Pas besoin de lait pour être en bonne santé, disent 2 chercheurs

Par Thierry Souccar - Journaliste et auteur scientifique, directeur de laNutrition.fr Publié le 05/08/2013 Mis à jour le 10/10/2022
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Mardi 11 octobre 2022, le magazine Enquête de santé diffusera le documentaire Produits laitiers, faut-il s'en passer ? sur France 5. Revenons à cette occasion sur l'avis de deux spécialistes de Harvard qui affirment que l'homme n'a pas besoin de consommer du lait.

Les recommandations sur la consommation de lait

En France, le PNNS (programme national nutrition santé) recommande deux produits laitiers par jour. Aux États-Unis, les recommandations sont même de trois portions par jour pour les adultes et les enfants de neuf ans ou plus. Ces apports seraient justifiés pour répondre aux besoins nutritionnels en calcium et réduire le risque de fractures osseuses.

Pourtant, comme le clament deux spécialistes de Harvard, les avantages pour la santé d'une consommation élevée de produits laitiers n'ont pas été établis. Cette consommation pourrait même conduire à des effets indésirables possibles sur la santé.

David Ludwig est professeur de pédiatrie à l’École de médecine de Harvard,  endocrinologue et chercheur à l’Hôpital pour enfants de Boston. Walter Willett est quant à lui professeur d’épidémiologie et de nutrition à l’École de santé publique T.H. Chan de Harvard, et professeur de médecine à l’École de médecine de Harvard. Ils cosignent plusieurs articles sur les effets du lait sur la santé. Ainsi, en 2013, ils remettaient en cause les recommandations officielles américaines de trois produits laitiers par jour dans JAMA Pediatrics. En 2020, ils renouvelaient leurs arguments dans un article intitulé Milk and Health paru dans The New England Journal of Medicine.

Ces deux spécialistes de nutrition parmi les plus connus et les plus respectés sur la scène internationale contestent l’idée que tout le monde devrait consommer trois portions de laitages par jour. Ils ajoutent qu’il n’y a aucune preuve que le lait écrémé ou demi-écrémé est meilleur que le lait entier pour la santé. Les deux médecins ne disent pas aux gens qui en consomment d’arrêter les laitages, mais ils soulignent que, contrairement à ce que croient le public et de nombreux médecins, les preuves en faveur de leur consommation ne sont tout simplement pas là.

Les produits laitiers pour les enfants

Les deux scientifiques rappellent que la fonction naturelle du lait est de nourrir et de favoriser la croissance des jeunes mammifères. Il contient des nutriments essentiels mais aussi de multiples hormones anabolisantes. Pour les auteurs, quand les enfants ne sont pas allaités, le lait de vache a une valeur nutritionnelle importante dans la petite enfance, en tant que base des préparations pour nourrissons. Cependant, « une croissance et un développement normaux peuvent être obtenus tout au long de l'enfance sans produits laitiers si une attention particulière est accordée à la qualité de l'alimentation. » Si l’alimentation comprend peu de produits animaux, une complémentation en vitamine B12 peut être nécessaire. Et des suppléments de vitamine D peuvent compenser une faible exposition au soleil.

Lire : Trop de viande et de laitages à la cantine

La consommation de lait augmente la croissance et la taille. Le lait de vache contient des acides aminés à chaîne ramifiée leucine, isoleucine et valine, qui sont essentiels à la qualité des protéines. Mais la consommation de ces acides aminés élève les concentrations plasmatiques d'IGF-1. Les conséquences d'une plus grande taille adulte sur la santé sont complexes : une grande taille est associée à des risques plus faibles de maladies cardiovasculaires, mais à des risques plus élevés de nombreux cancers, de fractures de la hanche et d’embolies pulmonaires.

Ludwig et Willett s’en prennent aussi aux recommandations officielles (3 à 4 laitages par jour), qui conduisent les enfants à consommer des quantités importantes de sucre dans la mesure où les produits lactés pour les enfants sont souvent sucrés et arômatisés.

Le lait réduit-il le risque de fracture osseuse ?

L'une des principales justifications de la consommation élevée de lait tout au long de la vie a été de répondre aux besoins en calcium pour la santé des os. Mais, affirment les chercheurs, « paradoxalement, les pays qui consomment le plus de lait et de calcium ont tendance à avoir les taux les plus élevés de fractures de la hanche. Bien que cette corrélation puisse ne pas être causale et pourrait être due à des facteurs de confusion tels que le statut en vitamine D et l'origine ethnique, une faible consommation de produits laitiers est clairement compatible avec de faibles taux de fracture de la hanche. »

Lire : Walter Willett : "Une consommation importante de calcium ne prévient pas les fractures"

Certaines méta-analyses n’ont trouvé aucun lien entre la consommation de lait et le risque de fractures de la hanche. Toutefois, le lait favorise la croissance. Or une taille adulte élevée est liée aux fractures de la hanche et d'autres os. Pour les auteurs, les données existantes ne soutiennent pas l’idée que des apports élevés en lait pendant l'adolescence préviennent des fractures plus tard. En revanche, elles suggèrent que « ces apports peuvent contribuer à l'incidence élevée des fractures dans les pays où la consommation de lait est la plus élevée ».

