À quoi sert la sérotonine ?

Par Priscille Tremblais - Journaliste scientifique Publié le 01/12/2007 Mis à jour le 19/04/2023
L'essentiel

La sérotonine est un neurotransmetteur qui interviendrait dans certains traits de personnalité mais aussi dans le vieillissement et certaines maladies comme le cancer.

Quel est le rôle de la sérotonine naturelle ?

La sérotonine ou 5-hydroxytryptamine (5-HT) est un neurotransmetteur (messager chimique du cerveau) synthétisé par certains neurones à partir d’un acide aminé, le tryptophane, qui entre pour une petite partie dans la composition des protéines alimentaires. L'action de la sérotonine tempère les effets d'un autre neurotransmetteur majeur du système nerveux central, la dopamine. Elle est considérée par certains comme "l'hormone du bonheur" car ses effets sur l'humeur sont importants.

Comment calculer le taux de sérotonine (ou 5-HT) ?

Pour évaluer les taux de sérotonine, on dose dans le sang, les urines ou le liquide cérébro-spinal la quantité de 5-HIAA (acide 5-hydroxyindol acétique), un produit de dégradation de la sérotonine.

Comment fonctionne le système sérotoninergique ?

Plus de 90 % de la sérotonine de l'organisme est produite dans l'intestin, où elle influence localement l'immunité et le microbiote intestinal. D'après Max Lugavere, auteur de La Nutrition du cerveau, "La sérotonine produite dans les intestins ne traverse pas la barrière hémato-encéphalique. Toutefois, ce qui se passe dans l’intestin peut influencer l’activité de la sérotonine cérébrale grâce à sa capacité à moduler l’inflammation." La production de sérotonine dans le cerveau s'effectue au niveau des neurones sérotoninergiques.

La quasi-totalité des neurones sérotoninergiques se trouve dans la partie médiane du tronc cérébral (noyaux raphés). Leurs projections concernent toutes les zones du système nerveux central. La sérotonine y influence l’activité d’autres neurones, le plus souvent en diminuant leur fréquence de décharge, inhibant leur action. Dans le striatum, les neurones sérotoninergiques inhibent les neurones dopaminergiques, ce qui entraîne une diminution du mouvement. Dans la mesure où la sérotonine sert à inhiber de nombreuses régions du cerveau, les mêmes régions sont « désinhibées » lorsqu’il y a trop peu de sérotonine.

Après avoir été libérée pour transmettre une information, la sérotonine est recapturée par les neurones sérotoninergiques qui l’avaient sécrétée. Elle peut aussi être dégradée et transformée en acide 5-hydroxyindole acétique (5-HIAA), qui sera ensuite éliminé dans les urines.

Sérotonine et agressivité, impulsivité

Même s'il est un peu caricatural d'affecter à un neurotransmetteur un trait de personnalité, il semble que la sérotonine intervienne dans l’inhibition, l’agressivité et le rapport à la souffrance (aversion), et peut-être aussi aussi la dépression, ou du moins l'amélioration de l'humeur (d'où son appellation d'"hormone du bonheur").

La destruction des noyaux raphés entraîne une désinhibition du contrôle réfléchi sur le comportement : l’animal cède à des pulsions quelles que soient les conséquences de ses actes. Lorsqu’on administre des chocs électriques à un rat qui essaie de se procurer de la nourriture, il s’interrompt après une dizaine de tentatives. Mais lorsqu’on épuise sa sérotonine, il persiste malgré 200 chocs et plus.

Souris et rats cohabitent généralement sans problèmes dans une cage. Mais si leur sérotonine est anormalement basse, les rats massacrent les souris. René Hen (Inserm U184, Strasbourg) a créé une lignée de souris particulièrement agressives en « éteignant » le gène qui code l’un des récepteurs de sérotonine. La déplétion de sérotonine entraîne aussi une désinhibition de l’activité sexuelle.

Chez l’homme des taux anormalement bas de sérotonine sont généralement associés à des comportements impulsifs, agressifs, voire très violents.

Des taux de 5-HIAA effondrés ont été relevés chez des gens qui ont assassiné leur famille avant de tenter de mettre fin à leurs jours. L’équipe du docteur Markus Kruesi (Université de l’Illinois, Chicago) a trouvé qu’un taux bas de sérotonine chez un enfant à problème était le facteur qui prédisait le mieux un comportement criminel ou suicidaire.

Les substances qui diminuent la sérotonine ont un effet désinhibant. La yohimbine, un aphrodisiaque, interfère avec la sérotonine. La drogue ecstasy augmente la sociabilité et les échanges en détruisant les terminaisons nerveuses sérotoninergiques. Chez le primate, lorsqu'on abaisse le niveau de tryptophane dans l'alimentation (précurseur de la sérotonine), on voit les animaux prendre des décisions plus risquées.

