Le rugby donne-t-il le cancer ?

Par Collectif LaNutrition.fr - Journalistes scientifiques et diététiciennes Publié le 23/03/2012 Mis à jour le 06/02/2017
Deux jeunes rugbymen Sarladais sont atteints d'un cancer.La créatine est fortement soupçonnée par les médias, mais un facteur de risque a été négligé par ces grands experts. Il est révélé en exclusivité dans cet article.

L'histoire

Depuis quelques jours une info circule plus vite qu'un ballon de rugby : deux jeunes rugbymen Sarladais âgés de 19 et 20 ans sont touchés par des cancers atypiques et certains suspectent un rôle de la créatine utilisée par les joueurs. Cette information a été publiée dans un premier temps le 20 Mars 2012 dans le journal Sud Ouest. Une information qui a rapidement fait les choux gras de tous les médias, relayée ainsi par Europe 1 ou Le Télégramme.

Si les cancers sont de plus en plus fréquents de nos jours, ces deux cas interpellent en raison du jeune âge des sportifs. L'Agence régionale de santé a donc été saisie du dossier et un médecin sollicité a déclaré que ces deux cas rappelaient étrangement deux cancers du même type qui avaient touché des joueurs de Sarlat il y a quelques années. Les enquêteurs ont donc cherché des points communs entre tous ces joueurs qui pourraient expliquer la maladie observée. Et c'est là que les gendarmes ont découvert au domicile des deux joueurs... de la créatine !  Une substance à la réputation sulfureuse. Pour Jean-Pierre de Mondenard, médecin du sport et expert en dopage, "le problème de la créatine, c'est que, seule, elle ne marche pas. Donc, certains fabricants peuvent modifier sa formule de manière à ce qu'elle soit plus efficace en matière de croissance musculaire. Néanmoins, il se peut aussi, et là c'est à l'insu du consommateur, qu'ils y ajoutent des anabolisants." et Jean-Luc Gadaud, ex-entraîneur de rugby, d'ajouter : "même si ce n'est pas mon rôle en tant que procureur de la République, je veux vraiment alerter les jeunes sur les dangers du recours à de tels produits, qu'ils soient interdits ou non."

La créatine c'est un peu comme la météo : le lundi elle est interdite et dopante, le mardi elle est dopante mais autorisée et en fin de semaine elle n'est ni dopante ni interdite. Et si nous nous intéressions aux faits ?

La créatine

Qu'est-ce que la créatine ?

La créatine est une substance naturelle azotée, synthétisée par le foie, le pancréas, les reins, mais qu’on se procure aussi dans l’alimentation à raison de 1 à 2 g/j. La créatine est utilisée par le corps pour maintenir des niveaux élevés d’ATP dans la cellule, la forme sous laquelle la cellule stocke l’énergie provenant de l’alimentation. Le corps humain contient en moyenne 100 grammes de créatine qui sont stockés principalement dans les muscles squelettiques sous forme de créatine phosphate. Les suppléments de créatine ont, dans certaines études permis d’augmenter la masse musculaire, surtout chez l’homme. Ils favorisent le stockage du glycogène. Par ailleurs, ils sont utiles dans certaines myopathies et troubles neuromusculaires et chez les patients cardiaques. Les suppléments de créatine sont en vente libre en France et en Europe.

La créatine est-elle un produit dopant ?

Ce concept c'est un peu la cerise pour le gâteau des journalistes sportifs. La créatine est disponible partout en vente libre, elle fonctionne et ne présente pas de danger, c'est donc le bouc émissaire idéal pour faire porter le chapeau. Il y a 10 ans, on parlait de créatine pour essayer de faire croire au grand public que c'était cela qui faisait gonfler les cuisses des footballeurs en quelques semaines, aujourd'hui elle reste un bouc émissaire à bon compte qui permet de ne pas parler des nombreux produits dopants (réellement dangereux, eux !) que s'injectent ou avalent les sportifs professionnels et parfois amateurs, notamment les stéroïdes anabolisants, l'hormone de croissance (GH) et ses analogues et les peptides de nouvelle génération, ces derniers parfaitement indétectables lors d'un contrôle anti-dopage. Le sport français est propre et il faut le faire croire au public ! Toujours est-il que la créatine n'est pas un produit dopant. La preuve ? Il n'est inscrit sur aucune liste de produits dopants, et notamment pas sur celle de l'agence mondiale antidopage, qui fait référence dans le milieu (cliquez ici pour consulter la liste des produits dopants).

La créatine est-elle cancérigène ?

