Les anti-douleurs naturels

Par Collectif LaNutrition.fr - Journalistes scientifiques et diététiciennes Publié le 17/07/2006 Mis à jour le 21/11/2017
Peut-on soulager la douleur avec la même efficacité que l’aspirine, en prenant simplement des plantes ? Les « aspirines végétales » occasionnent-elles moins d’effets indésirables que leur cousine médicament ? Réponse dans ce dossier.

L’aspirine est un médicament universellement connu. C’est l’un des médicaments les plus utilisés. Antalgique, antipyrétique, antiagrégant plaquettaire, anti-inflammatoire, c’est le médicament à tout faire. Cependant, comme tous les anti-inflammatoires non-stéroïdiens, elle provoque à la longue des effets indésirables sur le système digestif. D’où la vogue de substances naturelles supposées efficaces et moins toxiques. LaNutrition.fr a enquêté sur leurs effets réels et leur efficacité.

Les salicylates dans la nature

Il y a plusieurs millénaires, les Sumériens utilisaient les feuilles de saule comme antidouleur. Hippocrate ( env. 460-377 av. J.-C. ) préconisait, pour soulager la fièvre, une décoction d'écorce de saule blanc (Salix alba).

D’autres plantes avec des vertus médicinales comparables à celle du saule ont été découvertes par la suite : la reine-des-prés (Spirea ulmaria) à la Renaissance et la gaulthérie (Gaultheria procumbens) dont l’huile essentielle est un anti-inflammatoire très puissant.

L’utilisation de ces plantes se fera de manière empirique jusqu’au XIXe siècle, époque à laquelle démarrèrent les premières études scientifiques sur les extraits de plante. L’objectif est alors d’identifier puis d’isoler les principes actifs et les obtenir à l’état pur.

Les travaux de nombreux chimistes aboutissent à l’isolement de plusieurs salicylés (la salicine dans le saule, l’aldéhyde salicylique dans la reine des prés, le salycilate de méthyle dans la gaultherie) et à leur transformation en acide salicylique.

Une vingtaine de plantes ont été répertoriées pour leur teneur en salicylés (1). L’une des plantes les plus étudiées à ce jour est le saule blanc (nom latin : Salix alba, en anglais : willow, partie active : l’écorce).

Parmi la vingtaine de plantes connues pour leur teneur en salicylés, la reine des prés (nom latin : Spirea ulmaria, nom anglais : meadowsweet, partie active : les fleurs) et la gaultherie (nom latin : Gaultheria procumbens, nom anglais : wintergreen, partie active : les feuilles) ont la particularité d’être très complètes dans leur composition (d’après Duraffourd et Lapraz) (2). Elles renferment :

- du monotropitoside qui libère du salicylate de méthyle,

- de la gaultherine qui libère l’éther méthylique de l’acide salycilique

- du salicylate de méthyle.

Plante

Salicylés

Partie

Concentration (ppm)

basse

haute

Salix alba L.

Saule blanc

Salicine

écorce

42 000

25 000

110 000

Filipendula ulmaria L.

Reine-des-prés

Salycilate de méthyle

HE

15 000

Salicylaldéhyde

HE

700 000

750 000

HE de la fleur

748 000

Acide salicylique

Tige

16

Ester méthylique de l’acide salicylique

HE de la fleur

13 000

Gaultheria procumbens L.

Salicylate de méthyle

feuille

5 445

7 920

gaultherine

feuille

1 450

Gaultheria fragrantissima WALL

Salicylate de méthyle

pousse

1 150

11 890

Betula lenta L.

Bouleau

Salicylate de méthyle

Ecorce

2 231

5 988

Glycyrrhiza glabra L.

Réglisse

Acide salicylique

Rhizome

567


De l’acide salicylique à l’aspirine

L’acide salicylique est agressif pour l’estomac et l’intestin et son goût amer pose problème. C’est alors qu’on a synthétisé le salicylate de sodium. Son goût est légèrement moins amer que celui de l’acide salicylique toutefois les effets secondaires gastro-intestinaux subsistent. Il fallait donc un autre dérivé salicylé avec un goût convenable et qui ne provoque pas d’irritations gastriques. C’est ce qui fut obtenu avec l’acide acétylsalycilique synthétisé par Félix Hoffmann en 1897 (réaction de synthèse totale qui a permis d’obtenir l’acide acétylsalicylique à l’état pur). Cette molécule sera brevetée en 1899 sous le nom d’aspirine par la firme Bayer et commercialisée en 1900.

 


Les plantes sont-elles efficaces ?

