Cancer de la prostate : trop dépisté, trop traité

Par Juliette Pouyat - Journaliste scientifique Publié le 24/11/2016 Mis à jour le 25/06/2018
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Le dépistage du cancer de la prostate par dosage du PSA chez les personnes sans symptômes est très répandu. Pourtant il ne réduit pas la mortalité, entraîne surdiagnostic, traitements inutiles, et effets indésirables. 

Depuis 2 décennies, le cancer de la prostate est devenu le plus fréquent chez l’homme. C’est à la pratique croissante du dosage du PSA (prostate-specific antigen) que l’on doit en grande partie l'augmentation du nombre de cas diagnostiqués. En effet, lors d'un bilan de santé chez un homme de plus de 40 ans, les médecins prescrivent très souvent ("pour voir") un dosage du PSA, même en l'absence de symptômes et de signes spécifiques.

Or le risque de doser systématiquement le PSA est d’aboutir à des excès de diagnostics et en conséquence un sur-traitement chez des personnes qui n’auraient pas eu à souffrir de leur cancer de la prostate au cours de leur vie. En effet, le test PSA peut détecter tous types de cancers, y compris des petits cancers peu évolutifs qu'on a tendance à traiter quand même. En d’autres termes il conduit à diagnostiquer des cancers qui n'en sont pas ou qui sont totalement bénins parce qu'ils évoluent extrêmement lentement. En France, il y aurait entre 3200 et 4800 patients sur-traités, avec des effets indésirables fréquents qui affectent la qualité de vie : incontinence, impuissance et cystite due aux radiations...

Lire : Cancer de la prostate : facteurs de risque et prévention

Des traitements parfois inutiles et aux conséquences lourdes

Ainsi selon une étude publiée par le Lancet en 2003, sur 1 million d’hommes de plus 50 ans se soumettant à un dosage du PSA :

  • 10 % auront un taux de PSA supérieur à la normale, soit 100 000,
  • 2 % auront des biopsies qui reviendront positives (retrouvant des cellules cancéreuses), soit 20 000,
  • 1% sera traité par chirurgie (prostatectomie radicale), soit 10 000,

Mais :

  • 400 opérés sur 1000, même par des mains expertes resteront impuissants, soit 4000 des 10 000 opérés et du million d'hommes dépistés
  • 30 opérés sur 1000, même par des mains expertes resteront incontinents urinaires sévères, soit 300.
  • 1 opéré sur 1000 décèdera des suites opératoires, soit 10 patients pour 1 million ayant pratiqué le dépistage.

Ce que disent les études : aucun effet sur la mortalité

Plusieurs études ont évalué l’effet des tests PSA sur la mortalité par cancer de la prostate. En 2009, l’étude Prostate, Lung, Colorectal and Ovarian (PCLO) Cancer Screening trial (sur plus de 76 000 Américains) et l’étude European Randomized Study of Screening for Prostate Cancer, ou ERSPC (sur plus de 162 000 Européens), publiées toutes deux dans le New England Journal of Medicine, avaient abouti à des résultats différents. Les deux études comparaient la mortalité par cancer de la prostate après environ dix ans de suivi d’un groupe d’hommes dont le taux de PSA était régulièrement mesuré (en plus des examens habituels) à celle d’un groupe d’hommes chez qui le taux de PSA n’était pas évalué du tout.

L’étude PLCO n’a pas trouvé de différence significative en termes de mortalité entre les deux groupes tandis que l’étude ERSPC a conclu à une réduction du taux de mortalité par cancer de la prostate de 20% dans le groupe dépisté régulièrement. Cependant, l’étude ERSPC a aussi abouti à un résultat qui pose question : il faut mesurer le taux de PSA de 1410 hommes et en traiter 48 pour prévenir un seul décès, donc le bénéfice du traitement est-il vraiment supérieur aux risques ?

Par ailleurs, les résultats de ces deux études ont été par la suite beaucoup discutés par les scientifiques. Certaines analyses ont conclu qu’aucune des deux ne montraient de bénéfices en termes de mortalité par cancer de la prostate. Et que les deux étaient associées à un grand risque de surdiagnostic. En résumé, les résultats restaient ambigus... jusqu'en mars 2018 où une étude publiée dans le JAMA a confirmé, sur un nombre encore plus important de personnes, que faire un dosage de PSA après 50 ans ne permet pas de sauver des vies. Cette étude, appelée CAP (pour The Cluster Randomized Trial of PSA Testing for Prostate Cancer) a été réalisée auprès de 400 000 hommes âgés de 50 à 69 ans (via 600 cabinets de généralistes anglais) et a évalué les effets sur la mortalité par cancer de la prostate d’un seul test PSA par rapport à pas de test du tout.  Voici ses résultats en image :

On peut voir sur le schéma qu’aucune réduction de la mortalité n’a pu être constatée chez les patients dépistés. En revanche, il y a eu sans surprise dans ce groupe plus de diagnostics de cancer de la prostate.

