Pierre Boutron, chercheuse spécialisé en cryobiologie et auteur du livre Arrêtons de vieillir, explique comment la cryobiologie permet de préserver des organes.
Quand les chercheurs peinent encore à congeler des organes humains en entier, certains animaux sont capables depuis toujours de survivre à des températures largement en dessous de 0 °C.
On connaît au moins quatre espèces de grenouilles qui supportent d'être en partie gelées : la grenouille des bois (Rana sylvatica), la rainette crucifère (Hyla crucifer), la rainette versicolor (Hyla versicolor) et la rainette à trois bandes (Pseudacris triseriata). Elles peuvent survivre congelées pendant des semaines avec 65 % de leur eau corporelle transformée en glace. Elles peuvent même survivre après avoir été refroidies jusqu'à -8 °C. A cette température, elles ne respirent plus et leur cœur est arrêté. Leurs pattes sont cassantes comme du verre. Mais elles sont « vivantes ».
La salamandre de Sibérie, certaines tortues, le serpent jarretière, le lézard commun de France (Lacerta vivipara), de nombreuses espèces d'invertébrés marins, les moules, les bigorneaux, les clovisses et certaines plantes peuvent aussi survivre à des températures ponctuelles en dessous de 0°C. Des centaines d’espèces d’insectes, des araignées, des tiques, des mites supportent même des températures très inférieures à celles que peuvent supporter les grenouilles ou les lézards. Enfin, de très nombreux micro-organismes et organismes unicellulaires peuvent même supporter la température de l’azote liquide (-196 °C).
La stratégie des grenouilles
Tous les animaux qui supportent des températures négatives synthétisent des cryoprotecteurs comme le glycérol et le glucose (lire notre article sur les cryoprotecteurs). Ces substances ont la même utilité pour les grenouilles que celles que les chercheurs en cryobiologie utilisent pour leurs études. La fabrication du glucose dans le foie à partir du glycogène ne se déclenche que lorsque la peau de la grenouille commence à geler. Au printemps, le glucose est rapidement transformé en glycogène, ce qui peut éviter à la grenouille les effets néfastes qu’un excès de glucose pourrait présenter à des températures plus élevées.
C’est la température extérieure qui induit la formation de glace dans la grenouille. La glace ne se forme ni dans les cellules, ni dans les organes, mais dans la cavité abdominale, entre la peau et les muscles. Ceci permet à la grenouille de réveiller sans dommages au niveau des cellules ni des organes quand la température remonte.
Pourquoi les poissons ne gèlent pas dans l’Antarctique |
Pour éviter de geler, le sang des poissons qui vivent dans l’océan Antarctique contient des glycoprotéines antigel. Elles se comportent comme des filets, dans lesquels sont piégés les noyaux de cristallisation de glace dès qu'ils apparaissent. |
Les stratégies des insectes
Pour se protéger et éviter que trop de glace se forme, les insectes qui se laissent geler emploient les mêmes cryoprotecteurs que ceux qui résistent au gel. La majorité des espèces produit un seul cryoprotecteur dont le plus courant est le glycérol, mais d'autres en produisent plusieurs. Le couple glycérol - sorbitol est le plus fréquent. La quantité de cryoprotecteurs peut atteindre 20 % du poids du corps de l’animal. Les insectes qui évitent le gel contiennent en outre, comme les poissons antarctiques, des protéines antigel qui empêchent les cristaux de glace de croître, même à des températures beaucoup plus basses que celles que connaissent ces animaux.
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