. Consultez le questionnaire FRAX ici pour le vérifier.

2. Cela diminuerait le recours à l’ostéodensitométrie osseuse et entraînerait des économies pour la sécurité sociale (et moins de rayons X pour les femmes). Tant que les médecins resteront persuadés que la densité minérale osseuse (DMO) est l’outil de référence pour prédire le risque de fracture chez une femme en bonne santé, ils multiplieront ces examens, et donneront des conseils visant à augmenter la DMO, comme boire du lait.. Or on sait depuis quinze ans par une méta-analyse de 11 études, confirmée depuis, que la densité minérale osseuse « ne peut pas identifier les personnes qui auront une fracture. » Cet examen est inutile dans de nombreux cas et peut être remplacé par un simple questionnaire.

3. Cela stimulerait la consommation d’autres sources de calcium, meilleures pour la santé. Les « experts » nous disent que le calcium laitier est le mieux absorbé des aliments qui en contiennent. Or le calcium du lait est absorbé à hauteur de 30%, alors que dans de nombreux végétaux et de nombreuses eaux minérales, la fraction de calcium absorbée dépasse 40 voire 50%. Les végétariens ne manquent pas de calcium. Avec trois fois moins de calcium que nous dans leur alimentation, les petits Cambodgiens ou les petits Ghanéens ne sont pas carencés en calcium, car celui-ci est mieux absorbé. Lire plus à ce sujet dans l'ouvrage de référence Modern Nutrition in Health and Disease.

4. Cela réduirait le risque de maladies qui sont statistiquement liées à la consommation de laitages en excès (ou introduits trop tôt), comme le diabète de type-1, les troubles liés à l’intolérance au lactose, le cancer agressif de la prostate et dans une moindre mesure le cancer des ovaires et la maladie de Parkinson. Des économies importantes en consultations et traitements pourraient être réalisées.

5. Cela découragerait les médecins de se jeter dans les bras des industriels. Sur le plateau de la 5, le 23 octobre, 3 intervenants sur 5 étaient en situation de conflit d’intérêt. Ces liens ne sont jamais spontanément portés à la connaissance du public et il a fallu l’insistance des journalistes ce soir-là pour qu’un pédiatre admette du bout des lèvres qu’il siégeait à l’Institut Danone. Les deux autres n’ont pas été pris par la patrouille (pas encore). Or les brasseurs ont moins de moyens financiers que les vendeurs de lait et à ma connaissance il n’y a pas d’Institut Kronenbourg ni d'Institut Mützig ; donc en taxant l’industrie laitière plutôt que celle de la bière, on éviterait que des médecins en charge de la santé publique se retrouvent liés à des intérêts économiques.

6. On serait moins assommés de slogans publicitaires particulièrement éclairés comme « Nos amis pour la vie. » Si les laitages étaient taxés au nom d’impératifs de santé publique, c’est par définition qu’ils ne sont pas « nos amis pour la vie ». Si l'on veut être impertinent, le slogan « Nos ennuis pour la vie » serait peut-être plus adapté.

Bien sûr, comme pour les petits brasseurs, des exemptions de taxes pourraient être votées. Pour les producteurs indépendants qui n’élèvent pas d’animaux monstrueux (comme les Holstein), qui sont soucieux de donner aux bêtes une alimentation et un traitement respectueux de la physiologie et de l’environnement, qui ne sont pas aveuglés par la course au rendement, qui, loin du discours sur l’ostéoporose, nous donnent des produits traditionnels et goûteux, des aliments plaisir, que comme d'autres, j'aime à savourer à la fin du repas avec un bon pain et un verre de vin. (Ou, pourquoi pas, de bière).

Référence

(1) Ronksley PE, Brien SE, Turner BJ, and Mukamal, KJ. Association of alcohol consumption with selected cardiovascular disease outcomes: a systematic review and meta-analysis. British Medical Journal 2011; 342:d671; doi:10.1136/bmj.d671

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