Les deux spécialistes réfutent donc l’idée fausse, popularisée par l’industrie agro-alimentaire et certains nutritionnistes qui lui sont liés, selon laquelle les produits laitiers seraient nécessaires pour avoir des os solides. Ils écrivent : « Un apport alimentaire adéquat de calcium, qui est souvent cité comme la raison principale pour consommer de grandes quantités de lait, peut être obtenu à partir de bien d’autres sources. En fait, les niveaux de calcium recommandés aux États-Unis qui sont basés essentiellement sur des études de 3 semaines maximum, exagèrent probablement les besoins réels et sont largement supérieurs aux apports conseillés en Grande-Bretagne. À travers le monde, les taux de fractures sont moins élevés dans les pays qui ne consomment pas de lait, par rapport aux pays où on consomme des laitages. En plus, la consommation de lait ne protège pas des fractures chez l’adulte selon une méta-analyse récente. »

Vous pouvez trouver du calcium dans d’autres aliments : le chou frisé, le brocoli, le tofu, les noix, les haricots…

Pour les adultes, les preuves globales ne soutiennent pas une consommation élevée de produits laitiers pour la réduction des fractures.

Le lien entre la consommation de lait et certaines maladies

Poids et consommation de lait

Selon ces spécialistes, les laitages pauvres en matière grasse n’aident pas pour autant à maigrir. Les études conduites chez les enfants, les adolescents et les adultes ont montré que lorsque l’on remplace le lait entier par du lait pauvre en matières grasses, on ne perd pas de poids. En fait, ils expliquent qu’il y a même un risque réel de grossir dans la mesure où les produits pauvres en graisses sont moins rassasiants. 

Dans l’ensemble, les études ne trouvent pas d’effet du lait sur le poids des adultes ou des enfants.

Maladies cardiovasculaires et diabète

La consommation totale de produits laitiers n'a pas été clairement liée aux risques de diabète et de maladies cardiovasculaires. Les laits écrémés ne sont pas meilleurs pour le cœur, ajoutent les chercheurs, contestant que les laitages entiers se traduisent par une détérioration du statut en cholestérol. En outre, ces laitages peuvent conduire à consommer plus d’aliments à index glycémique élevé, lesquels augmentent le niveau de triglycérides.

La teneur relativement élevée en potassium du lait a pu suggérer qu'une plus grande consommation de lait pourrait réduire la tension artérielle. Le régime DASH, qui comprend des produits laitiers faibles en graisses, réduit la pression artérielle, mais la contribution spécifique du lait dans ce régime n'est pas claire. Les essais cliniques sur les produits laitiers pauvres en graisses ne donnent pas de résultats cohérents concernant la réduction de la pression artérielle.

Les recommandations en vigueur préconisent également la consommation de produits laitiers ayant une teneur réduite en matières grasses, car les graisses saturées (environ 65 % des graisses du lait) augmentent le cholestérol LDL. Mais les chercheurs affirment que « dans des études de cohorte prospectives, ni le lait entier ni le lait écrémé n'ont été clairement associés à l'incidence ou à la mortalité associée aux maladies coronariennes ou aux accidents vasculaires cérébraux. »

La consommation de produits laitiers a été associée à un risque légèrement plus faible de diabète de type 2 dans certaines études de cohorte. Cependant, dans de vastes méta-analyses, la consommation de produits laitiers n'était pas associée - ou n'était que faiblement associée - à un risque plus faible.

Lait et cancer

La consommation de produits laitiers est fortement corrélée aux taux de cancer du sein, de la prostate et d'autres cancers. Cet effet pourrait être dû à l’augmentation de l’IGF-1. Une consommation élevée de produits laitiers est susceptible d'augmenter les risques de cancer de la prostate et éventuellement de cancer de l'endomètre, mais de réduire le risque de cancer colorectal.

Allergies et intolérance

Des rapports suggèrent que la consommation de lait peut exacerber les tendances atopiques, d’où une prédisposition à l'asthme, l'eczéma et aux allergies alimentaires.

Pas besoin de lait

Enfin, ils soulignent que l’homme n’a absolument pas besoin de consommer du lait de vache ou d’autres ruminants. La majeure partie de la population de la planète n’en consomme pas, ou très peu, et jouit pourtant d’une excellente santé.

La quantité de lait nécessaire à un enfant ou un adulte dépend de la qualité globale de son alimentation, écrivent Ludwig et Willett. Et les recommandations nutritionnelles devrait refléter ce fait. Ils considèrent que ces recommandations devraient couvrir un large éventail acceptable, par exemple, 0 à 2 ou 3 portions par jour (au lieu de 3 à 4), éviter de recommander les laitages maigres, et mettre l’accent sur la limitation de la consommation des laitages sucrés.

Les auteurs concluent : « Si la qualité de l'alimentation est faible, en particulier pour les enfants vivant dans des environnements à faible revenu, les produits laitiers peuvent améliorer la nutrition, alors que si la qualité de l'alimentation est élevée, il est peu probable qu'une augmentation de l'apport apporte des avantages substantiels et des dommages sont possibles. »

Lire : Laitages et santé, ce que disent les études

Cette prise de position reflète les recommandations de LaNutrition.fr depuis 2006 et vient confirmer les données publiées dans Lait, mensonges et propagande et Le mythe de l'ostéoporose.

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