L’acide salicylique issu du métabolisme de la salicine est indéniablement efficace contre la douleur notamment dans les rhumatismes. La Commission E (Allemagne) et l’ESCOP (European Scientific Cooperative on Phytotherapy) reconnaissent l’efficacité de l’écorce de saule pour faire baisser la fièvre, soulager les douleurs rhumatismales ainsi que le mal de tête. L’écorce de saule renferme principalement de la salicine qui est métabolisée en acide salycilique. Elle renferme aussi des flavonoïdes qui ont également des vertus anti-inflammatoires (3).
La dose active généralement suggérée est de 240 mg de salicine par jour. Le principal métabolite, l’acide salicylique représente 86% des salicylates totaux. Le pic de concentration en acide salycilique dans le sérum (obtenu environ 2 h après l’ingestion) est de l’ordre de 1,2 mg /l, une valeur équivalente est obtenue avec la prise de 87 mg d’aspirine. La dose efficace en salicylés du saule est donc bien inférieure à celle de l’aspirine qui elle, doit être administrée à raison de 1 300 à 2 600 mg/j ! (4)

Saule blanc

La posologie conseillée pour la poudre d’écorce est de 4 à 6 g/j en 2 prises

L’écorce de Salix alba de saveur très amère contient des traces de glucoside de saligénol. D’autres espèces, notamment Salix purpurea L. et Salix fragilis L. contiennent un taux élevé de salicoside 3 à 7 % et 1 à 3 % respectivement.

Recherches sur le saule blanc


Etude

Participants

Traitements

Durée

Conclusions

1996 Mills

 

étude croisée

82 personnes ayant des douleurs arthritiques chroniques

Extrait de saule (240 mg salicine/j) versus placebo

2 mois

Faible effet analgésique

2000 Schmid

 

randomisé double aveugle

78 personnes

souffrant d’arthrose

Extrait d’écorce de saule (240 mg salicine/j) versus placebo

2 semaines

Diminution de 14% de la douleur dans le ge traité. Augmentation de la douleur dans le gpe placebo (+2ù)

Faible effet analgésique significatif.

2000 Chrubasik

 

randomisé double aveugle

191 personnes ayant des

douleurs lombaires chroniques

Extrait d’écorce de saule 240 mg/j (gpe1), 120 mg/j (gpe2), placebo

(possibilité de prendre du tramadol, un analgésique)

4 semaines

39% des patients ne ressentaient plus aucune douleur dans le gpe1 contre 21% dans le gpe2 et 6% dans le gpe placebo. Gpe1 : effet significatif ressenti au bout d’une semaine.

1 réaction allergique sévère

2001 Chrubasik

 

étude ouverte

non randomisé

451 personnes ayant des

douleurs lombaires chroniques

Extrait d’écorce de saule 240 mg/j (gpe1), 120 mg/j (gpe2), traitement classique AINS (possibilité de prendre un AINS en complément)

4 semaines

40% des patients ne ressentaient plus aucune douleur dans le gpe1 contre 19% dans le gpe2 et 18% dans le gpe AINS.

 

2001 Chrubasik

 

Essai contrôlé randomisé

228 personnes ayant des

douleurs lombaires

Extrait d’écorce de saule (240 mg/j) versus rofecoxib (Vioxx®, inhibiteur de la COX2) 12,5 mg/j

4 semaines

L’extrait de saule est aussi efficace contre les douleurs que le Vioxx ▲ (le Vioxx a été retiré du marché en sept 2004, car augmentation du risque cardiovasculaire)

2004

Biegert

 

Randomisé double aveugle

-127 personnes souffrant d’arthrose

 

-26 personnes souffrant d’arthrite

- Extrait d’écorce de saule (240 mg/j) vs diclofenac (100mg/j) vs placebo

- Extrait d’écorce de saule (240 mg/j) vs placebo

6 semaines

Résultats non significatifs

Efficacité de l’extrait de saule non démontrée.

Les effets indésirables ont été répertoriés dans chacun des groupes (23 dans le groupe extrait de l’écorce de saule contre 27 dans le groupe Vioxx).

Effets gastro-intestinaux : 13 dans le groupe extrait de saule, 17 dans le groupe Vioxx. Ces effets semblaient plus sévères dans le groupe Vioxx (1 cas d’ulcère et 1 cas de saignement gastrointestinal) si bien que 9 personnes ont abandonné l’étude contre 4 dans le groupe saule. Il y a eu 5 cas d’allergie cutanée dans le groupe saule et un cas d’asthme dans le groupe Vioxx (voir tableau en annexe).

Doses thérapeutiques de l’aspirine chez l’adulte

- antalgique et antipyrétique : par prise de 0,30 g à 1 g et jusqu’à environ 3 g par jour

- anti-inflammatoire : de 3 à 6 g par jour

- antiagrégant plaquettaire : si des posologies de l’ordre de 1 à 1,5 g se sont révélées actives, la posologie la plus basse actuellement considérée comme efficace (à partir d’études contrôlées) est de l’ordre de 300 à 333 mg.