Sérotonine, humeur et traitement de la dépression

Sans surprise, l'"hormone du bonheur" serait également impliquée dans la dépression et le bien-être. C'est la raison pour laquelle des médicaments antidépresseurs (inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine) ont pour fonction d'augmenter le niveau de sérotonine dans le cerveau. Des taux bas de sérotonine favorisent la baisse de l'humeur, mais pas chez les personnes en bonne santé, seulement chez les personnes dépressives qui ont un traitement par antidépresseurs. Le rapport direct entre sérotonine et dépression n'est donc pas totalement établi.

Par ailleurs, comme le souligne Max Lugavere dans la Nutrition du cerveau, une alimentation sucrée a tendance à améliorer l'humeur, par le biais de la sérotonine : "la consommation de glucides et de sucre constitue un autre moyen d’augmenter le taux de sérotonine dans le cerveau. L’amélioration momentanée de l’humeur qui en résulte explique l’addiction liée aux glucides. Entre les repas, le taux de glucides baisse de concert avec celui de la sérotonine, ce qui nous pousse à avaler un en-cas riche en amidon ou en sucre : la preuve que la consommation de glucides n’est pas une bonne stratégie pour augmenter la sérotonine."

Sérotonine et sommeil

Ce messager chimique est responsable de la stimulation des zones du cerveau contrôlant le sommeil et l'éveil. Autrement dit, le fait d'être éveillé ou de dormir dépend de la zone stimulée et la nature des récepteurs de la sérotonine utilisés.

Pour aller plus loin, lire : Les secrets de l’horloge biologique

L’influence des transporteurs et des récepteurs

Le transport de la sérotonine serait également un paramètre important influençant la personnalité. La protéine de transport de la sérotonine dépend d'un gène appelé 5-HTT qui code pour deux formes : une forme « courte » et une forme « longue ». De nombreuses études mettent en évidence l’importance de cette forme notamment dans les comportements addictifs. Nous possédons tous deux gènes codants pour ce transporteur, un sur le chromosome issu de la mère et un autre sur le chromosome venant du père. Le fait de porter deux gènes codants pour la forme courte du transporteur de la sérotonine a été associé à un risque plus élevé de présenter des troubles alcooliques et anxieux.

Les récepteurs à la sérotonine interviendraient également dans le comportement et la relation à l’alcool. Ainsi une forme du gène codant pour le récepteur 5-HT1B à la sérotonine pourrait prédisposer à des comportements anti-sociaux et à l’alcoolisme.

Un lien entre sérotonine et cancer

La sérotonine pourrait avoir un effet stimulant sur la croissance de certaines tumeurs agressives. À l'inverse, de petites doses de sérotonine pourraient inhiber la croissance des tumeurs en réduisant les apports sanguins jusqu'à la tumeur, ce qui suggère que l'effet de la sérotonine sur les tumeurs est dose-dépendant. La progression de certaines tumeurs s'accompagnent d'une moins bonne régulation des récepteurs à la sérotonine. L'évolution des cancers de la vessie, du rein et de la prostate pourrait aussi être prédite par le taux de sérotonine. Des médicaments antagonistes des récepteurs à la sérotonine ou qui inhibent la sécrétion de sérotonine ont été utilisés avec succès pour prévenir l'évolution de certaines tumeurs.

Un rôle dans le vieillissement ?

Le système sérotoninergique fonctionne moins bien quand on avance en âge. Cette altération pourrait expliquer certains changements de comportement observés chez les personnes âgées, au niveau du sommeil, de la sexualité ou de l'humeur. La sérotonine pourrait ainsi être potentiellement impliquée dans tout le processus de vieillissement de l'organisme, via ces liens avec différents organes et le système immunitaire notamment.

Sérotonine et système cardiovasculaire

La sérotonine n'est pas présente que dans le cerveau : on en trouve partout dans le corps. Elle joue des rôles important au niveau des vaisseaux sanguins notamment, depuis le contrôle de la tension artérielle jusqu'à la fonction plaquettaire. Elle cause une vasoconstriction ou une vasodilatation en fonction des récepteurs exprimés au niveau des parois des vaisseaux sanguins. Les plaquettes sanguines libèrent de la sérotonine pour aider la cicatrisation des blessures.

La sérotonine en pratique

Comment savoir si on manque de sérotonine ?

On peut faire évaluer son niveau de sérotonine par dosage du 5-HIAA dans des laboratoires spécialisés, mais l'interprétation de ce dosage est délicate.

Les analyses les plus courantes se font grâce aux urines de 24 h (recueil des urines sur une journée). Les taux normaux se situent entre 3 et 10 mg/24 h (mg × 5 = µmol). Des taux élevés de 5-HIAA peuvent signer un syndrome carcinoïde (tumeur cancéreuse ou non, à évolution lente dans le système digestif ou les poumons).