Un nouveau document publié dans The Journal of American Medicine Association a révisé "l'évidence" selon laquelle le dosage des PSA serait bénéfique aux patients. Sa conclusion est la même que la nôtre : aucun impact sur la mortalité et sur diagnostic des formes peu agressives de cancer. Toutefois, les auteurs précisent que certains facteurs, comme l'ethnie (les Afro-Américains ont deux fois plus de cancer agressif de la prostate), peuvent appeler à un dépistage plus précoce. Par ailleurs, ils suggèrent, eux aussi, la surveillance active à la place des traitements selon certaines modalités. Ils rappellent également que le dépistage s'améliore et que de nouvelles techniques pourront bientôt permettre d'identifier les hommes ayant un phénotype "agressif".

La surveillance active plutôt que les traitements ?

Que faire alors si la balance bénéfices/risques du diagnostic de cancer de la prostate n'est pas en faveur des tests PSA ? Certains médecins prônent la surveillance active : il ne s’agit pas de ne rien faire, mais d’effectuer un suivi régulier pour s’assurer que le cancer ne se développe pas brutalement.

Une étude parue dans New England Journal of Medicine en 2016 a comparé pour la première fois la surveillance active, la chirurgie et la radiothérapie dans un groupe d’hommes qui avaient des niveaux élevés de PSA. 1643 hommes avec un cancer localisé de la prostate ont été suivis pendant 10 ans. Certains se sont fait opérer (553), d’autres ont eu une radiothérapie (545) et les derniers ont été surveillés activement (545).

Dans les trois groupes, le taux de mortalité due à un cancer de la prostate a été de l’ordre de 1 % : 17 patients sont décédés, dont 8 dans le groupe en suivi actif, 5 dans le groupe opéré et 4 dans le groupe avec radiothérapie. Il n’y avait donc pas de différence de mortalité significative entre les trois groupes. Cependant, dans le groupe en surveillance active, il y a eu deux fois plus de cancers qui ont progressé que dans les groupes qui ont eu la chirurgie ou la radiothérapie.

Par conséquent, avant de décider quel traitement est le plus approprié, plusieurs paramètres doivent être pris en compte : l’agressivité du cancer, la santé du patient, son âge… Ainsi, des hommes âgés qui souffrent d’autres pathologies pourraient se contenter d’une surveillance active. Chez les hommes jeunes en bonne santé, le choix est plus difficile car le cancer risque plus de se développer au fil des ans. Les conséquences de l’opération doivent être prises en compte.

Dans un éditorial paru dans le Bulletin Epidémiologique Hebdomadaire, le président de l’Institut national du cancer (INCa), Norbert Ifrah, et le directeur de Santé publique France, François Bourdillon rappellent que la Haute Autorité de santé a conclu que "la balance bénéfices-risques n’est pas suffisamment favorable à la réalisation systématique d’un dosage de PSA à visée de dépistage".

Lire : cancer de la prostate : le dépistage par PSA en recul aux Etats-Unis

Pourtant la pratique du dépistage par dosage du PSA s’est généralisée en France. « Les données de l’Assurance maladie montrent que la fréquence de ce dosage reste élevée chez les hommes de plus de 40 ans. En 2014, 48% d’entre eux avaient réalisé un dosage du PSA dans les trois années précédentes, cette fréquence atteignant 90% pour les hommes âgés de 65 à 79 ans ».

2 livres à lire sur ce sujet : Touche pas à ma prostate, du Dr Mark Scholtz et Trop de médecine, trop peu de soins, du Pr Claude Béraud

Sources

Ifrah N, Bourdillon F. Éditorial. Cancer de la prostate : faut-il dépister ? Bull Epidémiol Hebd. 2016;(39-40):692-3. http://invs. santepubliquefrance.fr/beh/2016/39-40/2016_39-40_0.html

Hamdy FC, Donovan JL, Lane JA, Mason M, Metcalfe C, Holding P, Davis M, Peters TJ, Turner EL, Martin RM, Oxley J, Robinson M, Staffurth J, Walsh E, Bollina P, Catto J, Doble A, Doherty A, Gillatt D, Kockelbergh R, Kynaston H, Paul A, Powell P, Prescott S, Rosario DJ, Rowe E, Neal DE; ProtecT Study Group. 10-Year Outcomes after Monitoring, Surgery, or Radiotherapy for Localized Prostate Cancer. N Engl J Med. 2016 Sep 14.

Delpierre C, Lamy S, Kelly-Irving M, Molinié F, Velten M, Tretarre B, Woronoff AS, Buemi A, Lapôtre-Ledoux B, Bara S, Guizard AV, Colonna M, Grosclaude P. Life expectancy estimates as a key factor in over-treatment: the case of prostate cancer. Cancer Epidemiol. 2013 Aug;37(4):462-8. doi: 10.1016/j.canep.2013.03.014.

Elisabeth Eckersberger, Julia Finkelstein, Helen Sadri, Markus Margreiter, Samir S Taneja, Herbert Lepor, and Bob Djavan : Screening for Prostate Cancer: A Review of the ERSPC and PLCO Trials. Rev Urol. 2009 Summer; 11(3): 127–133.
Robert K. Nam : Does screening for prostate cancer reduce prostate cancer mortality? Can Urol Assoc J. 2009 Jun; 3(3): 187–188.

Richard M. Martin,  Jenny L. Donovan, Emma L. Turner, et al : Effect of a Low-Intensity PSA-Based Screening Intervention on Prostate Cancer Mortality. The CAP Randomized Clinical Trial. JAMA. 2018;319(9):883-895. doi:10.1001/jama.2018.0154.

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