Cependant, une étude a montré l’efficacité de 160 mg par jour d’aspirine dans le traitement de l’infarctus du myocarde à la phase aiguë et subaiguë.

(Source AFSSAPS)

Les effets secondaires de l’aspirine et des salicylates

En dessous de la dose pharmacologique active, l’extrait d’écorce de saule ne provoque aucun effet indésirable au niveau de la muqueuse gastrique comparativement à l’acide acétylsalycilique. De même, son pouvoir antiagrégant est nettement inférieur (10).

Ce qui signifie cependant qu’à la dose efficace, on peut voir apparaître des effets indésirables (douleurs digestives), qui ne sont pas expliqués par les mécanismes d’action connus. Pour ces raisons, les autorités sanitaires des Etats-Unis mettent en garde contre les irritations de l’estomac avec ces substances. Elles sont fortement déconseillées dans les ulcères, pendant la grossesse et chez l’enfant.

De son côté, l’aspirine entraîne des effets indésirables bien documentés :

- Les prostaglandines issues de la COX1 ont un double effet protecteur au niveau de la muqueuse gastrique : elles diminuent la production d’acide et augmentent la production de mucus. Même à faible dose l’aspirine inhibe la COX1 ce qui entraîne rapidement en cas d’utilisation prolongée une fragilisation de la paroi gastrique pouvant conduire à des saignements voire des ulcérations gastriques.

- L’aspirine allonge le temps de saignement (une simple dose de 300 milligrammes peut perturber l'hémostase, une dose de 650 milligrammes double le temps de saignement d'un sujet normal pour une période de 4 à 7 jours). Ceci s’explique par le fait que les membranes des plaquettes sont riches en COX1 qui normalement (lorsqu’elle n’est pas bloquée) transforme l’acide arachidonique en thromboxane A2 au pouvoir proagrégant. (A dose élevée, l’aspirine peut perdre son pouvoir antiagrégant).

- 3 % de la population globale (et 10 % des asthmatiques) sont intolérants à l’aspirine. La cascade métabolique de l’acide arachidonique conduit aux prostaglandines via les cyclooxygénases et aux leucotriènes via les lipooxygénases. L’utilisation d’aspirine bloque la voie des cyclooxygénases et conduirait chez les patients intolérants à une surproduction de leucotriènes par suractivation de l’activité de la lipooxygénase. Les leucotriènes en excès provoquent une inflammation chronique.

- Syndrome de Reyes : une maladie rare qui atteint surtout des enfants ou des adolescents pendant une maladie virale, comme la varicelle ou la grippe. Cette maladie peut être fatale (20-30 % des cas). Ce syndrome peut être favorisé par la prise d’aspirine (en cas d’infection virale).

En conclusion, les plantes riches en salicylates sont efficaces sur les douleurs mais il faut les utiliser avec les mêmes précautions que celles qui sont recommandées pour l’aspirine.

Pour les spécialistes : comment agissent les salicylés et l’aspirine ?

Pendant 70 ans, les médecins ont eu recours à l’aspirine sans que les mécanismes d’action des salicylés ni ceux de l’aspirine ne soient connus. Il a fallu attendre 1971 pour trouver la première explication cohérente du mode d'action de l'aspirine (cette découverte valut à son auteur, le Britannique John Vane, le Prix Nobel de médecine en 1982) et par conséquent de celui des salicylés.

Les salicylés inhibent la synthèse des prostaglandines inflammatoires en bloquant une enzyme appelée cyclooxygénase (Cox-2)

Les cyclooxygénases (COX1 et COX2) sont des enzymes clé de la cascade métabolique de l’acide arachidonique qu’elles transforment en prostaglandines et en thromboxanes. Ces prostaglandines sont des médiateurs de l’inflammation, de la douleur et de la fièvre.

La COX-1 est active en permanence (on dit qu’elle est constitutive). On trouve cette enzyme principalement dans les plaquettes, au niveau des cellules de la muqueuse gastrique, des cellules nerveuses et dans les tubules rénaux.

La COX-2 est dite « inductible » car elle ne s’active que lors de l’inflammation. On la trouve préférentiellement dans les cellules de l’inflammation et dans celles des articulations.

D’autres enzymes fondamentales génèrent des substances inflammatoires, notamment les thromboxanes et les leucotriènes qui sont impliqués dans diverses pathologies, en particulier l’asthme. Les salicylés et l’aspirine n’ont pas d’effet significatif sur les lipooxygénases (LOX).