Avant tout, petit rappel de physiologie : l'exposition à un carcinogène (par exemple le tabac) peut provoquer le développement d'un cancer. Même pour les substances les plus agressives, ces processus sont longs : plusieurs années au bas mot et jusqu'à 40 ans pour certains cancers. Les sportifs ont-ils pris la créatine en question pendant plusieurs années ? S'ils l'ont fait, alors il est possible que cette créatine ait ralenti plutôt qu'accéléré le développement des tumeurs et la question se pose très sérieusement de savoir s'ils n'ont pas intérêt à continuer de prendre de la créatine. Dans la littérature médicale, la créatine est en effet utilisée comme adjuvant dans le traitement de certains cancers (1). L'idée, popularisée en 2001 par l'Afssa (Agence française de sécurité sanitaire des aliments, aujourd'hui Anses) dans un avis controversé que la créatine pourrait être cancérigène ne reposait et ne repose toujours sur aucune preuve.

La créatine est-elle interdite ?

La créatine n'est ni dopante ni interdite. La championne cycliste Jeannie Longo avait d'ailleurs gagné son procès contre le journal Le Parisien-Aujourd'hui, qui l'accusait à tort de vendre des produits interdits (en désignant la créatine). (cliquer ici pour consulter le jugement)

La créatine est-elle efficace ?

Avec des centaines d'études publiées, la créatine fait partie des compléments alimentaires les plus étudiés. Ces études montrent qu'elle n'est pas efficace chez tout le monde mais qu'elle permet d'augmenter la force et les performances dans les efforts explosifs (sprint, musculation, etc.) et de gagner en masse musculaire modérément chez 70% des utilisateurs. On parle de sujets "répondants" ou "non répondants". Contrairement aux produits dopants le gain procuré par la créatine est léger et se développe au fil du temps, conjointement à l'entraînement. De plus la créatine a peu ou pas d'effets secondaires sérieux connus. Là encore, on est très loin des stéroïdes anabolisants et autres hormones utilisées par les sportifs de haut niveau. Thierry Souccar va plus loin, il explique pourquoi les sportifs français devraient prendre de la créatine.

Pour tout savoir sur la créatine vous pouvez consulter l'article de Julien Venesson, consultant en nutrition et santé et auteur du livre "Nutrition de la Force" (lire un extrait ICI >>). Cet article comprend les explications sur le métabolisme de la créatine, son devenir, ses effets bénéfiques et indésirables et s'appuie sur une bibliographie médicale jointe en bas de page (à lire ici).

Qu'est-ce qui a rendu ces deux jeunes joueurs malades ?

Cette question est évidemment délicate et le dossier médical lui-même ne permettra peut-être jamais de lui apporter une réponse claire. La presse évoque des compléments alimentaires contaminés par des stéroïdes anabolisants. Les produits vendus en France sont très contrôlés. Des cas de contaminations de créatine (de marques françaises) par des stéroïdes anabolisants n'ont jamais été observés. En revanche, il est exact que cette contamination est documentée pour des produits étrangers, en particulier américains, dont une minorité a pu contenir des traces de dérivés hormonaux et de stéroïdes anabolisants (2). Ces substances sont métabolisées par le foie et peuvent être toxiques pour cet organe ou d'autres. Il s'agit de cas rares, mais de telles substances, à long terme, pourraient en théorie favoriser des tumeurs bénignes, ou malignes du foie. Il est également possible que ces joueurs aient consommé d'autres substances dangereuses y compris à leur insu, ou qu'ils aient été exposés à des toxiques de toute autre sorte. Quoi qu'il en soit, la créatine elle-même n'a très certainement rien à voir là-dedans.

Mais notre enquête auprès des familiers de ce dossier nous indique que les enquêteurs n'ont aucune piste sérieuse, ce qui laisse les médias libres de se livrer aux supputations les plus fantaisistes sur la seule base des habitudes que ces joueurs partageaient. Comme les grands experts médiatiques, demandons-nous ceci : qu'avaient-ils donc en commun qui puisse expliquer leur état de santé. La consommation de créatine, certes. Mais quoi d'autre ? Tiens, il est un point crucial qui a échappé aux "experts" médiatiques : ces jeunes jouaient tous au rugby !

Bon sang, mais c'est bien sûr ! Et si le rugby - à VX, pas à XIII - était cancérogène ?

LaNutrition.fr souhaite de tout coeur un rapide rétablissement à ces jeunes sportifs.

Références : (1) Patra S, Ghosh A, Roy SS, Bera S, Das M, Talukdar D, Ray S, Wallimann T, Ray M. A short review on creatine-creatine kinase system in relation to cancer and some experimental results on creatine as adjuvant in cancer therapy. Amino Acids. 2011 Jul 19.

(2) Baume N, Mahler N, Kamber M, Mangin P, Saugy M. Research of stimulants and anabolic steroids in dietary supplements. Scand J Med Sci Sports. 2006 Feb;16(1):41-8.

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