Qu'est-ce qui augmente la sérotonine ?

Certains médicaments

Certains médicaments antidépresseurs (des inhibiteurs de la recapture de la sérotonine) peuvent, on l'a vu, augmenter le taux de sérotonine dans le cerveau. Mais il existe aussi des moyens naturels, plus ou moins prouvés, d'élever le taux de ce neurotransmetteur, et qui sont parfois utilisés comme traitement des dépressions.

L'exposition à la lumière

Chez les personnes souffrant de dépression saisonnière, l'exposition à la lumière (reprenant le spectre lumineux du soleil) permet une amélioration de l'humeur. Les preuves que cet effet passe par la sérotonine sont indirectes. On sait ainsi que le cerveau des personnes décédées en été (au moment où l'exposition à la lumière naturelle est maximale) présentent des teneurs en sérotonine plus importantes que celui des personnes mortes en hiver. De même, les chercheurs ont pu établir un lien entre exposition à la lumière et taux sanguin de 5-HIAA chez des volontaires en bonne santé.

D'après Max Lugavere, ce lien entre le taux de sérotonine et la lumière pourrait s'expliquer via la vitamine D, produite par la peau lorsqu'elle est exposée au soleil : "La vitamine D pourrait avoir un rôle déterminant dans la production d’un taux adéquat de sérotonine, car la vitamine D intervient dans la synthèse de sérotonine à partir de l’acide aminé tryptophane."

L'activité physique

Des études indiquent que l'exercice permet d'augmenter aussi la sérotonine. L'effet antidépresseur de l'activité physique est bien prouvé, à tel point que l'exercice est devenu un traitement de la dépression à part entière. Et il pourrait passer par l'action de la sérotonine. Chez le rat, l'exercice provoque une augmentation des taux de sérotonine. Chez l'humain, les preuves sont moins claires mais une étude a trouvé que l'activité physique augmentait le taux de 5-HIAA chez des personnes dépressives.

L'exercice pourrait augmenter le taux de sérotonine de deux manières :

  • en augmentant l'activité des neurones à sérotonine ;
  • en élevant le taux de tryptophane, son précurseur, dans le cerveau.

L'alimentation

Puisque la production de sérotonine utilise le tryptophane comme précurseur, il semble logique qu'une alimentation riche en tryptophane permette d'augmenter la sérotonine. C'est pourquoi il est massivement conseillé de manger de la dinde, des produits laitiers, les œufs, les noix (noix de Grenoble, de cajou, amandes, cacahuètes), des fèves de soja, etc, pour cela. Malheureusement les études indiquent qu'il existe une compétition entre les différents acides aminés suite à l'ingestion d'un repas riche en protéines. L'augmentation de la teneur en acides aminés autres que le tryptophane dans le sang suite à ce type d'alimentation pourrait empêcher le taux sanguin de tryptophane d'être suffisamment élevé pour augmenter celui du cerveau. Faute de passer dans le cerveau, le tryptophane ne peut servir à la production de sérotonine.

Pris en complément, le tryptophane semble passer plus facilement dans le cerveau.

Quand prendre de la sérotonine ?

En cas de comportement impulsif, agressif ou addictif, il peut être utile de consommer des aliments riches en tryptophane, voire faire appel à des compléments de L-tryptophane ou de son métabolite immédiat, le 5-hydroxytryptophane (5-HTP). Il existe des contre-indications, notamment avec la prise de médicaments antidépresseurs ; consulter dans tous les cas un professionnel de santé.

L'excès de sérotonine : zoom sur le syndrome sérotoninergique

La prise de médicaments antidépresseurs destinés à remonter les taux de sérotonine peuvent entraîner un excès de ce neurotransmetteur dans les synapses du cerveau. Ce qu'on appelle le syndrome sérotoninergique peut avoir divers symptômes.

Les symptômes légers, notamment la nervosité, l’insomnie, la nausée, la diarrhée, les tremblements et la dilatation des pupilles, peuvent évoluer vers un stade modéré, comme l’hyperréflexie (réflexes plus prononcés), la transpiration, l’agitation, la fébrilité, le clonus (spasmes musculaires rythmés) et le clonus oculaire (mouvements des yeux d’un côté à l’autre). Les patients dont les symptômes sont graves (fièvre de plus de 38,5 °C, confusion, delirium, clonus soutenu ou encore rigidité musculaire) devraient être envoyés immédiatement à l’hôpital.

Le plus souvent les symptômes du syndrome sérotoninergique disparaissent rapidement grâce à la prise de médicaments bloquant la sérotonine ou en remplaçant les médicaments qui le causent par d'autres. En revanche, non traité, ce syndrome peut mettre la vie en danger.

En lien avec le sujet : La Nutrition du cerveau de Max Lugavere, Un cerveau à 100 % du Dr Eric Braverman et Un cerveau au top de Bernard Doutres

Références
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