Les salicylés agissent selon trois modes d’action

- L’acide salicylique à dose thérapeutique (10-5 à 10-4 mol/l), bloque la transcription du gène qui code pour la COX-2. Ce mécanisme a été proposé par Xu (5).

- L’acide salicylique à dose élevée (>5mmol/l), inhibe l’activation de NFkappaB NFkappaB est un facteur de transcription. Qu’est-ce qu’un facteur de transcription ? C’est une protéine nécessaire à l’initiation de la transcription des gènes (des portions d’ADN sont transcrites en ARNm ; le brin d’ARNm quitte le noyau pour rejoindre le cytoplasme où il est « traduit » en protéines par les ribosomes).
NFkappaB est une famille de facteurs de transcription des gènes de la réaction inflammatoire (entre autres). Sous sa forme inactive, NFkappaB est retenu dans le cytoplasme par une protéine IkappaB. Lorsqu’il y a inflammation, IkappaB est dégradé. NFkappaB peut alors gagner le noyau cellulaire (translocation) et se lier dans la région promotrice de nombreux gènes impliqués dans l’inflammation. En 1998, des chercheurs ont montré que l’acide salicylique c’est-à-dire l’aspirine dé-acétylée empêche la dégradation de IkappaB. NFkappaB reste par conséquent dans le cytoplasme où il ne peut pas enclencher la réaction inflammatoire (6)

- L’aspirine, en plus, inhibe les cyclooxygénases (COX1 et COX2) par acétylation.

L'aspirine est absorbée par la muqueuse gastrique ou par la paroi intestinale. Les molécules passent dans le sang, puis obligatoirement dans le foie, avant d'être distribuées à tout l'organisme et éliminées ensuite par les urines.

L’aspirine est métabolisée en deux étapes. La phase I est une hydrolyse de la liaison ester qui libère l'acide salicylique et l'acide acétique. La phase II ne concerne que l'acide salicylique qui est glycoconjugué dans le foie, puis éliminé dans les urines.

La demi-vie de l'aspirine est de 20 minutes. Elle est très rapidement métabolisée en acide salycilique dont la demi-vie varie de 2 à 30 heures selon sa concentration (7) (8).

Le principal métabolite urinaire est l’acide salicylurique (80 %). On retrouve également de l’acide salicylique inchangé (5 %).

Nous avons vu que l’aspirine est rapidement métabolisée en acide salicylique. L’acide salicylique ne peut pas bloquer directement l’activité de l’enzyme, mais l’aspirine le fait.

Voici l’explication : l’aspirine agit comme un donneur de groupe acétyle. Le groupe acétyle se fixe sur un acide sérine des cyclooxygénases ce qui produit une inhibition irréversible des enzymes (l’acide arachidonique ne peut plus se fixer à l’enzyme) d’où une inhibition de la synthèse des prostaglandines inflammatoires. L’aspirine a une plus forte affinité pour la COX1 que pour la COX2 (le site actif de la COX2 étant de plus grande taille et plus flexible que celui de la COX1) (9). Pour obtenir une action sur la COX2, il faut utiliser de plus fortes doses d’aspirine.

Voir aussi notre article sur " La merveilleuse histoire du Vioxx"


Références

(1) Duraffourd C et Lapraz JC : Traité de phytothérapie clinique. Ed Masson, 2002, Paris.

(2) Duraffourd C et Lapraz JC : Traité de phytothérapie clinique. Ed Masson, 2002, Paris.

(3) Rombi M: 100 plantes médicinales, Editions Romart, Nice, 1998.

(4) Scmid B : Pharmacokinetics of salicin after oral administration of a standardised willow bark ectract. Eur J Clin Pharmacol 2001, 57(5) : 387-391.

(5) Xu XM : Suppression of inducible cyclooxygenase-2 gene transcription by aspirin and salycilate. Proc Natl Acad Sci USA 1999;96:5292-5297.

(6) Yin MJ : The antiinflammatory agents aspirin and salicylate inhibit the activity of I B kinase ß. Nature 1998;396:77-80.

(7) Needs CJ : Clinical Pharmacokinetics of the salicylates. Clin Pharmacokinet 1985;10:2:164-77.

(8) Miners JO : Drug interactions involving aspirin (acetylsalicylic acid) and salicylic acid. Clin Pharmacokinet 1989;17:5:325-44.

(9) Kurumbail RG : Structural basis for selective inhibition of cyclo-oxygenase-2 by anti-inflammatory agents. Nature 1996;384:644-648.

(10) Marz RW : Willow bark extract-effects and effectiveness. Status of current knowledge regarding pharmacology, toxicology and clinical aspects. Wien Med Wochenschr 2002;152(15-16):354-359.

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